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(Anthologie permanente), Gagan Gill, choix et traductions inédites de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé


Gill 3Tu diras – nuit

tu diras – nuit
et la nuit existera
tu diras – jour
et le jour sera lavé
tu diras - couleur
et tous les papillons
de la terre afflueront voletant
tu penseras – amour
et l’horizon épanouira
un arc-en-ciel occulté
tu subiras – tourment
et dans une autre ville
sa peau à elle
s’embrasera
tu diras - nuit
et la mémoire s’évanouira
tu diras – jour
et la terre se videra

tu seras – silence
et des pierres se fragmenteront
aussi loin que la lune
tu regarderas – sans voir
et elle sera happée
invisible
par la gorge du vent
tu diras – nuit
et une maison
s’élèvera
sur le sable
tu diras – jour
et ce corps altéré par l’âge
se dénudera
Source : Gagan Gill : site Poetry in Translation Centre, Londres 2020, traduction anglaise du hindi par L. Rosenstein et J. Duran. Traduit en français par Jean-René Lassalle avec l’original hindi et la version anglaise.


You will say night

You will say night
and night will be

You will say day
and day will be washed

You will say colour
and all the butterflies
of the earth will come flying

You will think love
and the horizon will open
a hidden rainbow

You will be tormented
and in another city
her skin
will burn

You will say night
and memory will fall away
You will say day
and the earth will be empty

You will be silent
and rocks will explode
as far away as the moon

You will not look at her
and she will be caught
invisible
in the throat of the wind

You will say night
and a house
will rise
in the sand

You will say day
and this body, gnawed by old age
will be naked
Source : Gagan Gill : site Poetry in Translation Centre, Londres 2020, traduction anglaise du hindi par L. Rosenstein et J. Duran.
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Fourmis

Les fourmis avaient perdu le chemin de leur maison
Elles marchaient, traçant des lignes entre notre sommeil et nos corps. Leur farine invisible reste éparpillée dans leur mémoire, dispersée dans quelque lieu et temps distants. Elles continuaient de la chercher d’une extrémité à l’autre de la terre. Elles enfonçaient leurs dents dans chaque chose vive ou morte. Les chagrins de la terre devenaient si légers dans leur errance que les directions commencèrent à osciller dans une confusion. Les pôles allaient changer de place. Mais personne ne savait la tristesse des fourmis
Il y a longtemps peut-être elles étaient des femmes
Source : Gagan Gill : site Poetry in Translation Centre, Londres 2020, original en hindi. Traduit en français par Jean-René Lassalle avec le hindi et la version anglaise.

Gill 1

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Juste un peu d’espoir est requis

juste un peu d’espoir est requis

comme un brillant rayon
de soleil sur la terre
comme le goût d’une pierre mouillée
à l’intérieur de l’eau
comme un poisson qui bondit
sur le sable humide
juste un peu d’espoir est requis

comme une chanson remémorée
dans la gorge d’un muet
comme un soupir léger
bloqué dans la poitrine
comme l’instinct de vivre d’un insecte
cramponné à une vitre
comme une soif noyée
dans le lit de la rivière
juste un peu d’espoir est requis

Source : Gagan Gill : site Poetry in Translation Centre, Londres 2020, original en hindi. Traduit en français par Jean-René Lassalle avec le hindi et la version anglaise.

Gill 2

Gill 4
Gagan Gill (गगन गिल) est une poète de l’Inde née en 1959 qui écrit en hindi (parlé par plus de 300 millions de personnes). Elle a été l’éditrice littéraire du Times of India et a voulu réduire son activité professionnelle de journaliste pour avoir plus de temps pour sa poésie. Son livre le plus apprécié en Inde est l’essai Awaak où elle décrit son voyage dans la montagne sacrée Kailash après le décès de son mari le romancier Nirmal Verma. Ses poèmes minimalistes aux lignes courtes laissent un espace aux silences et sont souvent mus par des anaphores doucement rythmiques : injonction, incantation, transe. “Fourmis” fait allusion à une croyance traditionnelle que lorsqu’on gaspille de la farine en la faisant tomber négligemment, on devra la ramasser du sol avec ses propres cils dans la prochaine vie. La pratique bouddhiste de Gagan Gill, avec des perspectives moderne ou féministe, s’applique, au travers de sa mélancolie, à rechercher un apaisement.
Bibliographie selective:
Ek din lautegi larki (Un jour la jeune fille reviendra), 1989
Andhere mem Buddha (Bouddha dans l’obscur), 1996
Yah Akanksha samay nahi (Renoncement au désir), 1998
Thapak thapak dil thapak thapak (Bats et bats, cœur, bats et bats), 2003
Awaak. Kailash Manasarovar – ek antaryatra (Silence. Kailash, voyage intérieur) 2008 (prose)
Main jab tak ayi bahar (Jusqu’à ce que je sois dehors), 2018
This Water, Poetry Translation Center 2020 (anthologie anglais-hindi)
Traduction en français:
Plusieurs poèmes dans le beau numéro spécial sur l‘Inde de la revue Europe (n°864, avril 2001).
Sitographie:
. Dossier sur Gagan Gill dans le site hollandais de poésie internationale avec une introduction et des poèmes en hindi traduits en anglais
. Vidéo d’un festival de littérature à Jaipur au Rajasthan : Gagan Gill est interviewée (dans un anglais à fort accent indien), ensuite entre 14’25 et 25’40 elle lit ses poèmes en hindi.
Choix, traduction et présentation de Jean-René Lassalle


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