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(Note de lecture) Ovide, Les Héroïdes, traduction de Danièle Robert, par Yves Boudier

Par Florence Trocmé


OvidePérennité et urgence du désir, dans la douleur, le froissement des sentiments, la dictature de l’envie et du plaisir, voici ce qui anime, figure et défigure selon Ovide la pulsion d’amour, le cri d’une femme, parfois d’un homme, qui subit l’injure de l’inconstance de l’être aimé ou l’impossible assurance d’un amour qui se prétend prêt au pire s’il n’était partagé.
Quelle que soit l’expérience, la connaissance intime que chacun peut avoir de la part désirante de notre être au monde, on est touché par ces voix venues de l’outre-tombe des amants exemplaires qui peuplèrent souvent notre fréquentation troublante des langues anciennes, en particulier de notre grande sœur latine. Et si l’on pensait tout connaître de ces lettres pourtant imaginaires qu’Ovide, notre maître, a écrites dans le ressenti anticipé d’un exil à venir, un acte d’éloignement réel qui toucha à la chair de sa vie plus violemment encore que ses vers n’avaient troublé son esprit et son cœur se frottant aux épreuves d’amours chimériques, on est aujourd’hui de nouveau saisi à leur relecture par la même sidération heureuse devant ces paroles extrêmes que l’on croyait disparues de notre mémoire des affres de l’amour.
Quel génie eut Ovide de donner corps de désir et de souffrance à ces parangons mythologiques de la multiplicité des approches du jouir ou du mourir ! Ainsi Pénélope, Hermione, Laodamie, Hypermestre, Héro, Canacé, Phyllis, Briséis, Œnoné, Hypsipylé, Didon, Déjanire, Ariane, Médée, Phèdre, Sappho, Hélène et Cydippe. Ainsi Ulysse, Démophoon, Achille, Hippolyte, Pâris, Jason, Énée, Oreste, Hercule, Thésée, Macarée, Protésilas, Lyncée, Phaon, Léandre et Acontius. Le jeu est relancé d’apparier ces couples légendaires selon nos souvenirs classiques, en résonance avec ce que notre Grand Siècle théâtral répéta de leurs malheurs. Tous personnages de tragédie, chacun riche d’un monologue intime à la fois attendu, car l’amour n’invente que sa répétition, et toujours surprenant d’audace dans sa volonté de posséder ou de l’être, dans sa volonté d’une ultime transcendance sous le trait d’une mort désirée, autant que dans une étreinte d’éternité impossible vers un suprême baiser pour rompre la clandestinité du désir solitaire.
Ton visage dément tes paroles.
Ton corps est plus fait pour l’amour que pour la guerre :
Aux valeureux la guerre ! Toi, Pâris, ne cesse pas d’aimer.
Demande à Hector, que tu admires, de se battre à ta place ;
C’est un autre service qui mérite tes soins.
Je m’y emploierais si j’étais maligne et un peu plus audacieuse ;
N’importe quelle fille maligne s’y emploiera.
Peut-être le ferai-je, abandonnant toute pudeur,
Et, vaincue par le temps, te tendrai-je des mains hésitantes.

Lettre XVIII, Hélène à Pâris.
Telles sont les Heroidum Epistulae, « voix en poèmes de ces irréductibles de l’amour » comme l’écrit Danièle Robert, à qui nous devons cette heureuse traduction des Héroïdes aujourd’hui rééditée, replaçant de la sorte ces lettres dans leur vérité on ne peut plus contemporaine de l’expression à jamais vive du sentiment amoureux.
Yves Boudier

Ovide, Les Héroïdes, traduites du latin, présentées et annotées par Danièle Robert, collection Babel, Actes Sud 2022.


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