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Interview ciné : Jean-Paul Salomé, réalisateur de La Syndicaliste

Par Filou49 @blog_bazart
samedi 04 mars

 Après lui avoir donné le premier rôle dans "La Daronne", Jean-Paul Salomé renouvelle sa fructueuse collaboration avec l’actrice Isabelle Huppert, tête d’affiche de son film "La Syndicaliste",  un thriller politique glaçant, inspiré de l’histoire vraie de Maureen Kearney

Le film est en salles depuis mercredi - Retrouvez notre critique ici même.

Nous avons rencontré le réalisateur, de passage à Lyon en janvier dernier afin de satisfaire notre curiosité  : 

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 Bonjour Jean Paul, il parait que que ce projet de film est arrivé jusqu'à vous grâce à Twitter. Vous confirmez  à nous qui sommes des twittos un peu trop pathologiques ?  

Jean-Paul Salomé :  En effet, j'ai découvert l'histoire de Maureen Kearney par un tweet qui annonçait la sortie du livre de Caroline Michel-Aguirre qui menait une enquête approfondie sur cette histoire. 

Cela m’a intrigué et poussé à rencontrer cette dernière. J’ai lu le livre et je me suis dit  assez vite qu'il y avait là une histoire à raconter. Car cette histoire  allait au-delà d’une histoire traditionnelle de lanceur d’alerte.

Tous les lanceurs d’alerte ont des problèmes, ce n’est jamais un chemin pavé de pétales de rose, mais celui de Maureen était quand même pavé de beaucoup d’épines.  

Ce chemin de croix et le fait qu’il débouchait sur un événement d’une extrême violence physique et morale, je l’avais rarement vu à ce point.

C’était différent et cinématographiquement, cela obligeait le film à bifurquer à un moment.

On commence sur le ton d’un thriller politique, puis, parce qu’il y une agression d’une extrême violence qui bouscule le personnage et qui fait basculer sa vie, on passe à un thriller psychologique et au portrait de cette femme.

Je trouvais que c’était un mouvement de cinéma intéressant et assez neuf.

 Vous dites avoir rencontré Caroline Michel-Aguirre mais avez vous également rencontré la vraie Maureen Kearney pour préparer le film ?

 Jean-Paul Salomé  :  Avant même de travailler sur le scénario, on voulait avoir son accord ce qui me semblait des plus logiques à partir du moment où  on allait raconter son histoire.

On l’a rencontrée, on a rencontré sa famille, elle a lu le scénario et vu le film aussi.

Isabelle Huppert que vous avez déjà dirigé dans la Daronne, était- elle votre premier choix pour camper Maureen Kearney?

 Jean-Paul Salomé  : Après La Daronne, on avait très envie de retravailler ensemble.

J’ai très vite su qu’Isabelle était parfaite pour ce rôle, il y avait aussi une forme de similitude physique entre les deux femmes.

On a cherché la ressemblance physique au maximum dans le film aussi.

Les deux se sont rencontrées durant le tournage mais Isabelle a voulu garder une forme de liberté dans sa manière d’interpréter Maureen.

Isabelle adore jouer avec les costumes, les détails, l’enveloppe, elle aime créer un personnage. 

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Dans votre film, on a une dimension féministe importante car la syndicaliste est d’autant plus pressurisée qu’elle est une femme dans un univers de pouvoir d’hommes.

 Jean-Paul Salomé  : oui, elle subit tout cela parce que c’est une femme, mais aussi parce qu’il y avait une différence de classe sociale.

Elle évoluait au milieu de tous ces hommes de pouvoir qui souvent avaient fait les mêmes écoles mais elle ne faisait pas partie de ce monde.

Maureen Kearney a cru en faire partie parce qu’elle les fréquentait, parce qu’ils avaient besoin d’elle et qu’elle avait besoin d’eux, parce qu’ils travaillaient ensemble, parce qu’à l’époque avoir la paix sociale chez Areva c’était important et qu’elle pouvait gérer cela, et parce qu’il fallait que le nucléaire marche.

Mais le jour où elle a dépassé les bornes, où elle a gratté un peu trop fort, où elle les a contrariés, ce milieu lui a rappelé qu’elle ne faisait pas partie de ce monde.

