Il y a quelques jours, je vous ai fait visiter le village de Fontaine-Daniel, célèbre pour son épicerie coopérative. L'essor du hameau est dû à une entreprise exemplaire, Toiles de Mayenne, qui dispose sur place d'un show-room depuis 1967 sachant qu'un autre se trouve aujourd'hui place des Victoires, à Paris, dans l'ancien domicile d'un des fondateurs. C'est une entreprise d'environ 90 personnes, avec un site de production et 16 magasins en France.
J’ai voulu venir ici parce que ce que j’avais vu de ce village au moment de préparer mon séjour en Mayenne m’avait un peu intriguée. Je m’intéresse depuis toujours à la confection. Je sais coudre et le monde des tissus me "parle", probablement parce que mes arrières grands-parents maternels étaient marchands de soieries dans le quartier des Folies Bergère. C’était du moins ce que je croyais.
Il se trouve que j’ai aussi des racines mayennaises, du côté paternel, mais je n’avais pas eu l’occasion de revenir dans le département depuis que je suis adulte. J’ai peu connu ma grand-mère paternelle dont je n’ai qu’un unique souvenir de partage, quand elle m’a enseigné comment tricoter. Mon père avait conservé son rouet qui était à mes yeux un objet décoratif un peu désuet. Je croyais (stupidement) qu’elle avait filé le chanvre pour se distraire sans imaginer un instant que l’activité textile était une caractéristique de la Mayenne où la terre est plutôt ingrate. L’industrie, ou comme on la nommait au début du XIX°, "la fabrique", fournissait un indispensable salaire ou complément de salaire, auquel pouvaient contribuer tous les membres d’une même famille. On était souvent en même temps, cultivateur, fabricant et négociant.
Je savais que les sœurs de cette grand-mère avaient été modistes à Saint-Aubin-Fosse-Louvain mais je n’ai jamais vu leur atelier. Comme j’aimerais aujourd’hui interroger mes ancêtres sur leur mode de vie, mais on ne peut pas remonter quasiment un siècle en arrière. C’est pourtant un peu ce que j’ai fait au cours de mon séjour, en m’arrêtant à Fontaine-Daniel.Autant je reprends l'histoire de l'entreprise dans l'article consacré au village, parce que tout y est lié, autant dans celui-ci je ne parlerai que de l'entreprise telle qu'on peut la voir en ce moment, depuis la reprise en 2018 par Jérôme CouasnonetClotilde Boutrolle, ce qu'ils ont fait dans la continuité de l'esprit de la marque en la positionnant dans les tendances colorées de notre époque tout en préservant son héritage authentique. Avec une volonté affirmée de résister face à la délocalisation et de revendiquer l'ancrage territorial, de penser le tissage, réfléchir aux manières de produire, aux matières sélectionnées, créer sans surproduction, avancer de manière raisonnée et avec bon sens. Ce credo trouve heureusement un écho positif auprès des clients.Ainsi Toiles de Mayenne peut revendiquer depuis 2022 une production locale 100% française. Tout ce que l'on peut voir dans cet espace a été fabriqué soit dans les ateliers de la marque qui se trouvent sur la commune, soit chez des fournisseurs partenaires qui eux aussi travaillent en France.La chilienne en toile Marius invite le visiteur à se reposer. On appréciera le confort de cette pièce devenue iconique, réalisée dans une rayure équilibrée, classique et intemporelle alternant grisailles en fil à fil et aplats colorés d’un beau vert profond. Tissée à Fontaine-Daniel, avec une belle main souple … en trévira Cs, ce qui veut dire non feu, lavable et résistante, utilisable en milieu humide, donc idéale pour ce type de mobilier d’extérieur. Le bois est lui aussi français et l’ensemble se démonte pour pouvoir laver la toile en cas de besoin.Voici des coussins conçus comme des bijoux, traversés d’une broderie soyeuse presque métallisée, assemblant deux coloris de lin, naturel et blanc et qui rencontrent un vif succès. L’abat-jour de cette gamme Zigzag est une exclusivité boutique. La composition évoque un paysage qui se reflète dans l’eau, témoignant de la capacité du milieu naturel à inspirer les designers de la marque.Au fond, le rideau est exécuté dans le motif Paradise, en tissu de lin brut naturel imprimé de branches et d’oiseaux dans l’esprit toile de Jouy modernisé par des coloris saturés presque « surteints » dont l’intensité peut légèrement varier d’une pièce de tissu à l’autre du fait de son origine végétale authentique. Les rideaux ont été fabriqués dans cet intemporel du vocabulaire textile dans les ateliers de Fontaine-Daniel.
