Magazine Cinéma

"Mes couleurs...elles coulent dans mes veines..."

Par Damien Barthel

Spoilers...

Voici un de mes films préférés. Un film que j'ai découvert sur Canal + il y à longtemps (en 2001), via l'émission, géniale et défunte (elle a duré de 1998 à 2002) de Jean-Pierre Dionnet, "Quartier Interdit", qui diffusait, chaque semaine, un film d'horreur, gore ou trash, bizarre, un film rarement diffusé et en tout cas, pas le genre de film à être diffusé à 20h50 sur France 2 ou M6. Le même Dionnet avait une autre émission, bien plus ancienne (de 1989 à 2007), "Cinéma de Quartier", qui diffusait de vieux films (de tous genres : westerns, fantastique, péplums, guerre, drames, comédies, SF, horreur non gore, aventures), là aussi de manière hebdomadaire. C'est en grande partie l'arrêt de cette émission, en 2007, qui m'a poussé à arrêter mon abonnement à la chaîne cryptée, pour tout vous dire. Mais revenons au film que je veux réaborder (l'ancienne chronique remontait à 2009 et commençait à sentir le moisi). Je l'ai donc découvert courant 2001 via "Quartier Interdit", et je n'avais tout simplement jamais entendu parler de ce film avant de le voir programmé dans cette émission qui m'a fait découvrir ou redécouvrir des films tels que La Dernière Maison Sur La Gauche, L'Enfer Des Zombies, Le Corps Et Le Fouet, Les Feebles, Flesh Gordon, Les Raisins De La Mort et autres Henry : Portrait Of A Serial Killer. Déjà adorateur de films d'angoisse et d'épouvante, et notamment des films italiens des années 60/70 (Dario Argento, Mario Bava, Lucio Fulci...), j'avais été très intéressé par ce film, dont je n'attendait, je dois dire, franchement peu de choses avant de le visionner. Ce film est réalisé en 1976 par Pupi Avati (un réalisateur ayant contribué au scénaio du Salo Ou Les 20 Journées De Sodome de Pasolini, et ayant réalisé un grand nombre de films, de son premier en 1970 à son dernier en date, en 2014). Il porte un titre qui ne pouvait que fortement me donner envie de le regarder. 

 

Ce titre, en effet, c'est La Maison Aux Fenêtres Qui Rient. Alias, en VO, La Casa Dalle Finestre Che Ridono. Le film a obtenu, en 1979, le Prix de la Critique au Festival du film fantastique de Paris, et a été nominé, en 1983, au prix du meilleur film au festival Fantasporto. Je ne sais pas si le film est sorti en salles en France, toujours est-il qu'il n'existe aucune affiche française du film hormis celle du DVD, et d'une antique édition VHS de 1991 pour laquelle le film fut renommé La Porte De L'Enfer. Ce qui est d'un stupide intersidéral car non seulement il n'y à pas de porte de l'enfer dans le film (et le visuel de la VHS avec ces mains qui sortent de terre est totalement idiot, rien de tel dans le film), mais on pourrait croire à un film fantastique alors que c'est un film d'horreur sans élément fantastique. Un film d'angoisse et de suspense, un thriller. J'aurais limite envie de dire que c'es un giallo (thriller horrifique typiquement italien, genre dans lequel Bava et Argento se sont surpassés), mais en fait, non, il n'en respecte pas tous les codes. Mais on n'en est pas loin, au final. Déjà dans son titre étrange, nébuleux, qui augure de quelques mystères dans l'intrigue du film, et qui fait penser aux titres des gialli d'Argento (la fameuse "trilogie animalière" de 1969/1971, des films aux titres tels que Quatre Mouches De Velours Gris ou Le Chat A Neuf Queues) et d'autres réalisateurs.

 
 

Le film est interprété par des acteurs sans doute assez connus en Italie, mais qui ne le sont pas en France, hormis le premier cité, qui a joué dans Le Jardin Des Finzi Contini en 1970, Lino Capolicchio. On a aussi Francesca Marciano, Gianni Cavina, Eugene Walter, Bob Tonelli, Giulio Pizzirani, Ferdinando Orlandi, Pina Borione, Pietro Brambilla, Andrea Matteuzi, Flavia Giorgi et Vanna Busoni, vous voyez bien que ce ne sont pas des acteurs connus en dehors de l'Italie (et encore, même en Italie, ces noms ne doivent pas dire grand chose à certains). La musique du film, signée Amedeo Tommasi, est tour à tour très calme ou franchement angoissante, et fonctionne parfaitement selon les scènes où elle est employée (les thèmes lugubres accentuent le côté glauque et angoissant du film). Le scénario est signé Pupi Avati, de son frangin Antonio, de Maurizio Constanto et de l'acteur Gianni Cavina qui joue dans le film. La réalisation est solide, la photographietrès belle (le film date certes de 1976, mais à le voir, n'a pas pris un trop gros coup dans l'aile). Le seul reproche que je peux faire à ce film, c'est son doublage VF : épouvantable, tout simplement, entre voix qui ne cadrent pas avec les personnages, intonations ratées... mais le DVD ne propose pas de sous-titrages français pour le film : la VF ou la VO italienne pure, sans sous-titres, alors à moins d'être italophone... De toute façon, étant donné qu'en Italie, on redubbait souvent, en studio, les voix après le tournage, il doit y avoir, même en VO, un effet 'doublage' dans le film, et ce n'est jamais totalement réussi !