Je pense qu' elle n’a jamais pensé qu’on pouvait lui faire tout ce qu’on lui a fait. 

Je trouvais cela assez intéressant  à mettre en images: quelqu’un proche du pouvoir, qui n’avait aucune velléité de pouvoir, mais qui pensait, à travers sa manière d’être, sa façon d’analyser les choses, les liens qu’elle avait tissés qu’elle était intouchable. Or,  elle ne l’a pas été, à cause de ces différences sociales et du fait qu’elle soit une femme dans un monde d’hommes.

Votre film a un coté très cinéma américain, les films de dossiers qu'on voit souvent nous viennent souvent d'Hollywood, en France, c'est plus rare et surtout plus ancien ,non?

 Jean-Paul Salomé  : Dans les années 60, 70 et même jusqu’au début des années 80, c’est un type de film qui a existé et qui sert aussi la diversité et l’honneur du cinéma français. Il y a eu par exemple les films de Costa-Gavras, d’Yves Boisset. Et en effet, cette tradition s’est perdue.

Le cinéma américain a toujours perpétré cette tradition avec les films de Pakula, Erin Brokovich  ou plus récemment  Spotlight mais dans le cinéma français les exemples récents sont beaucoup plus rares.

Je pense que c’est une frilosité, une difficulté de financements : on veut des comédies et on se dit que les Français veulent cela.

Mais je trouve cela quelque  peu dommage. Bref, lorsque ce sujet est venu à moi et que j’ai décidé de me lancer, je savais que cela allait ranimer la flamme de ce type de cinéma : j’étais assez excité de marcher dans les pas d’illustres prédécesseurs.

La scène du viol apparaît tardivement à l’écran, avez-vous songé à ne pas la montrer ?

 Jean-Paul Salomé J’ai rapidement eu l’instinct de cinéaste que c’était au moment où c’était une seconde victime, celle de Veolia, qui raconte son viol, que l’on pouvait montrer les images de l’agression de Maureen.

J’ai presque fait ce film pour ça, pour superposer les deux histoires.

C’était un challenge de mise en scène et de réalisation. J’ai tout fait pour ça, car c’est le moment où le spectateur se fait sa propre opinion. On lève les doutes…

Et c’est ce qui donne un éclairage incroyable à cette histoire.

Vous mentionnez les doutes qu'il  a fallu lever mais justement dans le film on sent chez vous l'envie,  forcément cinématographique, de construire le film en insufflant du doute dans l’histoire de Maureen ...Ca se positionne à quel niveau exactement?

 Jean-Paul Salomé :  Oui,  insuffler le doute est important car la Syndicaliste est un film de cinéma, et non un documentaire.

L’un des ressorts de son histoire réelle est que sa parole a été mise en doute. C’était il y a douze ans et la parole des femmes sur les agressions sexuelles était difficile à entendre à l’époque.

C’est heureusement moins le cas aujourd’hui.

Avoir des doutes à cette époque, dans le contexte, c’était crédible.

C’est en en parlant avec Isabelle Huppert et en avançant dans le travail scénaristique que je me suis posé la question  de rendre palpable ce doute et comment le faire comprendre aux spectateurs. 

Il fallait qu’on  mette le spectateur dans cette position inconfortable de douter. C’est également une manière plus fine de montrer le regard des hommes ...

Et c’est là que l’interprétation d’Isabelle est magistrale, elle n’a pas besoin de surjouer les choses pour que le doute s’installe chez le spectateur.

J’avais la comédienne idéale pour l'interpréter de manière sensible, précise et parcimonieuse. Enfin au montage, on a pu ou gommer ou doser certaines choses.

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Savez-vous si visionner votre film a eu des vertus thérapeutiques pour Maureen Kearney (NDLR : qui nous a également parlé de cela lors de notre rencontre dans le cadre du festival de société de Royan)? 

 Jean-Paul Salomé : En fait, pour en avoir reparlé récemment, Maureen et moi , je peux vous dire qu'elle m'a confié  que depuis peu, elle n'avait plus peur.

Elle a fait un gros travail avec un psychothérapeute spécialisé des traumas de guerre sur des soldats à l'hôpital Beaujon qui lui a permis de passer outre et d'accepter de vivre avec, en tout cas.

