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Rencontre avec frédéric mermoud pour le film "la voie royale"

Par Filou49 @blog_bazart
jeudi 10 août

 Frédéric Mermoud aime changer de registre.

Après avoir  signé « Moka », polar psychologique sur une héroïne  à la recherche obsessionnelle de l'homme qui a gâché sa vie, puis avoir enchaîné plusieurs épisodes de l'excellente série « Engrenages » de « Canal+ », le cinéaste suisse abandonne les rivages du film noir avec « La Voie royale » qu'on peut découvrir en salles depuis hier ( voir notre chronique du film ici même. 

Dans cette fiction sociale très maîtrisée, Frédéric Mermoud s'intéresse au cas de Sophie, une jeune fille conseillée par un professeur bienveillant, qui va intègrer en tant que boursière et pensionnaire une école renommée de Lyon qui prépare les étudiants aux plus prestigieux concours : les Mines, Polytechnique

L'occasion d'échanger avec lui sur la génèse du projet mais aussi sur la portée politique, initiatique et sociale de son film : 

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

 INTERVIEW AVEC FRÉDÉRIC MERMOUD 

La voie royale dépeint un univers plutôt caché, celui des grandes écoles françaises. Pourquoi ce sujet ?

Frédéric Mermoud :

À la base, je voulais refaire un film sur ce moment de la vie où une personne fait ses premiers vrais choix, ceux qui vont la définir, où l'on commence à écrire le roman de sa vie.

J'avais déjà amorcé ce sujet dans mes courts métrages, notamment dans "l'escalier" ou même en partie dans mon premier long "Complices" et j'avais très envie d'y revenir.

C'est un moment passionnant à raconter je trouve, quand on vit ses premiers amours, ses premiers choix professionnels,  quand on commence à devenir acteur de sa vie.

À cette idée de départ un peu abstraite,  s'est greffée cette arène très française des grandes écoles et c'est mon coscénariste, Anton Likiernik, qui me l'a apportée. 

Venant de Suisse mais vivant à Paris depuis bientôt vingt-cinq ans, j'avais sur la question un œil à la fois distancié et familier.

Je trouvais alors que c'était interessant de greffer les deux en imaginant une histoire d'une jeune fille issue d'un milieu moins favorisé que ses camarades d'école, afin que cette question des premiers choix ait une portée sociale et politique évidente.  

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

Le film évite de tomber dans les caricatures, là où il aurait été facile de dépeindre les méchants bourgeois d'un côté et la gentille famille ouvrière de l'autre.

 C'était un risque, oui. Le personnage de Sophie, par exemple, n'est pas issu d'un milieu défavorisé : nous avons voulu éviter le stéréotype du transfuge de classe à la Edouard Louis (ndlr : passé d'un milieu pauvre, sale et homophobe aux sphères intellectuelles).

Les parents de Sophie font partie de la classe moyenne, ce sont des exploitants agricoles qui découvrent le potentiel scientifique de leur fille et vont l'encourager à se lancer dans de hautes études.

En fait, plus qu'une question de classe, c'est surtout du centre et de la périphérie qu'il s'agit.

Comment pénétrer dans un monde d'entre-soi quand on vient de l'extérieur.

L'univers des classes préparatoires vous a semblé d'autant plus familier que, pendant l'écriture, votre fils a rejoint une prépa scientifique  d'après ce que j'ai pu voir, n'est ce pas?

Un pur hasard. était mon insider ! C'était sympa, mais aussi utile : des discours, par exemple celui du proviseur, reprennent des phrases que mon fils a effectivement entendues.

Globalement, le film a été très documenté, nous avons fait beaucoup de recherches, visité des lycées, rencontré des étudiants. 

Votre film mine de rien permet de monter les limites du  système de méritocratie verticale cher Pierre Bourdieu  qui semble reproduire une forme de sélection de classe..

 Oui tout à fait c'est un système assez paradoxal, presque à double tranchant.

Sur le papier, il récompense le mérite. Dans les faits, il bénéficie aux élites et peine à intégrer la diversité.

Comme le montre le parcours de Sophie dans le film, les gens hors milieu n'ont pas les codes, ni le même langage, ils se sentent facilement illégitimes.

Mais en même temps, ce système n'est pas du tout à jeter car il permet des dynamiques surprenantes, qui atteignent une forme d'excellence assez facilement identifiable et des carrières brillantes. 

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

On a l'impression que Sophie navigue un peu à vue à son  arrivée en prépa et que ses camarades savent beaucoup mieux qu’elle ce qu’ils veulent et que ce n'est qu'au fur et à mesure de son parcours que l'ambition la gagne …

Tout à fait :à vrai dire, , son professeur de  maths  de terminale qui est le premier à lui parler de ces classes prépa  l‘avait prévenue: la prépa va lui ouvrir le champ des possibles mais sans lui donner plus de détail. Et du coup, cela reste très abstrait pour Sophie.

Lors de la journée d’intégration, elle découvre que la plupart des élèves ont déjà un agenda: Diane veut intégrer Normale Sup pour faire de la recherche, Jules vise Polytechnique et veut créer des start-ups.

Chacun a déjà un plan de carrière ou un roman professionnel en train de s’écrire.

Tout le monde a déjà son destin en main car son contexte familial lui pemret, alors que Sophie est une page blanche.

Le film raconte alors subrepticement l’histoire d’une vocation qui va naître, et aussi d’un éveil politique auquel elle ne s’attendait pas.

 Sophie est un personnage très complexe, car même si elle peut apparaitre moins determinée que les autres au départ du moins ce n'est jamais  une victime…

C’était vraiment le parti pris à l’écriture. 

