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La forteresse agricole, une histoire de la FNSEA

Publié le 03 janvier 2021 par Christophefaurie
La forteresse agricole, une histoire de la FNSEA
Voilà un livre, comme on n'en trouve pas beaucoup. 800 pages de l'histoire de la FNSEA, le syndicat qui se veut l'unique représentant des paysans, et surtout des transformations de l'agriculture française, depuis la guerre. 800 pages écrites par un journaliste qui a vécu ce dont il parle, et qui a côtoyé les acteurs du changement. C'est passionnant, même si ce n'est pas toujours aisé à comprendre, lorsque l'on n'est pas familier de la question. Et dommage que ça s'arrête en 2004.

Ce que j'en retiens, en quelques thèmes :

Les origines de la FNSEA

Le syndicalisme agricole n'est pas neuf. Etrangement, c'est l'émanation du féodalisme, qui a survécu dans le monde rural jusqu'au début du 20ème siècle. La noblesse terrienne instrumente les dispositifs solidaristes de la IIIème République, pour pérenniser le statu quo. Déjà s'amorce l'affrontement entre un gouvernement théoricien, loin des réalités, et la paysannerie qui, elle, y est accrochée. 

Le syndicalime agricole ce n'est pas n'importe quel syndicalisme. C'est un syndicat unique, qui dirige la communauté paysanne. Il la représente. L'agriculture est un monde à part, qui doit être géré entre soi. A l'exception des fonds publics, qui sont un droit. C'est un mythe, mais un mythe puissant. 

Après le féodalisme, c'est la collaboration, et la "corporation". Cette France d'ancien régime plait à Pétain. Puis, c'est la libération et la création de la FNSEA. Il faut des agriculteurs compétents, et, ceux qui le sont n'ont pas résisté bien fermement. En conséquence, le changement consiste à sauver les apparences, et à éjecter les quelques résistants qui prétendaient représenter la profession. 

Une grande histoire d'amour du progrès

La façon dont les paysans abordent le changement correspond, probablement, à tout ce dont ont rêvé les idéalistes au coeur pur. 

C'est la JAC, la Jeunesse Agricole Chrétienne, qui mène le changement (les paysans ayant longtemps été massivement chrétiens, c'est un courant majoritaire). Ces paysans, qui sont pauvres et ont peu fait d'études, se forment, et réfléchissent longuement. Et qu'est-ce que cela donne ? Un mouvement ultra productiviste, qui va éliminer le paysan, pour cause de retard incurable, ainsi que la ruralité (quand il n'y a plus de paysans, il n'y a plus de village). Il va conduire à une surproduction, qui fait s'effondrer les cours, est un désastre pour l'Afrique. Il nous nourrit de chimie. Le veau est élevé au lait en poudre auquel on doit ajouter des additifs, de façon à ce qu'il ait à peu près les mêmes vertus que celui de la vache, afin que l'on puisse prélever le lait de sa mère, pour faire de la poudre. 

Puis ce sera le moment du libre échangisme mondial, dans lequel les paysans s'engagent sans rien comprendre. 

Tout ce monde obéit à une logique technique et économique impénétrable. Veaux aux hormones, farines animales, OGM... c'est le progrès pour le progrès, et la productivité, pour la productivité. Et les outils de la solidarité, le rêve de Proudhon, sont retournés contre leurs intentions. Les coopératives font de l'Uber avant Uber. Elles imposent aux agriculteurs, aux services desquels elles devraient être, des prix au dessous de leur seuil de rentabilité. Elles inventent l'employé propriétaire de son outil de travail, sans protection sociale ! La FNSEA, organisation "léniniste" de droite, impose sa pensée unique, et purge les opposants. Elle rejoue même le procès stalinien, avec autocritique en sus !

Un des effets pervers du syndicalisme, et de la politique, est que c'est un extraordinaire ascenseur social. Le paysan qui tirait le diable par la queue, non seulement y mène grand train, mais aussi peut se retrouver promu sénateur, député européen, ou ministre, et président du Crédit Agricole, par dessus le marché. 

En fait, l'unité n'est qu'apparente. Outre les opposants, isolés mais majoritaires, il y a aussi, au sein de la FNSEA, les agriculteurs riches, ceux qui produisent du blé ou de la betterave. Sans faire de bruit, ils tirent les marrons du feu. Ils ont les moyens d'influencer l'UE. Ce sont d'ailleurs eux qui absorbent le gros des subventions publiques. 

La soupape, c'est la violence. Quand les affaires de certains groupes de paysans vont mal, ils cassent tout et abîment quelques CRS. L'Etat, et ses subventions, intervient. Les casseurs sont au dessus des lois. 

Et notre gouvernement ? Une bande d'amateurs ? Quasiment aucun politique n'a la moindre idée sur l'agriculture. Il suffit d'avoir fait un discours sur le sujet pour être désigné ministre ! Quant à Edith Cresson, F.Mitterrand a estimé qu'il serait amusant de "provoquer" le machisme agricole. Ceux que le citoyen prend pour de bons ministres de l'agriculture se sont simplement fait quelques amis parmi les dirigeants de la FNSEA. 

L'altermondialisme

Apparemment, l'auteur est altermondialiste. Ses explications ne me semblent pas très claires, mais, au moins, elles rendent compréhensibles ses raisons d'être. L'altermondialisme n'est pas un mouvement pour Bobos ou hippies, comme on pourrait le croire. C'est, au moins à son origine, une réaction contre une technique devenue si folle qu'elle veut éliminer l'homme, pour cause d'irrationalité. L'altermondalisme cherche à re fonder la société sur des bases saines. 

Le discours sur la relocalisation et les circuits courts qu'a fait émerger le coronavirus, c'est l'altermondialisme ! 

Conclusions ?

Ce livre est une formidable leçon d'humilité. L'amour du progrès n'est pas que paysan. Il a été propre à toute la société. C'est étonnant à quelle vitesse la créature échappe au créateur, et l'asservit. Même les mouvements d'opposition, altermondialiste et bio, par exemple, sont détournés, dès qu'ils ont eu un peu de succès. La raison n'est-elle pas condamnée à dérailler ? 

Peut-être que l'humanité a besoin, de temps à autres, de chocs violents pour remettre ses pendules à l'heure ? 


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