Par rapport au film, ça a été très violent la première fois qu'elle l'a vu parce que c'était l'antithèse de tout le travail qu'elle avait fait justement : rendre concrètes les images traumatisantes, se voir revivre des situations qu'elle avait vécues de l'Intérieur dans un état de sidération totale, qui l'avait décollée presque de ces événements.

 Donc tout d’un coup les revoir sur un écran avec le fait qu'Isabelle lui ressemble énormément, ça l’a bouleversée. D’autant que l’histoire est proche : le deuxième procès a eu lien en 2017, ce n’est pas très loin.

Ensuite, je sais que Maureen a refait son travail avec son thérapeute et m’a demandé un mois après à revoir le film, en salle avec des spectateurs. 

Et je suis sûr que de voir comment les spectateurs appréhendaient cette histoire, les interrogations que ça faisait naître chez eux et leur révolte, ça l’a beaucoup rassurée sur le film et sur sa portée.

Et quelque part, ça fait partie de ce travail de “deuil” même si elle en gardera toute sa vie une cicatrice ; en tout cas elle a retrouvé une distance.

Le film est le plus grand vecteur pour faire connaître son histoire, elle en a pris conscience, elle compte bien s’en servir au maximum.

_SYN2215 © 2022 Guy Ferrandis - Le Bureau Films

Avez vous, Jean Paul, recu des pressions économiques politiques ou autres en tournant ce film? 

Jean-Paul Salomé  :Nous savions dès le départ que nous n’allions pas tourner dans des centrales françaises et que nous n’aurions pas le soutien d’EDF pour raconter cette histoire vu le rôle que l’entreprise tient dans l’histoire réelle.

Nous avons tourné dans des centrales à charbon en Allemagne que nous avons renumérisées pour qu’elles soient parfaitement nucléaires.

Oui, il y a eu des pressions, notamment des financements régionaux que j’avais d’habitude et que je n’ai pas eus cette fois.  je sais,  il ne faut pas être paranoïaque, mais cela reste un peu étrange.

Les personnalités politiques des comités n’avaient sans doute pas envie d’être mêlés à cette histoire. Mais nous nous sommes débrouillés autrement.

On a  trouvé une coproduction en Allemagne,  qui nous a permis de combler le financement qui manquait.

Le principal, c’est que le film existe, mais il est évident que le sujet dérange.

Car et c'est cela qui montre encore la puissance du cinéma, ce film suscite des réactions alors qu’auparavant les personnes qui étaient incriminées et nommées ne s’étaient manifestées ni sur le livre, ni sur les documentaires, ni sur les émissions de radio.

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Et, est-ce que vous redoutez des éventuels retours peu amène des personnes concernées de près ou de loin par ce que raconte le film dans les semaines suivantes la sortie du film  ?

 Jean-Paul Salomé  :Je ne le redoute pas mais oui, le film va sans doute gratter là où ça fait mal.  À l’époque du livre de Caroline Michel-Aguirre, certains n’ont rien dit, il n’y a pas de raisons que ça change.

Ça va déranger, c’est certain, mais il faut savoir que le film se base sur des faits. solides.   C’est important que le public connaisse l’histoire de Maureen, au plus proche de la réalité.

S’apercevoir aussi que la justice, à un moment donné, n’a pas fait son travail, ou alors dans un sens pour défendre certains intérêts.

Le film s’inscrit aussi dans un climat très actuel sur la fameuse indépendance énergétique car c’est à partir d’une histoire comme ça que l’on a perdu notre indépendance énergétique. 

Maureen ne défendait pas le nucléaire mais les emplois liés au nucléaire.

C’est aussi le rôle du cinéma de faire de la politique, d’ouvrir le débat. 

 

Crédit photo : fabrice Schiff

Merci aux cinemas Pathé de  Lyon et au distributeur le Pacte

"Maureen ne défendait pas le nucléaire mais les emplois liés au nucléaire. C’est aussi le rôle du cinéma de faire de la politique et d’ouvrir le débat. La syndicaliste est autant aussi le portrait d’une femme qui se fait broyer par le système qu'une oeuvre qui se veut militante." pic.twitter.com/J0qNaiTpTN

— Baz'art (@blog_bazart) March 1, 2023

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