J'avais cette ambition d'être romanesque et réaliste à la fois. J’aime qu’un personnage ait les ressources de se battre, de réaliser des rêves et de se transformer.

De par son parcours et ses racines, Sophie est moins consciente de certains enjeux sociaux que Diane ou Hadrien, qui comprennent mieux qu’elle l’échiquier social et maîtrisent les codes qui le régissent.

Sophie est elle-même son premier obstacle. Mais elle va chercher à bousculer ce qui lui semble prédestiné.

C'est une vraie soldate, un vrai petit bélier qui a une capacité de résilience forte pour renverser tous les obstacles qui vont se retrouver sur leurs routes. 

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

Un des défis de votre film, c'est la question de savoir comment rendre " sexy" sur grand écran des matières aussi ésotériques sur le papier  que la physique ou les maths…

C'est en effet un vrai défi de filmer les sciences dures. La physique est intéressante, parce qu'elle permet une certaine dose de poésie mais c'est vrai que le cinéma, surtout français s'y est assez peu collé..

Sans me comparer à lui évidemment, Nolan réussit cette prouesse dans « Oppenheimer » : les personnages parlent ainsi des équations comme de la musique classique, qu'il faut travailler comme des gammes mais surtout « entendre ».

Dans mon film, Sophie doit expliquer pourquoi l'on est moins mouillé quand on marche sous la pluie que quand on reste stoïque.

Ou comment se comportent les bulles d'une bouteille d'eau gazeuse. C'est plus cinématographique qu'une équation mathématique.

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

Dans le rôle principal, Suzanne Jouannet donne au film un naturel assez bluffant… 

Sa puissance d'incarnation est une chance incroyable, oui.

Elle dégage à la fois quelque chose de très accessible et de bouleversant. Le moment du casting fut un moment clé, l'héroïne principale est presque dans toutes les séquences. Il fallait qu'elle les porte.

Je n'avais pas encore vu les choses humaines quand j'ai choisi Suzanne et heureusement, j'aurais tendance à dire, car ca aurait un peu parasité mes impressions de comédiennes que j'ai eu au casting. 

Quelles ont été vos indications de tournage à l'intention de Suzanne qui porte toutes les scènes sur ses épaules pour son second role au cinéma ?

 Il y a deux étapes très importantes pour moi: une première lecture où l’on parle de toutes les scènes, et puis le choix des costumes.

Le personnage se construit aussi à ce moment car il trouve «sa deuxième peau».

Suzanne a beaucoup préparé ce film: elle est allée dans l’élevage porcin où nous avons tourné pour apprendre les gestes des éleveurs, s’imprégner de l’univers ; elle a été aussi coachée sur la partie scientifique. 

Quand je vois la scène de l’oral de Polytechnique, qu’on a tournée à la fin, je mesure son parcours. À l’image de celui de son personnage.

De façon concrète, sur le plateau, je sais que je dois d’abord trouver les mouvements des personnages dans le décor, et qu’une fois ce mouvement trouvé, le cadre est donné pour permettre à l’acteur de libérer une proposition de jeu.

Je cherche à faire surgir le jeu de l’acteur pour qu’il transcende l’esprit de la scène, cela a beaucoup fonctionné avec Suzanne .

Votre film est visionnaire en quelque sorte puisqu'il a été écrit avant la remise en question de ces classes préparatoires qui veulent sortir du sytème.On pense au discours disruptif, très relayé par les médias, des étudiants d’AgroParisTech, lors de la remise des diplômes  du printemps 2022, contestant fortement le système que leur formation incarne…

En effet,  film a été écrit avant le Covid, et à ma connaissance il n’y avait pas encore eu de contestation de ce type.

On ne va pas dire que j'étais visionnaire mais quand on fait un film on a des antennes un peu partout et  l’intuition que portait le film a été validée. 

Depuis il y a eu les étudiants d’Agro mais aussi ceux de Polytechnique qui ont tenu des discours très engagés et profonds.

Ils ont aussi contesté avec succès l’implantation de Total en 2021 sur leur campus, puis ce fut le tour de LVMH.

Quelque chose était dans l’air que mon personnage avait déjà capté si je peux dire ( sourires)

Coomme on est sur Lyon, une dernière question sur le lieu de tournage . Pourquoi  le choix de cette ville Lyon et pourquoi inventer un lycée, le Lycée Descartes qui est fictif? 

On voulait tourner au lycée du Parc,  qui est LE vrai lycée d'excellence de Lyon,  mais il était en rénovation et c’était compliqué d’aller y faire des repérages et d’y travailler.

L’idée de départ était vraiment de mettre en scène une fille allant dans un lycée d’excellence en province pour que la question de monter à Paris ne parasite jamais son parcours.

Il n'y avait pas tant que cela de choix sur des grandes villes avec de très bonnes classes préparatoires qui ne soient pas dans la région parisienne, et puis très vite on a eu le feu vert d'Auvergne Rhône Alpes ciné pour le financement donc la question ne s'est plus posée.

On a trouvé aussi en repérages une ferme à Thizy Les Bourgs ( dans le Beaujolais) qui correspondait parfaitement à l'image que j'avais de l'exploitation des parents de Sophie, donc tout s'est bien goupillé à ce niveau là..

Pour la partie école, on a finalement tourné dans deux lycées lyonnais qui nous ont ouvert leurs portes très facilement  : la Martinière et Saint-Just  ..

Rencontre avec frédéric mermoud pour film voie royale

 Rencontre avec Frédéric Mermoud et Suzanne Jouannet le 7 août 2023

Merci à Auvergne Rhône alpes, le cinéma Lumière Terreaux et Pyramide films


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