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Café Gourmand – 42ème Festival International du Film d’Amiens

Par Le7cafe @le7cafe

Our Lady of the Chinese Shop, Sur le Fil du Zénith et Children of the Mist.

Le 42ème Festival International du Film d'Amiens s'est tenu cette année du 11 au 19 novembre. Avec plus d'une centaine de films au sein de sa programmation, c'est l'un des festivals cinématographiques les plus riches et importants du nord de la France. Surtout, la grande variété de propositions permet à chaque spectateur d'en faire ce qu'il souhaite selon les séances qu'il choisit - classique ou contemporain, chefs-d'œuvre légendaires ou pépites méconnues, fictions ou documentaires, il y en a pour tous les goûts et pour tous les âges. Pour moi, c'est avant tout un événement dédié à la découverte, qui permet d'élargir mes horizons et de goûter à un cinéma venu du monde entier : Angola, Gabon, Vietnam...

C'est le voyage que je propose ici, du réalisme magique angolais d'Our Lady of the Chinese Shop au fascinant documentaire vietnamien Children of the Mist, en passant par le rayonnant Sur le Fil du Zénith tout droit venu du Gabon. Chacun de ces films est unique mais tous se répondent, l'un trouvant écho dans les thématiques de l'autre. Tous ont été présentés au sein de la compétition internationale, offrant à Our Lady of the Chinese Shop le Prix du Jury et à Children of the Mist le Prix du Jury Étudiants et le Prix Documentaire sur Grand Écran.

OUR LADY OF THE CHINESE SHOP - Angola perdu - 6,75 / 10

Café Gourmand – 42ème Festival International du Film d’Amiens

L'Angola a été une terre majeure du cinéma africain. À l'époque où ce dernier prenait son indépendance, il a livré avec Sambizanga (1972) l'un des plus grands classiques du 7ème Art en Afrique. Sa réalisatrice était la première cinéaste du continent, Sarah Maldoror - incidemment, elle est aussi la mère d'Annouchka de Andrade, ancienne directrice artistique du Festival International du Film d'Amiens. Our Lady of the Chinese Shop était donc une parfaite entrée en matière pour la toute première séance de la 42ème édition d'un évènement qui s'est toujours donné pour mission - entre autres - de représenter le cinéma d'un continent trop souvent oublié.

Le réalisateur Ery Claver s'était déjà illustré comme scénariste du récent Air Conditioner. De ce premier film, il reprend certains codes : en premier lieu, une esthétique léchée, entre extérieurs chauds et sablonneux et nuits éclairées au néon polychrome. Mais aussi et surtout la volonté de dépeindre les réalités d'un pays qui nous est étranger, sans pour autant faire de concessions sur la poésie de son œuvre et signant ainsi une nouvelle veine de réalisme magique, comme pouvait le faire L'Esprit de la Ruche en son temps.

Les vérités les plus profondes se dissimulent ici dans ce que l'on ne voit pas. Chaque personnage lutte contre l'absence, le deuil et la perte ; qu'elle soit celle de la santé, d'une fille, de l'être aimé, d'un chien, ou de repères... Ils se font les miroirs d'un Angola meurtri par un passé colonial, une classe politique corrompue et l'emprise économique insidieuse de la Chine en Afrique. C'est pour affronter ce deuil que les personnages se tournent vers le spirituel, entre animisme traditionnel et christianisme colonial. Mais les Vierges en plastique de l'échoppe chinoise peuvent-elles vraiment faire des miracles ?

C'est vrai, Our Lady of the Chinese Shop regorge des imperfections d'un premier film, et semble parfois trébucher sur le chemin qu'il souhaite se tracer. Il souffre d'un rythme inégal, principalement impacté par un prologue placé aux deux tiers du film. Enfin, une narration très (trop) présente, notamment au début du film, peut freiner l'immersion du spectateur. Et pourtant, bien que je ne puisse fermer les yeux sur ces écarts, il continue d'exercer sur moi une mystérieuse fascination.

C'est précisément parce qu'il est inexpérimenté qu'Our Lady of the Chinese Shop est aussi audacieux, sincère et puissant dans ses allégories. Car pour tous ses égarements, le poème visuel de Claver se pare d'images purement magiques et parvient à convoquer des séquences splendides, particulièrement dans un dernier acte qui le conclut avec brio. Ery Claver se bâtit un monde à part entière, pas tout à fait vrai mais jamais très loin de la réalité, et transcende Luanda pour en faire une nouvelle capitale du cinéma contemporain.

SUR LE FIL DU ZÉNITH - Film rituel - 7,5 / 10

Café Gourmand – 42ème Festival International du Film d’Amiens

Le spirituel est une dimension de l'âme humaine qu'il n'est pas aisé de représenter, une dimension vécue de l'intérieur plus qu'elle ne peut être exprimée par l'expérience scientifique. Concrétiser l'invisible de la foi est une qualité rare. Que cette qualité parcoure Sur le Fil du Zénith est une preuve de la maîtrise et de la finesse de la caméra de Natyvel Pontalier.

