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plus efficace que les tables tournantes. ( Thierry Hesse )

Par Jmlire

plus efficace que les tables tournantes. ( Thierry Hesse )Thierry Hesse, 2021

" Les livres qui comptent pour nous, Ceux qui nous enchantent ou nous bouleversent, sont ceux, je crois, où quelque chose qui était séparé, c'est-à-dire éloigné, confus, inconnu, se trouve tout à coup réuni. Nous ne savions pas et maintenant nous savons. Nous étions dans la confusion et le brouillard s'est dissipé. Ce qui était loin est devenu proche.

Or qu'y a-t-il de plus éloigné que les morts ? En ce sens, la littérature est bien la " langue des morts ". Dans un entretien, Daniel Mendelsohn*, relate une anecdote que lui confia un jour son grand-père. En Europe de l'Est où vivait au XXI e siècle sa famille, chaque fois qu'elle s'apprêtait à partir en voyage, elle se rendait au cimetière pour saluer ses disparus. " C'était un rituel indispensable, dit Mendelsohn, comme s'il fallait revenir à soi pour pouvoir partir. " Ce que je retiens de cette anecdote, c'est que pour pouvoir vivre nous avons besoin de parler avec les morts, de rester en relation avec eux, et si l'on veut y parvenir, la littérature, à mon avis, est plus efficace que les tables tournantes.

Lire et écrire ne sont certes pas des activités suffisantes pour vivre. Dans le retrait de la pièce où je lis et écris, ma vie peut apparaître elle aussi comme une " vie cachée ". Cependant j'ai l'impression qu'après chaque visite ( après chaque roman ), je peux partir en voyage l'esprit tranquille. Et vivre mieux et plus intensément...

Quand j'ai commencé à écrire Une vie cachée, j'ai pensé à une phrase de Thomas Bernhard : Les grands-pères sont les véritables philosophes de tout être humain", et j'ai eu envie de vérifier si cette formule correspondait à mon grand-père François qui n'avait rien d'un érudit, mais était un homme simple, à la parole rare. Est-il nécessaire de parler pour être philosophe ? À ma façon, j'ai tenté de recomposer le trajet de son existence - les drames qu'il a subis, les décisions qu'il a prises, ses peines et ses joies - dans un temps qui n'est certes plus le nôtre mais qui, comme le nôtre, était obnubilé par le problème des frontières, des nationalités, des identités. En quoi cette existence, que j'ai brièvement croisée, a-t-elle pu m'enseigner une forme de savoir ? Au moins m'aura-t-elle permis d'écrire un livre.

À la fin du roman, le narrateur fournit quelques explications sur son grand-père - qui il était, pourquoi il a vécu reclus - mais ce ne sont que des intuitions. Même les proches gardent leur part d'ombre...

Thierry Hesse, extrait d'un entretien pour le magazine Le matricule des Anges n°227, octobre 2021. * de Daniel Mendelsohn, dans Le Lecturamak :

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