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Rencontre avec Olivier Ducastel & Jacques Martineau pour la ressortie de "Jeanne et le garçon formidable"

Par Filou49 @blog_bazart
mardi 13 juin

Parmi tous les nouveaux films de ce mois de juin, se glisse la ressortie d’un film français iconique des années 90 : Jeanne et le garçon formidable, première œuvre des réalisateurs Olivier Ducastel et Jacques Martineau (qui vont ensuite confirmer leur coup d'essais avec des films comme Drôle de Félix ou Théo et Hugo dans le même bateau). 

 Avec cette comédie musicale amoureuse entre Virginie Ledoyen et Mathieu Demy, Ducastel et Martineau réalisent un film débordant de vie, une bouffée d’air frais solaire qui troque la gravité de son sujet pour mieux y extraire la flamboyante poésie.  

Une ressortie événement qu'on a présenté récemment avec beaucoup d'enthousiasme. 

Nous avons eu la chance de les rencontrer sur Lyon jeudi dernier et ils nous ont dévoilé quelques confidences sur leur vision du film avec leur regard d'aujourd'ui et à l'aune de leur carrière de 25 ans de cinéma :  

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

Qu'est qui a amené à la ressortie de ce film? C'est de votre propre chef? 

 Olivier Ducastel : Non, cette ressortie est avant tout liée  à la volonté de deux distributeurs, Malavida et Remora films, qui aiment énormément le film depuis .....euh, depuis 25 ans en fait ....

Quand ils ont vu que le film étaient exploitable, et a fortiori dans une très belle copie restaurée, plutôt que de faire juste une sortie DVD comme cela peut se faire souvent, ils ont fait le choix de le sortir en salles au motif qu'une comédie musicale, c'est bien mieux de le revoir sur grand écran que sur petit (rires)... 

Évidemment, on est très content de ce choix qui a été fait mais ce n'est pas du tout de notre initiative, il faut le savoir.

C'est une sorte de cadeau qu'on nous fait avec cette sortie en salles, on ne peut évidemment que s'en réjouir.

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

 Olivier Ducastel- Malavida films 

Et le fait que le film sorte pour les 25 ans de la sortie du film, c'est un hasard ou pas?

 OD  : Non, pas vraiment, je pense que le film aurait pu sortir il y a un an ou deux, mais l'occasion du quart de siècle  était trop belle pour ne pas la laisser passer .

 Vous mentionnez le fait que le film soit montré dans une superbe copie restaurée. C'est vrai que quand on le voit on a l'impression qu'il est tout neuf dans son rendu est beau, c'est impressionnant. 

 Jacques Martineau : Ah tout à fait je suis à 100% d'accord avec vous.

Je l'ai vu hier - NDLR : dimanche 4 juin-  à Paris où il était montré au public dans cette version et je me suis dit en effet qu'on avait l'impression qu'il avait été tourné hier. .C'est même plus beau que les copies qu'on avait il y a 25 ans.

 Et vous êtes beaucoup intervenus sur ce travail de restauration ou vous avez préféré faire confiance aux équipes qui travaillent dessus?

 OD : On y est pas mal allés en fait.  

Il faut savoir que le chef opérateur du film Matthieu Poirot-Delpech est décédé en 2017 soit peu de temps avant le début du travail de restauration.

 S'il avait été vivant,  on l'aurait très certainement laissé plus prendre le contrôle dessus, mais là, ça nous semblait important d'aller à trois étapes différentes du travail.

On était plutôt disponibles pour eux et j'avoue,  assez curieux de voir de l'intérieur ce processus de restauration.

 L'idée étant de s'approcher le plus possible  de la qualité des copies 35 mm de l'époque, de respecter le plus possible cette copie

L'équipe qui a travaillé sur cette restauration avait forcément besoin de notre œil de réalisateur sur certaines subtilités. 

