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Michèle Rakotoson : Ambatomanga, Le silence et la douleur

Par Gangoueus @lareus
Michèle Rakotoson : Ambatomanga, Le silence et la douleur

Je reviens dans l’univers de Michèle Rakotoson. Il y a quelques années, j’avais lu son roman Madame est à la campagne (éd. Dodo vole). Une belle expérience sur le retour d’une malgache dans la grande île. Ici, le sujet est complètement différent, beaucoup moins joyeux. Et pour cause, elle traite dans ce roman l’invasion de la grande île par les troupes françaises en 1895.


Tavao l’esclave malgache, Félicien le militaire français

Michele Rakotoson raconte les prémices de cette conquête, sa perception par la population, le positionnement des élites malgaches, le contexte historique, les motivations françaises, la campagne militaire, la préparation de la résistance malgache. Le parti pris est original. Le lecteur va voir lentement ces personnages évolués sur des terrains de combat. Les états d’esprit sont très différents. Félicien appartient à une famille de militaires bretons. Son père a été amiral. Ce dernier a servi dans les troupes coloniales. Il est plutôt réservé sur l’engagement de Félicien.
« Ils avaient besoin de l’armée française, là-bas, pour sauver le pays, disait-on, mais on n’en parlait jamais des sa famille. Le lieutenant ne comprenait pas pourquoi. Et pourtant, son père était amiral - Il avait même fait la guerre du Tonkin. Félicien avait bien  essayé d’en glisser  un mot dans une conversation , mais la réponse avait été sèche et sibylline : «  Tu as fait ton choix, je ne peux rien y redire, mais si tu m’avais averti plus tôt, je t’aurais dit : « Non, n’y va pas. » » (p.20). 

A l'image de cet extrait, nous avons là une caractéristique des protagonistes de ce roman : des taiseux qui cogitent beaucoup sous le capot. La grande muette ne parle pas et le fils est porté par des idéaux « humanistes ». Mobilisé pour cette expédition Madagascar, heureux de pouvoir s'extraire de l'ennui et faire carrière, il passe par l’Algérie avant de rejoindre l'Océan Indien. Dès ce point relais, Michèle Rakotoson porte un premier regard sur un modèle colonial déjà en oeuvre depuis une cinquantaine d’années. Alors que les troupes paradent avant d’aller à Madagascar, il y a la perspective des colons en soutien total et le silence (premier silence) des populations musulmanes.
« Et quelle parade ! Les chevaux caracolaient, dûment harnachés, et l’oeil luisant; les hommes étaient superbes, dans leurs uniformes bleus sous leurs képis, sabre au côté. Il était  magnifique, ce spectacle de preux chevaliers partant  au combat  pour la grandeur de la France. Les Malgaches n’avaient qu’à bien se tenir.Mais à Alger, au début, l’atmosphère fut un peu étrange. Une foule arabe était massée tout au long des rues, silencieuse, sans applaudir, les regardant fixement, un peu comme dans es villages des Aurès quand ils venaient rafler les rebelles »  (p.48)  

Tavao est un témoin différent. Il est otage d’une société malgache conservatrice. Esclave, serf. Il est au service d’une famille de notables. Par son biais, il a accès à des lieux auxquels son statut social ne l’autorise pas à s’exprimer. Il peut silencieusement regarder. Un monologue intérieur permet d’entendre sa voix, ses frayeurs, son impossibilité de communiquer sur ce qu'il ressent, son désir de s’évader. Sur les péripéties autour de la guerre à venir, il en a vu d’autres. Il se demande pourquoi ce choix. Celui de se battre sans s'en donner les moyens autre que de belles tirades. Cette question est formulée au chef de la famille pour laquelle il travaille. Tout est une question d’honneur, de grands principes, d’allégeance… Il y a donc au travers du silence imposé un discours sur les conservatismes de la société "féodale" malgache. C’est d’ailleurs un argument des colons, celui d’affranchir les hommes otages d’une société esclavagiste. Paradoxe quand quelques décennies plus tôt, les Français participaient au commerce d'esclaves malgaches.

Chroniques d’une mort, non d’une guerre annoncée.

Je réalise que ça fait un sacré bail que j’ai lu Garcia-Marquez, le Colombien. Restons concentré sur Rakotoson, la Malgache. J’ai pensé au fameux roman du sud américain dans le fait que l’événement attendu tarde à venir. Cette guerre. Cette invasion. Qui permet d’entendre les suppliques protestantes, le désarroi de ceux qui dans le fond, ne veulent pas se battre. Parce que la disproportion des forces les voue. Ceux qui composent, la stratégie des collabos qui sentent à merveille le sens du vent. Des jusqu’au-boutistes. Tavao est au service d’un médecin qui se pose une question : quelle médecine militaire dans une telle démesure du rapport de forces. En lisant Michèle Rakotoson, je pense au chant d’un griot koukouya au Congo qui racontait peut être la seule bataille menée par quelques fantassins de la Grande Coloniale face à quelques centaines guerriers batékés. Quelques salves et le nombre de morts inattendus, on conduit  les troupes assaillis à composer.  Le ressassement qu’impose Rakotoson dans son écriture a eu à la fois le double effet de susciter à mon niveau une impatience du lecteur et une réflexion sur la terreur imposée aux populations malgaches. 

Regard personnel

Ce livre met mal à l’aise. On a le sentiment d’un fatalisme constant, d’une torpeur sans fin, d’un immobilisme côté malgache, mais il faut se mettre dans le contexte, il faut comprendre le caractère stratégique  de la Grande Île et le fait que la France a connu des défaites militaires dans le passé. Quelques années plus tard, Gallieni exilera Ranavalona III à la Réunion d’abord, puis en Algérie.

Faites-vous votre idée.

Michèle Rakotoson, Ambatomanga, Le silence et la douleur, Atelier des nomades, 2022, 268 pages 


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