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Annie Ernaux… (rattrapage)

Par Antigone

Je démarre sur ce blog une nouvelle rubrique, nommée " rattrapage ", qui va me permettre de rapatrier d'anciens billets, en provenance de mon ancien blog. Je profite du Prix Nobel de littérature, accordé cette année à Annie Ernaux, pour inaugurer avec elle ce nouveau genre de billet... Il m'a paru en effet inconcevable que ces lectures ci-dessous ne soient pas sur ce blog...

Annie Ernaux… (rattrapage)
Lu en 2008

Voici peut-être le travail d'une vie, le résultat de notes amoncelées au fil des années, la réalisation d'un projet qui semblerait gargantuesque à n'importe qui, et un récit qu'Annie Ernaux nous livre ici pourtant sans faute de rythme, comme un cadeau, d'une douceur et d'une légèreté surprenante. Le " nous " devient " on ", nous englobe, et le " je " est mis en retrait dans un " elle " derrière lequel on devine aisément l'auteure, dont on connaissait déjà des fragments de vie (cf La Place). Des années 50 à nos jours, Annie Ernaux parle d'elle, de son histoire personnelle, de ses parents, de ses enfants, de ses amants, et du monde, un monde vu par le petit bout de la lorgnette, mais un monde réel dans lequel nous avons vécu nous aussi. On se dit sans cesse, au fil de notre lecture " Ah oui c'est vrai ", et on se surprend à sourire de nos paroles, à se souvenir des objets à présent délaissés du quotidien, à adhérer (ou pas) aux réflexions de la romancière sur les évènements de l'actualité. Un exercice de style magistral, un défi relevé avec talent et un moment de lecture dont j'aimerais goûter la saveur plus souvent !!!

Annie Ernaux… (rattrapage)
Billet de 2008

J'ai lu La place lorsque j'étais étudiante et ce livre là, dans ce contexte là, a retenti pour moi de multiples résonnances. J'ai aimé cette écriture qui me semblait nouvelle à l'époque, qui ne se voilait pas la face, et qui parlait des sentiments sans fausse pudeur, avec sincérité. Dans ce " roman ", Annie Ernaux parle de la vie et de la mort de son père, de la simplicité de ses propres origines, de la honte, de l'incompréhension, de l'écart qu'ont pu creuser entre eux ses études universitaires et son entrée dans un monde un peu plus bourgeois. Un récit touchant.

Annie Ernaux… (rattrapage)
Lu en 2011

Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir la point final, s'affranchir d'une vieille histoire. La collection " Les Affranchis " fait donc cette demande à ses auteurs : " Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite. " Annie Ernaux a choisi d'écrire à cette soeur dont on lui a toujours tu l'existence. Un dimanche de 1950, alors qu'elle joue dehors - elle a dix ans - elle surprend une conversation entre sa mère et une cliente. " Elle raconte qu'ils ont eu une autre fille que moi et qu'elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre, à Lillebonne. Elle décrit les peaux dans la gorge, l'étouffement. Elle dit : elle est morte comme une petite sainte. [...] elle dit de moi elle ne sait rien, on n'a pas voulu l'attrister. A la fin, elle dit de toi elle était plus gentille que celle-là. Celle-là, c'est moi. " Plus jamais Annie Ernaux n'entendra ses parents parler de cette soeur inconnue, jamais elle n'osera poser de questions, ce secret restera entre eux, comme une ombre... Pourtant, ses parents, à présent décédés, reposent juste à côté de la petite tombe blanche de leur fille première née. Que dire ? J'ai ressenti beaucoup d'émotions à lire ce texte, pour de multiples raisons, dont bon nombre de personnelles. Je sais, depuis La Place et Les Années ce qui me lie à l'auteure Annie Ernaux. A tant de décennies de distance, j'ai eu étrangement la même éducation, mon lot de secrets de famille à porter (pas tous encore élucidés, mais le seront-ils jamais ?) et je pense avoir trouvé le même refuge qu'elle (avec moins de talent bien sûr) dans l'écriture et la lecture... Mais passons sur ces échos en moi, car ce texte est avant tout un exemple dense et flagrant de son talent. Je l'ai lu d'une traite hier au soir.

Annie Ernaux… (rattrapage)
Lu en 2016

" Cette fille là de 1958, qui est capable à cinquante ans de distance de surgir et de provoquer une débâcle intérieure, a donc une présence cachée, irréductible en moi. Si le réel c'est ce qui agit, produit des effets, selon la définition du dictionnaire, cette fille n'est pas moi mais elle est réelle en moi. Une sorte de présence réelle. " Il a fallu tout ce temps pour qu'Annie Ernaux puisse enfin ouvrir la page de la fille de 1958, celle qui a eu son premier amant, lors de la colonie de S. dans l'Orne où elle débarque cet été là en tant que monitrice. Cette fille là, qu'elle traite à la fois d'idiote et de naïve, sort d'une éducation religieuse assez stricte, de la surveillance constante de sa mère, cette fille là a envie de croquer la vie, de faire l'amour, la fête, d'être comme les autres, comme la fille blonde qui retiendra finalement l'attention de H. Elle ne mesure pas la violence des rapports entre les adultes de cette colonie, la raillerie, puisqu'elle ne connaît rien, imagine qu'il faut être comme ça, ne sait pas être autrement, tellement la vague du désir et de la découverte l'emporte, être enfin libre, libérée et amoureuse. Mais ce moment aura un impact sur ses deux années à venir, ses choix d'avenir, son obsession alimentaire, la métamorphose de son physique, le sang qui ne vient plus. Annie Ernaux oscille entre honte et compréhension et garde un regard distancié sur cette Annie D. qui était elle sans être elle, et qu'elle a tout fait depuis pour oublier sans jamais y parvenir. Je me suis demandée comment j'allais réussir à vous parler de ce livre... car il est un coup de coeur à la fois très intime et dérangeant. On entre en effet avec Annie Ernaux dans une mémoire non édulcorée, qui m'a personnellement semblée à la fois brutale et très réaliste. Annie Ernaux décortique ce qu'elle n'a jusque là pas réussi à décortiquer de sa vie, la découverte des relations physiques, l'acceptation d'un quasi viol par méconnaissance et naïveté, tout ce à quoi une éducation rigoriste ne l'a pas préparée et en même temps lui a donné envie de découvrir, l'envie irrésistible de la transgression, le sentiment de vivre enfin, d'exister parce qu'elle désire. Et il est intéressant de voir comment les lectures lui ont ouvert l'esprit alors, permis de faire des choix et de retrouver sa voie. Une lecture précise et juste, et qui agit presque malgré soi comme un miroir.

Annie Ernaux… (rattrapage)

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