La « protection par l’occupation », c’est le credo de l’entreprise où travaille Inès, dans le film « Anti-squat », du réalisateur Nicolas Silhol, un film qu'on aime beaucoup et qu'on peut voir au cinéma depuis mercredi.
Dans cette intrigue tortueuse à souhait, le personnage de Louise Bourgoin, elle-même menacée de se faire expulser de chez elle avec son fils de 14 ans, est pris à l’essai chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux inoccupés pour les protéger contre les squatteurs.
Nicolas Silhol était présent sur Lyon le 31 août dernier au cinéma le Comoedia pour présenter Anti-Squat en avant-première.
L'occasion d'échanger avec lui politique du logement et mise en scene :
Un thriller en lien avec l'actualité brulante...
"Cette situation décrite par le film existe depuis les années 70 aux Pays-Bas et en Angleterre, et c’est arrivé en France à partir de 2008, lorsque Christine Boutin était ministre du logement.
Le dispositif a été inscrit dans la loi Elan de 2018 mais à titre expérimental, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé l’écriture du scénario. Aujourd’hui, soit cinq ans plus tard, la loi anti-squat vient tout juste d’être débattue et votée à l’Assemblée Nationale
C’est certes une loi plus large sur la répression du squat mais dans laquelle figure ce dispositif désormais pérennisé de la « protection par l’occupation ».
Ce qui est terriblement problématique, un problème d'ailleurs mis en évidence par diverses fondations et associations, c’est qu’il n’y a pas eu d’évaluation permettant de consolider les règlements, de garantir les droits des résidents.
Tout se fait sans cadre strict, de manière approximative, et ce sont ces dérives-là que j’ai voulu pointer dans Anti squat, le film...
...filmé comme un thriller d'anticipation
La dimension "anticipation" du film vient sans doute du fait qu’au moment où je me suis lancé dans l’écriture du film, j’étais alors dans une approche avant tout expérimentale. Avec le chef opérateur et le chef décorateur, j’ai tenu à travailler le plus possible sur le décor et ces espaces abandonnés, qui peut évoquer des ruines modernes où la nature aurait fini par reprendre ses droits.
Par ailleurs, quand j'ai voulu préparer le film, j’ai découvert cette pratique appelée « urbex » qui consiste à explorer des lieux urbains à l’abandon. En inscrivant les personnages dans cet environnement vide, cela provoque une sensation d’abandon, de vertige, de perte de repères, et de ce fait, l’immeuble est rapidement devenu un personnage à part entière.
Réaliser ou écrire des films sociétaux, dur ou pas dur?
Ce qui m’intéresse vraiment, c'est de raconter quelque chose de fort sur la société actuelle, et j’essaie de défendre ce choix sans avoir l’air didactique et malgré les difficultés financières que je peux rencontrer pour monter mes projets. Sur "Corporate", j’ai eu des financements qui m’ont été donnés puis retirés à cause du sujet.
Sur "Anti-squat", ça n’a pas été le cas mais le financement a été là encore assez difficile.
Au fond, je me demande si cela ne vient pas juste du fait que les sujets de société ne sont peut-être pas très attractifs pour les financiers.
Traiter de sujets politiques, de réussir à les traiter dans leur complexité, sans schématisation, sans caricature, sans pathos tout en y insufflant un vrai souffle de fiction, un vrai élan dramatique avec des personnages forts, ça c’est inspirant et c'est vers ces films là que j'ai tendance à y aller car me parlent.
Un film plus intime que Coporate
Si les deux films semblent avoir quelques points communs, la part intime du personnage a été plus investie que dans Corporate, puisque le rapport du personnage d’Inès avec son fils est un des éléments principaux du récit.
Il faut dire qu'Ines, les choix qu'elle va faire, l'évolution de son personnage, sont évalués toujours par le regard de son fils, c'est la part qui impace directement le romanesque du film
Au delà de cela, il faut se dire que ce que je raconte dans Corporate a déjà dix ans
Désormais et c'est surtout vrai depuis le confinement, on a sur Paris plein de bureaux vides inhabités, le monde de l’entreprise s’est vidé de ses humains, elle a été abandonnée et on l’a réinvestie autrement.
En termes de mise en scène, ça m’a permis aussi de travailler différemment. Corporate était un film très serré sur les visages, là c’est beaucoup plus inscrit dans des plans larges, des plans dans la durée, des plans-séquences…
Louis Bourgoin, la comédienne idéale pour jouer Inès?
Louise possède plusieurs visages, on la connait en actrice de comédie évidemment mais très vite je l’avais repéré aussi des films plus durs, plus graves : je pense à Je suis un soldat de Laurent Larivière ou La Religieuse de Nicloux. Récemment dans la série Hippocrate elle m'avait vraiment épaté
Car ce qui m’impressionne chez elle, c’est que c’est une actrice à la fois très intense et très mystérieuse, avec une économie de jeu très forte. Il y a des actrices qui sont très expressives et qu’on aime pour ça, mais Louise est très en contrôle, toujours dans l’intériorisation.
Cela correspondait bien au personnage que j’avais inventé et qu’on a donc conçu ensemble : Inès est quelqu’un qui est amenée à contrôler toutes ses émotions, y compris à l’intérieur de situations de plus en plus tendues.
Ce que j’aimais c’était justement cette ambivalence, qu’on a essayé de travailler dans le film..
Une comédienne chevronnée mais entourée de comédiens inconnus..
J’aime bien découvrir des gens à l’écran. D’ailleurs, j’avoue que je ne comprends pas pourquoi on voit toujours les mêmes comédiens car j'ai l'impression de plus croire aux personnages dès lors que je les découvre dans leur rôle.
Il y a plein d'acteurs en France, pourquoi on voit toujours les mêmes?
Le métier d’acteur est un métier qui connait bien la précarité, ce qui fait que j’avais à cœur de trouver des acteurs qui soient d’entrée proches de leur personnage.
Avec la directrice de casting, on a déniché des gens en provenance d’horizons très différents : j’avais déjà croisé deux d’entre eux à l’école de Kourtrajmé où j’interviens de temps en temps, certains viennent du théâtre, d’autres ont des parcours de vie assez rocambolesques…
Au fond, l’idée rejoint celle du film, à savoir de réunir des gens qui viennent d’ici et d’ailleurs.
Merci à Abus de ciné qui a participé avec nous à l'interview.
Merci aussi au cinéma le Comoedia de Lyon , à Marie Queysane pour les relations presse et au distributeur Diaphana.