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Climat, liberté d’expression : deux conversations déprimantes ou les apories du progressisme citoyen

Publié le 14 décembre 2022 par Magazinenagg

 Par Nathalie MP Meyer.

Drôle de semaine, que je viens de passer. Non seulement tous les microbes de saison semblent s’être donné rendez-vous dans mon nez et ma gorge ce week-end, ce qui n’est jamais de nature à me faire voir la vie en rose, mais ils sont arrivés après deux conversations totalement déprimantes que j’avais eues successivement mercredi et jeudi sur les thèmes désormais incontournables de la chasse aux émissions de CO2 et du nécessaire encadrement de la liberté d’expression dans les démocraties.

Dans les deux cas, un dîner de plusieurs convives que je qualifierais d’éduqués, d’expérimentés et en excellente capacité de s’informer. Mais comme vous allez voir, la question est moins celle de l’information que celle de la dérive du raisonnement initial, lancé au nom de la préservation de l’esprit démocratique, dans des conclusions in fine autoritaires et, j’ose le dire, inhumaines. Ce que j’appelle en titre les apories, autrement dit les impasses délétères, du progressisme citoyen.

Mercredi : sauver l’humanité… et dénier aux pauvres leur droit à vivre mieux !

La conversation se porte je ne sais trop comment sur la proposition de Jean-Marc Jancovici de limiter les voyages aériens à trois ou quatre par personne sur la durée de toute une vie. Autour de la table, l’idée semble excellente, d’autant que beaucoup de gens ne voyageant pas, ils pourront céder leurs droits aux happy few qui se rendent en automne à Marrakech et au printemps à New York (ou le contraire ou ailleurs, peu importe).

Mais bref, l’ennemi public numéro un, la pollution suprême, c’est évidemment le CO2. Dire le contraire c’est être négationniste et seulement suggérer que les cycles du Soleil pourraient avoir un rôle à jouer dans l’évolution du climat, c’est carrément de l’infox. Je résume mais je ne trahis pas l’esprit de la conversation, mon mari est témoin. Et Dieu sait que sa bienveillance innée pour ses semblables, son côté « je regarde les autres avec l’œil de Sempé », le poussent souvent à se faire conciliant au nom de la bonne foi et des bonnes intentions supposées des locuteurs.

Mais continuons. On passe à quelques poncifs sur l’épuisement des ressources, sur le fait que les réserves de ceci ou de cela sont forcément physiquement limitées, sans penser une seule seconde au fait (que je me décide à évoquer, au risque de jeter un froid entre la poire et le fromage) que la combinaison des atomes est, elle, pratiquement infinie pour peu qu’on laisse l’inventivité humaine s’exprimer. Un peu de renfort quand même de la part d’un entrepreneur qui souligne à travers un exemple qu’il a vécu combien les évolutions technologiques permettent de produire plus et mieux avec moins.

Ah, peut-être, enclenche immédiatement le chasseur de CO2« mais de toute façon, le grave problème, c’est la croissance démographique ». J’objecte que le développement économique s’accompagne invariablement de la baisse de la natalité et j’ai à peine le temps d’ajouter « ainsi que d’une meilleure prise en compte des problématiques écologiques » qu’il me coupe pour s’exclamer : « Mais justement, c’est ça le problème ! Dès qu’ils accèdent au développement ils se mettent à polluer avec leurs voitures, leurs usines, leur électroménager, etc. » Je le répète, tout est vrai, mon mari est témoin.

« Ils », ce sont évidemment les pauvres, ceux de chez nous et ceux des pays en développement. Moi : « Vous préconisez de maintenir les pauvres dans leur pauvreté pour sauver la planète ? » Silence gêné. Quelqu’un fait remarquer que la politique n’est pas un sujet compatible avec le magnifique dessert qui arrive justement sur la table. Tout le monde opine, tout le monde mange, tout le monde s’extasie sur l’excellence des mets.

Jeudi : sauver la démocratie… et limiter le droit de vote !

