RETOUR À DUVERT
Portrait de Tony Duvert (site des Editions de Minuit).
En août 2008, la presse mentionnait un fait divers : le corps décédé de l’écrivain Tony Duvert avait été trouvé à son domicile, dans un petit village de Touraine où il vivait reclus. Il était mort depuis plusieurs semaines quand on l’a trouvé. Cette fin misérable d’un oublié est pourtant celle de celui qui avait pourtant été un écrivain célèbre, titulaire du Prix Médicis en 1973 pour « Paysage de fantaisie ». Un écrivain talentueux et scandaleux. Sa verve, son style et son talent polémiste faisaient merveille même si sa défense de la pédophilie, à restituer dans le contexte des années 70, lui conférait une aura sulfureuse. Discret, asocial, misanthrope et fuyant toute exposition médiatique, il finit par disparaître pour de bon après un ultime ouvrage, l’Abécédaire malveillant en 1989 et on entendit plus parler de lui jusqu’à cette macabre découverte de 2008.
Dans ma jeunesse révoltée, les romans et essais de Tony Duvert m’avaient transportés. J’y puisais une énergie, une soif de vivre mon homosexualité sans concession et une estime de soi que d’autres, plus connus (Jean-Louis Bory) ou plus théoriciens (Guy Hocquenghem), ne parvenaient pas à égaler. Et même si sa défense d’une érotique puérile m’était étrangère, sa parole m’était précieuse. Aussi, quand après la découverte de son corps dans la petite maison de Thoré-la-Rochette, Gilles Sebhan publia en 2010 Tony Duvert, l’enfant silencieux, je me jetais sur cette « résurgence biographique » afin d’en connaître un peu plus sur l’écrivain que j’avais adulé autrefois. L’ouvrage avait un goût de « trop peu », un je-ne-sais-quoi à côté de son sujet. Il était sans doute difficile de revenir en arrière et de faire appréhender un personnage qui n’aurait plus droit de cité aujourd’hui. J’ai lu le livre de Sebhan avec intérêt mais je dois avouer l’avoir oublié une fois refermé et rangé sur une étagère.
Mais l’auteur conscient de ses propres autocensures et ayant progressé dans sa recherche de témoignages et de matériau biographique revient aujourd’hui avec un nouvel opus : Retour à Duvert (édition Le Dilettante). Cette fois le sujet prend forme et vie : le mystérieux Tony Duvert s’anime, s’exprime et l’homme secret se dévoile au fur et à mesure de la narration de Sebhan. Des aspects que je connaissais et d’autres que je découvre et qui dressent un portrait d’un homme parfois attachant et touchant, parfois agaçant ou détestable mais toujours « ailleurs » vivant à l’écart d’un monde qui n’est pas le sien. Une fuite des autres et de lui-même qui ne peut qu’aboutir à la fin que l’on connaît, abandonné et oublié.
Si je connaissais le nom de quelques rares personnes ayant côtoyé Duvert (René Schérer entre-autres), je découvre enfin des témoins importants comme son frère et quelques un de ses amis qui lèvent le voile sur le mystère Duvert.
Le hasard de l’existence m’a fait vivre quelques temps à Tours quand Tony Duvert y habitait. Je connaissais son adresse rue Bretonneau (à côté du local du PCF, qui y est toujours), elle m’avait été soufflée par quelques rares privilégiés qui l’avaient approché et que j’enviais. Ceux-ci me racontaient ses colères brusques, ses provocations lors de dîners où la conversation ne l’intéressait plus, le goût du piano ou des chats… Je rêvais moi-aussi de rencontrer Duvert. A l’occasion d’une pétition pour l’abrogation des articles discriminatoires du Code Pénal à l’égard de l’homosexualité que nous faisions signer avant l’élection présidentielle de 1981, j’avais été furtivement rue Bretonneau glisser dans sa boîte aux lettres la pétition accompagnée d’un bref petit mot pour espérer son engagement. Quelques jours plus tard je recevais en retour la pétition signée, sans mot joint il me semble.
Un soir, passé comme à l’habitude dans un bar de place Plumereau, j’allais payer mes consommations au comptoir sans prêter attention au client un peu quelconque qui me cédait la place. Sur le comptoir je regardais machinalement le chèque qu’il avait laissé, je lu alors le nom de Tony Duvert. Je me retournais mais il était trop tard, je l’avais loupé… Sinon, qu’aurais-je bien pu lui dire qui n’ait pas été la maladresse d’une groupie ?