Qui étions-nous avant d'être découverts ?Natyvel Pontalier

Née au Gabon et vivant aujourd'hui en Belgique, la cinéaste se trouve confrontée à une vive crise identitaire. Son drame est la perte de son histoire familiale, de secrets que ses aînés se refusent de lui dévoiler. Plus encore, la perte de l'histoire de son pays, dont rien - ou presque - ne subsiste de l'époque précoloniale. Face à ce deuil à la fois intime et national, à l'instar des personnages d' Our Lady of the Chinese Shop, elle retourne au Gabon à la recherche de réponses enfouies dans les traditions rituelles de sa tribu : les Fang.

Ce qu'elle y trouve est une foi propre à l'Afrique, mélange d'un catholicisme importé et de traditions animistes ancestrales. Ce spiritualisme est un lien ; entre les croyants, entre les vivants et les morts, entre le ciel et la terre, entre le royaume invisible et notre réalité tangible. Partout le film nous reconnecte à la nature et ses forces indicibles, utilisant la forêt, l'eau, le feu et le soleil comme les liants immuables de son montage.

Pontalier pensait, de son propre aveu, aller filmer des rituels en voie de disparition. Les images qu'elle convoque sont tout le contraire : solaires, chaleureuses et bruissantes de vie, pleines du respect et de la précision d'un magnifique geste documentaire. Sur le Fil du Zénith offre à son spectateur une douce respiration. Les vérités invisibles sont à portée de tous, pourvu qu'on ose tendre la main.

CHILDREN OF THE MIST - L'acte de ne pas agir - 8,25 / 10

Café Gourmand – 42ème Festival International du Film d’Amiens

À l'université, j'avais un professeur d'histoire des techniques qui nous mettait régulièrement en garde contre ce qu'il appelait le syndrome d'Obélix. C'est à dire, grossièrement, le fait de s'écrier " Ils sont fous ces Romains / Grecs / Étrusques / Autres " face à une culture et des coutumes que l'on ne comprend pas, et d'en rester là. En découvrant Children of the Mist au 42ème FIFAM, j'ai beaucoup repensé à ce syndrome.

Ha Le Diem filme son amie d'enfance, Di, qui vient de fêter ses douze ans. Cette dernière appartient à la communauté Hmong, une minorité ethnique des montagnes du Nord-Vietnam. Là-bas, perpétuellement cachées aux yeux du monde par une brume qui ne se lève jamais, persistent des traditions ancestrales qui, ailleurs, ont disparu. L'une d'entre elles veut qu'au Nouvel An lunaire, les jeunes filles soient enlevées par leur prétendant avant leur mariage. Di sait que son destin va bientôt la rattraper. La seule question n'est pas si, mais quand ?

Comme le procès de, Children of the Mist nous met face à une situation qu'il est très facile de juger mais bien plus complexe à comprendre. La coutume d'enlèvement des jeunes filles paraît, aux yeux du spectateur occidental, patriarcale, foncièrement obsolète et franchement misogyne. Et elle l'est, dans une certaine mesure. Mais quelle est le rôle que cette tradition joue dans la société Hmong, pour qu'aujourd'hui encore elle se perpétue ?

La démarche anthropologique de la cinéaste se révèle bien plus fine que l'on pourrait s'y attendre. Son documentaire met en lumière une pyramide de dynamiques sociales et sociétales : la pression mise sur les jeunes filles mais aussi les jeunes hommes pour prendre part à la tradition, le rôle ambivalent des parents, les ravages d'un alcoolisme latent à toutes les strates de la communauté - pour inhiber le jugement ou mieux faire passer la pilule... Y compris dans le cadre de la tradition, où le mariage comme la rupture doivent être scellés par deux shots d'alcool de riz. Mais il y a une condition. La décision finale ne peut et ne doit revenir qu'aux enfants eux-mêmes, reléguant parents, amis ou documentariste au rang d'acteurs passifs, et contraints de l'être.

Réaliser un documentaire, ce n'est pas seulement se placer en observateur, mais c'est choisir l'acte de ne pas agir. Et c'est un acte qui a un coût. À plusieurs reprises dans Children of the Mist, on aimerait que Diem intervienne. Elle n'en a pas le droit, même si elle aussi le voudrait, comme on l'entend pleurer, implorer derrière la caméra. Lors d'une des séquences les plus douloureuses du film, Di appelle Diem au secours et tout ce qu'elle peut faire est de crier vers sa mère " Fais quelque chose ! ".

Pourtant, c'est par le documentaire que la réalisatrice surpasse les interdits culturels. Elle ne peut agir physiquement, mais en choisissant de filmer, elle donne corps et âme à son impuissance, sa tristesse et sa souffrance. Voilà le pouvoir d'un grand documentaire ; agissant par ricochet, perçant l'écran de fumée entourant les montagnes Hmong pour nous révéler ce qui s'y dissimule. Assis dans la salle de cinéma, nous sommes aussi impuissants que Diem. Mais maintenant nous avons vu, et nous savons.

Alors, sont-ils fous ces Vietnamiens ?

Café Gourmand – 42ème Festival International du Film d’Amiens

- Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à leurs ayants-droits respectifs, et c'est très bien comme ça

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