C'est vrai que,  comme le dit Jacques, le résultat final est plus beau encore ce qu'on avait en 1998. Toutes les copies de l'époque étaient tirées d'un négatif de sécurité, ce qui faisait que la copie était déjà entachée de quelques défauts.

 JM: ah oui, je dirais qu’il y a un rendu presque des comédies musicales hollywoodiennes avec ce 35 mm à la sauce d'aujourd'hui , je trouve (rires) .

 Et au-delà de l'aspect technique, pensez-vous qu'on voit votre film de la même manière qu'en 1998 ou les gens le voient plus comme le reflet d'une époque passée? 

  JM (rires)  : ah, ça c'est le mystère qu'il va falloir éclaircir au cours des prochaines projections publiques du film. Comme je vous le disais,  quand je l'ai revu hier à Paris j'ai réussi à le voir comme un film complètement contemporain.

 Il y a 5 ans à Lyon, lors d’Écrans Mixtes, on l'avait projeté pour l'anniversaire des 20 ans du film et j'étais ressorti totalement déprimé de cette projection. Je ne voyais que le coté dégradé de la copie, les marques du temps qui ,là, pour le coup ont totalement disparu. 

Il n'y a plus du tout la distance qu'on pouvait avoir, nous quand on était jeunes,  à l'égard des films du patrimoine qu'on voyait toujours avec une copie un peu délabrée.

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

 OD: Personnellement, j'ai assisté il y a deux ans, sans Jacques,  à une projection de cette copie restaurée avec des lycéens. C'étaient  des jeunes qui venaient de voir 120 BPM, et à qui le professeur voulait montrer un autre témoignage des années SIDA. 

Je dois dire que j'étais très impressionné  de la pertinence de leurs regards et de leur connaissance sur le sujet...

 Je pense que la distance rend sans doute moins important ce qui peut avoir d'enregistrement de l'époque.

 Par exemple, à la sortie du film,  on nous a pas mal attaqué sur le côté militant du film, on nous reprochait notamment qu'on laissait trop de place à Act Up, ce genre de débats n'a évidemment plus court du tout aujourd'hui. 

Plus globalement, je pense qu'aujourd'hui la portée romanesque du film l'emporte sur le côté documentaire.

 À l'époque,  le film a semblé important dans la carrière de Virginie Ledoyen,c'est un de ceux qui ont vraiment contribué à la rendre célèbre, et en revoyant le film on comprend aisément pourquoi.

 OD: Virginie avait fait un certain nombre de films déjà l'époque -, elle avait déjà tourné avec Chabrol, Jacquot, Assayas notamment- et elle avait même beaucoup plus d'expérience que nous.

 Je me souviens même qu'au moment du tournage, on était assez contents de pouvoir s'appuyer sur cette expérience. Par exemple il faut savoir que le film a été tourné totalement dans le désordre, et c'était facile pour elle de gérer tout le parcours émotionnel de son personnage. 

 Mais oui, on peut dire assez humblement que jouer ce rôle a servi pour sa carrière, l'année d'après,  elle a pu tourner dans La Plage avec Di Caprio et on se dit qu’on n’y était peut-être pas pour rien (rires).

 Le naturel de son personnage, le fait qu'elle reflète parfaitement la jeunesse de l'époque a été pour elle une jolie carte de visite, je pense. 

JM : À ce sujet, j'ose espérer, que ce qu'on pouvait reprocher à ce personnage il y a 25 ans, à savoir sa liberté sexuelle, ou plutôt le fait qu'elle navigue d'un amant à un autre, ne scandalise plus personne aujourd'hui...

 Voir représenter ainsi une femme qui assume son désir et qui dit que ce n'est pas un problème de coucher avec trois personnes différentes, à l'époque cela passait très mal.

Là,  on va  quand même attendre de voir ce qu'en disent les réseaux sociaux (sourires), mais je pense quand même que ça passe bien mieux aujourd'hui... 

