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Daté Atavito Barnabe-Akayi : Les escaliers de caresse

Par Gangoueus @lareus
Daté Atavito Barnabe-Akayi : Les escaliers de caresse
Daté Atavito Barnabé-Akayi fait partie de ces poètes qui vous imposent la pause à la lecture. D’ailleurs, il est difficile d’entreprendre une critique sans se poser et relire certains poèmes, pour tenter d'accentuer une vision qui serait plus globale de son discours.
Il y a deux approches non complémentaires pour moi dans l’ouvrage Les escaliers de caresse publié aux éditions Plume Soleil de Cotonou, au Bénin. Un essai sur la poésie et sur la nature qu'il a produit dans le cadre d'un exercice exigé à Suiyang, lors d'un grand rassemblement de poètes venus du monde entier. Cette analyse de l’écrivain béninois permet à l’assistance de comprendre comment il agence les rapports entre la poésie et la nature en trois séquences : Tout d’abord, une poésie qui se minéralise et qui se perd dans les quatre actants cosmiques. Bon, je cite les termes pompeux du poète béninois. Il est question de la Terre et ses rondeurs, la Force de celle-ci, le caractère fluide de l’Eau, et l’Air. Avec un jeu sur des divinités béninoises qui donnent un peu de chaleur à ces caractéristiques techniques. Chacun pourra rechercher l'influence de cette démarche sur l’écriture de Barnabé-Akayi tant dans sa forme que dans son fond. En second, la métamorphose de la poésie en phytothérapie. Bon, le fils d’un chercheur en phytothérapie s’arrête forcément sur ce point, en sachant que l’animisme intervient dans l’expression de cette poésie : 
«  Le poème est chargé d’un monde où les frontières du réel et du fantastique sont brisées, entremêlées » (p.15). 
Le troisième pan du propos de Daté Atavito Barnabé-Akayi dans cet essai porte sur l’invitation du zoomorphisme dans l’écriture du poète. Cette analyse introduit en quelque sorte et ce, de manière magistrale, à la vision qu’il a de la poésie quand il dit : 
« Ecrire (ou lire) un poème, c’est  chercher en soi la lumière pour attirer les papillons d’obscurités comme de l’insectillice, posséder le diffractomètre et manipuler les rayons comme un saltimbanque. Le poète est à la fois un opticien et un ophtalmologue » (p.16)
On peut dire, dans ces conditions, que Daté Atavito Barnabé-Akayi est en mission. Et qu’il est habité par cette ambition. 
Après l'essai, la poésie.Je peux me tromper, mais, dans la première séquence du recueil dans le dernier « vers »  on retrouve cette démarche : 
« l’eau est mon lit et ma gorge a soif de l’océan »  (p.19, éd. Plume Soleil) « l’océan est le cerveau de ma poésie et je prends la mort à témoin » (p.76, éd. Plume Soleil)
Dans African Playoffs of poésie, le poète Béninois indique que comprendre n’est pas la fonction première du lecteur de textes poétiques. L’important est de sentir, et la trajectoire de ce projet impose une sur-dimension de l’égo qu’incarne l’océan. Et je crois que la suite du texte donne  une validation à cette ambition. Cela par la forme particulièrement élaborée.
Chaîne des mots, ponctuation absente, imbrication des sujets Une des premières observations, c’est un procédé de transition d’un poème, ou d’une séquence à autre. Je les ai tous notés dans mon Evernote pour vérifier si un sous texte pouvait émerger, de ces mots « chaîne ». Prenez les dix premiers : 
  • L’océan : Nous en avons déjà soulignés, le sens pour le poète.
  • Tes dessous : C’est la première allusion à la sensualité, au désir, dans ce recueil de poésie
  • soir assoiffé : Tension
  • Ta main malade : Maladie ou maladresse, tension ou inefficacité
  • Ton verre : L’absurde contenant trop limité, un océan dans un verre
  • Suiyang : Terre historique de la poésie en Chine
  • la guerre : elle est inhérente à l’éternité à notre amour, dit le poète
  • amour : scatophilie, le love trash ou crash 
  • le monde : pour mieux dire la centralité de l’Afrique dans le concert des flux commerciaux
mon pays paie la laideur de leur ferveur comme ces dirigeants croyants paient leur dîme à la fin de chaque messe en mangeant les viscères de leur peuple qui célèbre la Beauté (p.29)

«  Mon pays »  est encore un élément de jonction. Nous avons recensé cinquante cinq chaînes de cet ordre. Tout tourne autour de son pays. Et la colère, l’indignation, l’exigence stylistique du poète pour refuser la médiocrité ambiante, les compromis trop faciles. Ne dit-il pas, et ce sera ma dernière citation :
«  le monde entier déguste tes  seins arrogants flétrit tes  fesses de fête et festoie en  s’essuyant le corps avec tes cuisses puissantes en forme de fuite de cerveaux mais  quels caniveaux assassinent la beauté des cerveaux dans mon pays »  (p.28)

Là, j’ai l’impression d’évoluer dans l’univers détonant du romancier congolais Fiston Mwanza Mujila, dans Tram 83. Parenthèse : je dois me presser de lire La danse du vilain, son nouveau chef d’oeuvre. Fin de parenthèse. Tout est dans cette complexité de la forme où tout s’imbrique. Le sexe et la fange, une Chine poétique et une Afrique asservie, l’océan et le verre d’eau, le culte, l'occulte voire l'inculte.   « Nos vies sont imbriquées, tout est imbriqué. Ma poésie est imbriquée à l'instar de nos vies » dit le poète dans le podcast African Playoffs of poésie - Game 3. Ce qui rend donc la lecture difficile avec ces phrases sans ponctuation qui ne disent pas du tout, tout et n’importe quoi. Bien au contraire, il y a l’exaspération du passionné. En cela, le jeu avec l’érotisme permet de violentes diatribes contre les élites. Mais, on a aussitôt, l'évasion par le corps d'une femme...
« Tout est pensé, c’est du travail, je ne crois pas l’inspiration! » dit encore le poète. Je veux bien le croire quand je lis la fin de ce recueil de poésie. Tout est parfaitement cohérent. Le final répondant à l’initial. On peut être choqué par les images crues de Daté Atavito Barnabé Akayi. On peut être gêné par l’exploitation allégorique du corps de la femme pour « mieux » dire l’Afrique. Il dit qu’elle, la femme, est la vie à partir de laquelle il faut bâtir. 
 J’ai exprimé ce que j’ai perçu. A vous de vous faire une idée, si vous avez accès à cet ouvrage. Il ne vous laissera pas indifférent. C'est certain. 

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