Le Procès Goldman marque le grand retour en force de Cédric Kahn , cinéaste passionnant qu'on n'a cessé de mettre en avant même dans ses oeuvres a priori les plus mineures comme son précédent film Week end en famille .
Plus de 20 ans après le choc Roberto Succo (2001), l'auteur s'interesse à un autre insurgé contre la société qui a fait les choux gras de la presse de l'époque, qui aura profondément nourri les controverses.
Pierre Goldman, militant d'extrême gauche (il était le demi-frère de Jean-Jacques Goldman) condamné pour divers braquages, mais acquitté en 1975 pour le meurtre de deux pharmaciennes, forme un cas juridique complexe , sujet à toutes les fragmentations sociétales et politiques.
L’accusation porte sur quatre braquages à main armée perpétrés entre décembre 1969 et janvier 1970, dont un dans une pharmacie, boulevard Richard-Lenoir, à Paris, ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes, abattues de sang-froid. L’inculpé plaide coupable pour les trois vols d’argent, mais pas pour le double assassinat, durant lequel il prétend s’être trouvé chez un ami.
Révolutionnaire au quartier latin à la fin des années soixante, guérillero à Cuba et au Venezuela, gangster, ami de truands, coqueluche des intellectuels de gauche, figure des boites de nuit parisiennes, Pierre Goldman a été condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité – un jugement cassé pour vice de forme.
En avril 1970, il est accusé du meurtre de deux pharmaciennes lors d'un hold-up à Paris. le gauchiste romantique devient meurtrier de deux femmes pour de l'argent. Étrange revirement.
D'ailleurs, une bonne partie de la gauche n'y croit pas. Et pour cause : Pierre Goldman est innocent. Il sera pourtant condamné à perpétuité puis acquitté et libéré plus tard, après avoir rédigé un livre comme une sorte de plaidoyer.
Parcours fracassé de l’extrême gauche dans l’après Mai-68, sort des juifs d’Europe, lutte contre les violences policières : le film offre un point de vue imprenable sur les passions politiques françaises
Le Procès Goldman, est l'occasion de donner la parole à toute cette France des années 1970 : les avocats, les policiers, les Français de droite, de gauche, les Parisiens, les provinciaux.
Une France coupée en deux, difficilement réconciliable.
Un très grand film de procès qui résonne dans la France d'aujourd'hui.
Les meilleurs films de procès, sont de ceux qui parviennent à transcender le dispositif judiciaire . Avec ce formidable parti pris d'une grande radicalité. Aucune musique, un format en 4/3, et l’unique attention portée à la parole, pour une immersion impressionnante dans la question cruciale du témoignage Assurément, le procès Goldman, est de ceux là.
Le réalisateur brasse plusieurs thèmes dans ce long métrage reconstitué avec les articles de journaux de l’époque: judaïté, antisémitisme, racisme, côté antiflic, rôle de l’extrême gauche, autant de sujets qui font terriblement écho à la société d’aujourd’hui.
Sans jamais quitter le tribunal, Cédric Kahn opte pour une mise en scène d'une intelligence absolue cadre carré à hauteur humaine, récit circonscrit au déroulement du procès, foi prêtée aux puissances de la parole comme de l’incarnation et signe un film de procès magistral qui évite tous les pièges inhérents au genre.
Plutôt que de redoubler la théâtralité judiciaire par la reconstitution historique, Kahn opte pour la captation, une caméra alerte qui saisit l’oralité au vol, et ne cesse d’aller chercher des visages dans l’auditoire, pas toujours identifiés, mais dont les réactions importent autant que la teneur des débats.
La rage et la colère des individus qui peuplent le récit trouvent un écho plus que passionnant avec notre actualité, en plongeant au cœur névralgique des clivages de la société française.
Le personnage est dépeint comme un accusé totalement imprévisible, incapable de se défendre sans se desservir, volontiers polémique, refusant de se rendre sympathique, comme de mendier son innocence, qu’il réclame d’autorité, se disant « ontologiquement innocent » , ce qui est un peu court juridiquement parlant.
En réalité, plus qu’une affaire judiciaire, Cédric Kahn déroule plutôt une affaire humaine, celle d’un homme qui dit et répète : « Je suis innocent parce que je suis innocent » durant tout le film, c’est la solitude de Pierre Goldman qui frappe, une solitude énergique, une revendication de liberté unique, d’une humanité complexe, grise, mais entière. Coupable de quelque chose, oui, mais innocent d’une autre aussi.
Dans l’espace ritualisé du tribunal, les mots s’échangent en une suite de bras de fer argumentatifs, dans une dramaturgie du coup d’éclat et de l’éloquence affûtée.
Les comédiens sont au diapason : impeccable âpreté vitupérante d’Arieh Worthalter, révélation d’Arthur Harari, par ailleurs cinéaste (Diamant noir, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle), dans la peau d’un Kiejman inquiet et concentré.
Ce film de deux heures, qui passe à la vitesse de l'éclair, impressionne totalement par sa richesse thématique, son invention formelle et s'impose comme une réussite majeure.
LE FILM a eté présenté ce lundi 11 septembre en avant première au Pathé Bellecour de Lyon
sortie le 27 septembre 2023