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

 Jacques Martineau -Malavida 

C'est vrai qu'à l'époque c'était vraiment très rare de voir un tel personnage féminin au cinéma ...

OD : Ca c'est certain.. La grande théorie que j'entendais beaucoup à l'époque c'est d'avoir voulu déguiser un personnage d'homosexuelle en femme hétérosexuelle, ce qui n'a jamais été notre intention..

Drôle de Félix, deux ans après a prouvé que on tenait notre personnage d'homosexuel et que c'était pas du tout Jeanne...

C'était limite militant quand même votre démarche, non: montrer qu'une femme pouvait assumer ses désirs en faisant fi des pressions sociétales. Autrement dit, votre film avait un coté #metoo avant l'heure , non?

OD: Oui sans doute,  mais c'est aussi autre chose qui nous animait. 

A cette période de l'épidémie, on avait envie de montrer que l'épidémie touchait les hétérosexuels et les toxicomanes, car au cinéma, le SIDA n'était que représenté par des figures homosexuelles......

JM: Pour moi, à l'écriture, mon intention était beaucoup moins d'assumer une femme libre et totalement maitresse de ses désirs que d'affirmer  que le SIDA n'empechait pas d'avoir une sexualité libre et normale..

A l'époque, c'était compliqué de faire entrer cela dans les moeurs, il a fallu se battre avec l'église notamment pour prouver que l'abstinence n'est pas la seule solution ( rires)..

Aujourd'hui je pense que tout le monde a intégré cet aspect là des choses.. 

25 ans plus tard, sans doute que les gens liront autre chose de ce personnage puisque comme vous le dites,  #metoo est passé par là...
La société a changé, donc forcément la lecture du film va s'en trouver modifiée.

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

Vous parliez de 120 Battemements par Minutes tout à l'heure et ce qui est interessant, quand on se penche sur la chronologie, c'est que dix ans après votre film, il y a "Les chansons d'amour" de Christophe Honoré qui s'inscrit dans la lignée de votre film du coté de la filiation Jacques Demy comédie musicale et que vingt ans après, c'est le film de Robin Campillo qui vient apporter une pierre supplémentaire de l'édifice des films français sur le cinéma. Vous avez conscience de l'importance de votre long métrage sur ces deux films cultes du cinéma français? 

JM : Mais vous savez qu'elle nous plait beaucoup votre théorie ( rires).  N'est ce pas Robin, que, sans nous tu n'aurais pas fait ton film?

Je peux me permettre cette famiiliarité, Robin est un ami très cher (rires)..

Cela dit, sous la boutade, Robin m'a confié qu'au moment de la sortie de notre film, il était super jaloux  parce qu'il n'était pas capable de passer à l'acte et qu'il a fallu 20 ans pour le faire..

En même temps il a eu beaucoup plus de succès que nous, donc c'était pas plus mal d'attendre, finalement.

Je ne peux pas trop parler pour Christophe Honoré car je ne le connais pas du tout,  mais concernant Robin, avec qui on a milité ensemble, je trouve ça très beau que nos films se répondent à 20 ans d'écart.

Je connais les personnages et l'histoire qu'il raconte, j'ai songé à raconter une histoire assez proche de celle ci donc franchement tout cela est très émouvant.

Du reste, c'est aussi émouvant de voir que nos deux films sont à l'affiche du Comoedia aujourd'hui nous avec Jeanne lui avec l'Ile rouge - voir notre chronique du film.

Il faut dire que cela ne nous est pas souvent arrivés d'avoir nos films qui sortent en même temps.

Il faut dire  aussi qu'il tourne pas beaucoup, enfin un peu plus que nous , tout de même ces dernières années- (rires ).

Je trouve ca assez formidable de prendre en photo la devanture du cinéma avec nos deux affiches l'une à coté de l'autre, je lui ai d'ailleurs envoyé la photo avec un petit texto... 