Le lendemain, encore un dîner. Mais cette fois, je suis la puissance invitante et nous sommes entre très vieux copains. Occupée à touiller dans mes casseroles, j’entends à la volée un ami déclarer qu’il a quitté Twitter. Je l’interroge pour savoir si sa décision est en rapport avec le Twitter très (trop) bon chic bon genre d’avant Elon Musk ou au contraire si elle résulte de l’arrivée d’Elon Musk et de son ambition de renforcer la liberté d’expression sur ce réseau social.

Comme vous vous en doutez, c’est la seconde raison qui l’a motivé. Réintégrer Donald Trump qui a sali la démocratie et qui plus est le faire via un sondage parfaitement bidon sur Twitter, ce n’est pas défendre la liberté d’expression, c’est donner à fond dans le populisme de bas étage, c’est donner la parole à des séditieux incultes, c’est mettre en péril la démocratie.

D’ailleurs, ajoute quelqu’un, quand on voit sur quels critères complètement débiles les gens votent, genre un tel est beau, un tel est fort, c’est à se demander s’il ne faudrait pas limiter le droit de vote à ceux qui ont un minimum de conscience politique et de conscience des enjeux.

Moi : « Tu t’entendrais certainement très bien avec Aymeric Caron. Il pense qu’avant de voter, il faudrait passer un petit test destiné à vérifier à chaque scrutin que nous possédons bien les connaissances nécessaires ». Réponse : « Eh bien, tu vois, l’idée n’est pas si folle. » Moi : « Si je comprends bien, ton truc, c’est un peu comme le suffrage censitaire, c’est la réduction du corps électoral aux élites auto-proclamées et auto-adoubées. » À nouveau silence, fromage, dessert et sujets de conversation sans danger. Vous partez pour Noël ?

Encore une fois, j’insiste, tout est vrai, je n’invente rien, mon mari en est le témoin aussi atterré que scrupuleux.

Ce qui me frappe dans ces échanges, c’est de constater à quelle vitesse et avec quelle facilité il est possible de basculer d’une position très engagée et pleine de bonnes intentions humanistes et citoyennes sur les grandes valeurs d’ouverture de l’Occident à une position effroyablement autoritaire voire inhumaine envers tout ce qui contrarie certaines idées dominantes. C’est de voir à quel point tout ceci semble parfaitement naturel, parfaitement justifié et parfaitement souhaitable.

Prenez Aymeric Caron. Il n’est jamais le dernier à dénoncer et débusquer le fascisme partout où il se trouve au nom de la liberté et de la démocratie. On le suivrait volontiers s’il n’était évident qu’il est une liberté qui lui répugne particulièrement, celle des idées et des opinions. Ce n’est pas tant le niveau culturel et éducatif des votants qui le préoccupe – niveau dont on pensait d’ailleurs qu’il relevait au départ de notre fabuleuse Éducation nationale et de ses brillants diplômes largement répandus dans la société. C’est plutôt le désir impérieux de voir tout le monde se rallier à ses idées qui motive ses curieuses envies de sélection.

Comme l’écrivait Blaise Pascal dans ses Pensées, il se trouve hélas trop souvent, pour notre malheur, que qui veut faire l’ange, c’est-à-dire qui oublie sa condition d’homme limité et imparfait et se prend tout simplement pour un Dieu, fait en réalité la bête.

Mais l’astuce, la parade irréfragable, c’est d’avancer au nom de ses bonnes intentions humanistes, ce que Pascal lui-même, dans sa VIIème Provinciale, avait dénoncé dans le concept jésuite de « direction d’intention ». Tout repose sur la « pureté de l’intention », une intention adéquatement travaillée et modelée pour faire ressortir l’intrinsèque bonté de qui l’abrite en son cœur et une intention qui seule doit entrer en ligne de compte au moment d’évaluer l’action, y compris dans tout ce qu’elle pourrait avoir de mauvais, de raté ou de dommageable à autrui.

Comme je le disais au début de cet article, déprimant.


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