L'action de ce film se passe au moment de la réalisation (aucune date n'est donnée, mais les véhicules et matériel indiquent que l'action est contemporaine à la réalisation), dans un petit village situé non loin de Ferrare, dans la région d'Emilie-Romagne, en Italie, vers les Valli di Comacchio (bassins de pisciculture). Cette région d'Italie, campagnarde, est celle de la naissance de personnalités telles que Pasolini, Antonioni, Fellini, Bertolucci, Luciano Pavarotti, du cycliste Marco Pantani, de Laura Pausini, d'Enzo Ferrari, du skieur Alberto Tomba, de Zucchero, Ferruccio Lamborghini (fondateur de la marque), Laura Betti, mais aussi du sinistrement célèbre Mussolini. C'est la fin de la partie historique de l'article, on va maintenant parler du film tel quel. Stefano (Lino Capolicchio) est un jeune artiste peintre et restaurateur, qui arrive dans un petit village d'Emilie-Romagne où il a été engagé pour restaurer une fresque située dans l'église communale. Cette fresque représente le martyr de Saint Sébastien (un saint qui fut criblé de flèches), dans un style très réaliste et choquant. La fresque est bien abimée, seul le centre (le saint) est visible, le reste est recouvert de salissures et moisissures. Stefano apprend du prêtre (Eugene Walter) que le peintre, mort depuis une vingtaine d'années, et qui s'appelaie Bruno Legnani, était fou. Stefano commence son travail et s'installe à l'auberge du petit village, faisant la connaissance avec Francesca (Francesca Marciano), arrivée en même temps que lui, qui commence un travail d'institutrice.

 
 
 

Stefano retrouve, au village, Antonio (Giulio Pizzirani), un ami, qui travaille dans les bassins de pisciculture pour les étudier, et qui est à l'origine de l'arrivée de Stefano au village (ayant intercédé pour qu'on l'engage pour la restauration de la fresque). Antonio lui dit qu'il y à de lourds secrets dans le village, que les habitants ne sont pas des plus amicaux en général, et qu'il y à des choses qu'il doit lui dire, notamment au sujet d'une maison dont les fenêtres rient. Quelques jours plus tard, alors que Stefano continue son travail, Antonio est retrouvé mort, il tombe d'une fenêtre et se fracasse la tête au sol. Ayant vu la scène, Stefano est persuadé que ce n'est pas un accident. D'autant plus qu'il va commencer à recevoir des appels téléphoniques curieux et menaçants. Et puis, un jour, on lui annonce que sa chambre d'hôtel va devoir être libérée pour un client fidèle venu en cure (il y à une cure thermale en ville). Grâce à Lidio (Pietro Brambilla), le bedeau de l'église, un homme curieux et selon toutes apparences un peu idiot, il s'installe au rez-de-chaussée d'une maison isolée et un peu décrépite, située dans un grand parc, et inhabitée. Enfin, sauf à l'étage, où vit une vieille dame impotente dans son lit (Pina Borione), que Stefano trouve assez sympathique. Intrigué par les dires un peu avinés de Capolla (Gianni Cavina), le chauffeur du maire, qui, publiquement, à l'auberge, a clamé qu'il savait des choses et qu'il en avait marre de se taire, Stefano décide de lui tirer les vers du nez. Il en apprend plus sur Legnani, le fameux peintre, surnommé le "peintre de l'agonie" car non seulement il mélangeait son propre sang à ses couleurs mais il adorait peindre des gens sur le point de mourir, sur leurs lits de mort (dont la propre mère de Cappola).