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

Quand vous avez du vous replonger dans le film à l'occasion de cette restauration, est- ce que cela a activé une certaine nostalgie chez vous en repensant aux jeunes réalisateurs que vous étiez en 1998, ou bien, portés par le coté tres moderne de cette restauration, vous revenez dessus avec un oeil presque neuf?

JD: Nostalgique, non,  je n'aime pas forcément cet état, je préfère largement la mélancolie..

Et puis ca serait un peu bête d'être nostalgique de quelque chose qu'on a été et qu'on est plus..

Je suis plutot heureux de l'avoir été, je regarde le film en étant quand même assez fiers de nous, j'y vois une certaine forme de jeunesse , il ya des choses que je ne saurais plus refaire...

On a eu pas mal de projets en 25 ans qui ne sont pas faits et du coup on a une forme d'auto censure désormais qu'on n'avait pas en soi à l'époque de Jeanne on était finalement beaucoup plus insouciant, voire inconscient et ca nous a permis d'oser plein de choses et de les réussir, je trouve..

OD : Nostalgique, comme Jacques, je ne pense pas l'être .

Mais en revoyant le film hier en salles, on s'est dit tous les deux qu'on avait eu beaucoup de chance de pouvoir réaliser le film dont on revait, avec, reconnaissons le, des moyens financiers confortables.

On n'a pas réussi, ensuite,  à faire le nécessaire pour avoir une nouvelle fois de tels moyens, comme le dit Jacques. On est restés sur des projets plus modestes, ce qui nous allait bien aussi, mais on aurait bien aimé avoir aussi la possibilité de porter un projet similaire.

On a eu deux autres projets de films musicaux qu'on a accompagné assez longtemps, dont une comédie musicale pour enfant avec effet spéciaux  tres ambitieuse, et une comédie musicale, plus récemment,  d'inspiration "les demoiselles de Rocohefort," mais malheureusement, pour plusieurs raisons, ils n'ont pu aboutir, pour le dernier, c'est le COVID qui nous a été fatal je pense .  

Sur Jeanne, c'est sur qu'on a eu aussi beaucoup de chance que tout soit passé relativement facilement... 

Rencontre avec Olivier Ducastel Jacques Martineau pour ressortie

Concernant vos projets de comédie musicale,vous auriez pu profiter de l'appel à projet de la CNC pour les comédies musicales dont certains comme Noémie  Lvovsky ou les frères Larrieu ont pu bénéficier, non?

OD: Oui,  bien sur, on y a bien songé, mais on ne s'y est pas pris comme il le fallait (rires)...

On a pas été stratèges et sans doute, avec le recul, un peu vaniteux..

On s'est trouvés en concurrence avec des réalisateurs qui avaient des projets plus avancés, très "clés en main",  alors que nous on avait juste le scénario et pas grand chose d'autre à annoncer à côté..

Une dernière question sur cette resortie. Pour l'instant, vu que vous avez encore peu fait de projections de cette ressortie, j'imagine que vous ne pouvez encore connaitre le profil sociologique et démographique de vos spectateurs.. Est-ce que des jeunes curieux ou des quinqua (ou quadra)  nostalgiques qui vont retourner voir Jeanne en salles?

JM : En effet, on a fait trop peu de projections et de plus plutôt dans des endroits trop marqué "cinéphiles purs et durs" , comme la Cinémathèque,  pour cerner le profil de nos spectateurs

Mais on a prévu une belle tournée dans les jours et semaines à venir,  on va bientôt le savoir, j'espère ! 

On aimerait beaucoup que des jeunes spectateurs voient le film avec un oeil tout neuf et nous disent comment ils l'ont perçu, c'est aussi, on vous l'avoue, un des gros intérêts de cette ressortie!   

Jeanne et le garçon formidable - au cinéma le 14 juin
d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau- Distribué par Malavida films 

 Merci au cinéma le Comoedia  et à 'Olivier Ducastel et Jacques Martineau-  


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