Sur le canapé, un coussin Pushkar s’appuie sur un autre en Corduroy tandis qu’à droite ce sont deux coussins Gally Élysée bleu et blanc galonné de rouge en authentique Toile de Jouy qui reposent contre un Gabriel frangé sanguine.
Un bleu de Prusse retrouvé intact sur un dosseret de famille a servi de point de départ pour l’impression de cette Toile de Jouy qui complète la gamme historique dans un camaïeu de bleu sur coton crème. Imprimée sur une percale de coton de grande qualité et recolorée dans la plus pure tradition XVIII° avec toute l’audace que les teintes pouvaient avoir à cette époque.
Le coussin Gabriel de couleur sanguine est en jute et lin. Il est cousu et frangé à la main à Fontaine Daniel. J’ai été saisie par son effet de matière lourde, authentique et naturelle qui provient de l’emploi de matériaux naturels de ce tissage très particulier, au toucher incomparable, proche d’un velours, qui attire la main. Les petites irrégularités du fil lui donnent toute sa personnalité et son aspect unique. On comprend qu’il soit devenu le best-seller de la marque. Le coloris est une teinte subtile et légèrement "voilée", profonde et élégante. L’œil est attiré par ce grand rideau en Eden. L’exubérant motif, composé de végétaux et feuillages surdimensionnés se déploie dans un mouvement presque aquatique en jouant avec les superpositions. Quiconque aura parcouru les allées des marchands de papier peint aura noté la tendance actuelle pour les audacieux végétaux même si on prétend qu'il n'y a pas véritablement de mode en matière d'ameublement. Et puis s'il est fastidieux de changer le revêtement d’un mur, autant l’ajout d’un rideau est facile. Toiles de Mayenne offre ainsi la possibilité d’avoir un intérieur complètement « tendance », d’autant qu’Eden existe en Prêt-à-poser et se décline en trois harmonies.Le dessin de Canopée est né d’une marche le long de l’étang de Fontaine-Daniel. Entourée par la forêt, la lumière jouant entre les feuillages avec le ciel et l’eau, il évoque le pouvoir de la nature sur l’esprit. C’est cette symbiose entre les éléments et l’énergie qui s’en dégage que Clotilde Boutrolle a voulu transcrire à la gouache, d’un geste ample et simple. Imprimé au cadre, technique traditionnelle qui confère une tenue couleur exceptionnelle, Canopée est imprimé sur une toile de coton qui en fait un idéal autant pour l’usage siège autant que celui de rideaux et ou de tentures murales.Le coussin Canopée (photo de gauche) est en motif Porquerolles dans le coloris le plus vif pour réveiller la mise en scène d’un intérieur. Tous sont réalisés en petites séries dans les ateliers. Ils sont déhoussables et fermés par une fermeture Éclair invisible.Stella est un authentique dessin d’archives des années 30, où les fleurs et feuilles stylisées sont placées dans un mouvement tournant. Sur fond de bleu et noir, il accroche la lumière comme un émail cloisonné par les sertis ivoire qui mettent en valeur les teintes bronze et corail du motif. Ce grand dessin imprimé au cadre sur une belle toile de coton conviendra aussi bien aux murs, aux rideaux ou aux sièges qu’en plateau.
Ce dernier est en acrylique, d'une durabilité permettant de le garder toute une vie, et même de le transmettre, pourvu de ne pas l'immerger dans l'eau et de l'entretenir exclusivement avec une éponge non agressive, humide et du savon non abrasif. Voici une série de coussins combinant le motif Laurier noir et fleuri avec des tissus fleuri Elyseum. Le premier est un velours jacquard de lin, viscose et chenille croisé avec l’esprit Art Déco du motif végétal stylisé, structuré comme un géométrique. Ce velours est souple et doux, ne marque pas. Il est associé à un très joli semis fleuri particulièrement raffiné imprimé de manière traditionnelle sur une percale bisée, glacée, imprimée aux cadres. Elyseum est un authentique dessin XVIII° qui s’accorde à toutes les couleurs.
Ces quelque photos illustrent le conseil de l'équipe qui incite à ne pas craindre de mélanger plusieurs imprimés fleuris dans une même pièce. J'ai également appris les facultés acoustiques du velours, capable de piéger les ondes sonores dans ses poils, ce qui en fait est un appréciable "absorbeur de sons". Toiles de Mayenne en présente un, nommé Vadim, au poil dense et pas trop ras, lisse et mat, résistant aux marques d’usage. Mais il est fabriqué en Italie … du moins encore pour le moment. Sinon, toutes les matières premières sont sourcées en France sauf si elles n’y existent pas. Par exemple le lin vient d’Europe de l’Est mais on espère que la culture reprendra dans notre pays parce que cette matière première reste la spécialité numéro 1 de la marque.
L'impression se fait à Laval. La confection a lieu dans les salles adjacentes au show-room. Il y a en effet une grosse activité de sur-mesure. Mais on peut aussi acheter en prêt-à-poser, et j'ai remarqué des prix très accessibles. La coupe et le tissage sont effectués dans le bâtiment qui est près de l'abbaye, en bas du village, à la sortie ou à l'entrée, c'est selon.Les trois établissements sont parfois ouverts à la visite et je ne doute pas un instant combien ce doit être passionant.
Sans pouvoir parler d' "espace muséographique" on peut voir une Machine à coudre Railway au point de surjet avec tête Singer 81 K 24 à couteau raseur type 310 A.
Cette ancienne machine à coudre Singer, ancêtre des surjeteuses actuelles (un type particulier de machine à coudre, qui permet de couper, piquer et surfiler un ou deux tissus en une seule opération), de fabrication anglaise antérieure aux années 50, fut probablement utilisée dans les ateliers tant que des vêtements de travail y ont été fabriqués. Elle permettait d'effectuer un point de surjet tout en rasant le bord du tissu grâce à son couteau.
On est invité à parcourir librement l'exposition de photos commentées qui est installée en mezzanine et qui reprend, étape par étape, l'extraordinaire aventure de Toiles de Mayenne depuis l'acquisition de l'abbaye en 1806 par les deux parisiens Sophie Lewille et Jean-Pierre Horem, le développement de cette "usine à la campagne" mais aussi l'ouverture en 1835, donc 50 ans avant les lois de Jules Ferry, d'une école gratuite pour tous les élèves, garçons et filles, dont le maître était payé par la veuve Horem.C'est une véritable saga autour de la famille Denis qui prit la succession et qui fit oeuvre positive de "patronage" en construisant les maisons du village et même celle d'une chapelle en 1939. J'en retrace les grandes lignes dans l'article consacré à Fontaine-Daniel car leurs histoires sont imbriquées.Le département peut s'enorgueillir de sa présence comme de celle de 36 autres entreprises mayennaises telles que Enzo création (producteur de safran), Rillettes Gorronaises, l'Imprimerie Floch (d'où sortent par exemple les Prix Goncourt), la plumassière Lady Amherst, la Maison Royer (foies gras) ou Rossignol, expert en tri sélectif. Elles sont toutes mises à l'honneur dans l'espace d'exposition, prouvant une fois de plus qu'en Mayenne on joue collectif. C'est d'ailleurs Toiles de Mayenne que l'hôtel Marin auquel je fais allusion parmi les hébergements insolites a choisi pour effectuer sa rénovation.Labellisée Entreprise Française du Patrimoine Vivant depuis 2014, et France Terre Textile depuis 2021, la présence de Toiles de Mayenne à la grande exposition du Fabriqué en France à l'Elysée en juillet dernier fut une évidence. La reprise effectuée en 2018 par Jérôme CouasnonetClotilde Boutrolle est un heureux succès.Je voudrais pour terminer ajouter que l'entreprise recrute, régulièrement, et étudie les dossiers de demande de reconversion professionnelle, estimant avoir "notre part à assurer en formation". Je serais plus jeune je n'hésiterais pas longtemps à candidature.Pour achever de connaitre ce pan industriel il conviendrait de se rendre au musée des tisserands d'Ambrières-les-Vallées, installé dans trois authentiques maisons de tisserands du XVIII° siècle. On y retrace l'histoire du textile mayennais, centré sur le chanvre.Toiles de MayenneOuverture du mardi au samedi de 10 à 12 h 30 puis de 14 à 18 h 30A l'exception du week-end du 14 juillet et de la semaine du 15 aoûtFontaine-Daniel 53100 Saint-Georges-Buttavent - 02 43 00 34 80Vous pouvez, pour préparer votre venue et votre projet, envoyer au préalable vos mesures et photos à [email protected]Je vous conseille de prévoir la journée afin de découvrir tranquillement le si beau village, d'avoir le temps de faire un tour dans son épicerie solidaire qui est une vraie caverne d'Ali-baba, avec sa bouquinerie. On m'a dit aussi le plus grand bien de la boulangerie mais elle était fermée le jour de ma venue.