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Des poèmes de Roberto Juarroz

Par Etcetera
Des poèmes de Roberto JuarrozCouverture chez Gallimard

J’ai trouvé ces poèmes dans le recueil paru en 2021 chez Poésie/Gallimard Poésies verticales (I-Il-III-IV-XI) en édition bilingue, traduit de l’espagnol par Fernand Verhesen.

Note sur le Poète

Roberto Juarroz (1925-1995). Poète et écrivain argentin. Il fait des études de philosophie et de littérature, dont une année à la Sorbonne. Il commence à écrire ses « Poésies verticales« , dont aucun poème n’a de titre, à partir de 1958 et ne cessera plus jusqu’à sa mort en 1995.

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Extrait de la Première poésie verticale (1958)

(Page 39)

Je pense qu’en ce moment
il n’est peut-être personne au monde qui pense à moi,
que moi seul je me pense,
et que si je mourais maintenant,
personne, pas même moi, ne me penserait.

Et voici que commence l’abîme,
comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre appui et je m’en prive.
Je contribue à tapisser d’absence toute chose.

C’est peut-être pour cela
que penser à un homme
revient à le sauver.

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Extrait de la Deuxième poésie verticale (1963)

(page 77)

Il y a un style de la nuit.
Mais la nuit émerge parfois de son style
et fonde une plastique nouvelle,
un langage de distances différentes,
un volume sans passion
de passion informulée.
Les arbres et les autres choses qui s’appuient sur la nuit
sentent soudain la nuit s’appuyer sur eux,
comme s’ils devaient la guider en son tâtonnement inédit,
en sa recherche d’un autre ton du noir.
Et la lune, qui était la lune dans le style de la nuit,
devient la peau d’un imminent baptême,
la précoce initiale d’une aventure semblable à une forme,
mais plus dense qu’elle,
quelque chose comme une forme qui contiendrait la
masse de tout.

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Extrait de la Troisième poésie verticale (1965)

(Page 127)

13

Les pensées tombent comme les feuilles,
pourrissent comme le fruit sans dents,
donnent de l’ombre parfois
et parfois sont quelque chose comme la lèvre maigre
d’une branche dénudée.

Il y a des corps qui gercent l’espace,
le brisent en le remplissant,
le blessent comme le pain blesse certaines bouches.
Il y a des ombres qui guérissent cet espace,
cicatrisent les blessures qui lui firent ses corps,
en les replaçant
à partir d’un lieu plus intime.

Les pensées tombent comme les feuilles
et pourrissent comme le fruit,
mais elles n’ont pas de racines
et ne se meuvent pas dans le vent.
Plus maigres que les corps et leurs ombres,
elles ne gercent et ne guérissent pas l’espace :
elles sont un arbre d’espace,
planté, sans racine, au centre.

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