 
 

Capolla lui parle des deux soeurs du peintre, qui selon lui étaient aussi dingues que lui (le peintre s'est immolé par le feu) et le fournissaient en modèles. Autrement dit, comme le peintre peignait des moribonds, elles se chargeaient parfois de tuer pour qu'il représente les victimes. Victimes qui, selon lui, sont enterrées dans le sol devant l'ancienne maison du peintre, située au bord de la route, et dont une des façades montre des bouches autour des fenêtres (Stefano comprend ainsi la très nébuleuse allusion de son ami Antonio sur une maison aux fenêtres qui rient). Stefano (qui démarre une relation sentimentale avec Francesca, qui s'installe avec lui dans la villa) découvre rapidement, dans le grenier de la maison, un magnétophone à bande. On y entend un homme parler, d'une voix froide, apeurée et atone, de couleurs, de veines, de peinture, un vrai délire monomaniaque terrifiant. Stefano est persuadé qu'il s'agit de la voix du peintre, mais alors qu'il fait venir Coppola chez lui pour lui faire écouter la bande, celle-ci se retrouve effacée. Il se rend aussi compte, au fur et à mesure qu'il restaure la fresque, que deux personnages féminins grimaçants et armés de couteaux de boucher sont de chaque côté du saint martyr, et que ces deux femmes ressemblent beaucoup aux soeurs de Legnani. Un jour, il a la désagréable surprise de constater que quelqu'un a massacré la fresque dans l'église avec de l'acide, nouvelle menace. Le piège va lentement se refermer sur un Stefano avide de vérité, une vérité qu'aucun des habitants du village ne veut voir ressurgir...

Je ne vais pas révéler le final du film, mais sachez qu'il est du genre qu'on n'oublie pas. La Maison Aux Fenêtres Qui Rient est un film qui distille une atmosphère lugubre, glauque, vraiment angoissante (et la musique de Tommasi y est pour pas mal), et quand on voit le film pour la première fois, il est littéralement impossible de deviner le final. Ce film, un vrai chef d'oeuvre du genre, prouve qu'il n'y à pas besoin de déferlements gore (il y en à un petit peu, vers la fin, sans oublier le très étrange et marquant générique - j'en parle juste après - mais pas tant que ça) et d'éléments fantastique pour foutre les jetons. Rien de surnaturel ici, le film est un thriller de suspense, tout simplement, sur un lourd secret collectif enfoui et qui sera découvert par un jeune curieux, intrus au village, et que rien ne fera flancher. Personnages étranges et louches (on les soupçonne tous, même si tous ne sont pas négatifs ; aucun n'est, en tout cas, totalement innocent), ambiance pesante, musique glauque, réalisation intelligente, scénario diabolique, tout concourt à faire de ce film un régal dans son genre. On notera la beauté rustique de la région de tournage, sublimée dans le film, et qui participe pleinement à la réussite de l'ensemble : à la différence de pas mal de films du genre qui se passent dans de grandes villes, ici, c'est en pleine campagne, dans un village paumé et d'apparence charmante que l'horreur a lieu.

Et comme je l'ai dit, un autre atout du film c'est son générique de début. Il est du genre inoubliable là aussi. On y voit un homme, attaché par les bras à un crochet au plafond, comme un quartier de viande, torse nu, en train de se faire planter par des couteaux de boucher. On l'entend hurler atrocement avant que ses cris ne cèdent la place à la voix du peintre (la même que par la suite, on entend dans le film, et disant les mêmes mots) énoncer une litanie glauque et oppressante sur les couleurs, d'une voix terrifiante et terrifiée (la VF est pourrie, mais au moins, pour cette voix, on ressent des frissons tant elle inspire l'inquiétude et la folie). Tout en continuant de voir ce supplicié. Le tout, avec des teintes sépia crades qui ne permettent pas de voir les décors et qui font très snuff movie. On est direct dans le ton avec ce générique qui interdit définitivement au film toute diffusion en première partie de soirée. On est d'emblée mal à l'aise, et on se demande à quelle sauce le reste du film (qui dure 105 minutes) va nous manger. Si le reste du film est doté d'un rythme assez (volontairement) lent, sous le soleil d'Emilie-Romagne, son final, comme je l'ai dit plus haut et sans le révéler, est du genre à vous scotcher sur votre siège. Le genre de final qui donne férocement envie de revoir le film pour voir si ça fonctionne tout aussi bien en sachant ce qui se passe à la fin (et la réponse est : oui). Le genre de final, et le genre de film, qui est capable de rendre amoureux de ce genre de productions à peu près n'importe qui. La Maison Aux Fenêtres Qui Rient, dont le seul défaut majeur est un doublage VF franchement pourri (la voix de l'employée de l'hôtel...celle de Capolla...celle de Stefano, aussi, par moments...), est un film génial, rare, méconnu et à (re)découvrir absolument. Seul problème : son DVD français (de très bonne qualité audio et visuelle, mais sans aucun bonus et sans sous-titres français ; mais avec la VF) est de nos jours difficile à trouver à bon prix, il est souvent vendu vers les 30 €... Mais la qualité du film mérite une dépense !


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines