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Flairer le mal

Par Tobie @tobie_nathan

Covidog

Tobie Nathan publié le 18 août 2020 sur Philosophie Magazine

Flairer le mal

À l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, en banlieue parisienne, des chiens ont été dressés avec succès pour détecter le Covid-19 à l’odeur. Faudra-t-il bientôt craindre le diagnostic du meilleur ami de l’homme ? Cave canem !

Oslo, berger belge malinois (photo), a du flair. Ce chien se précipite sur les quatre pots contenant chacun une compresse imbibée de sueur humaine. Après les avoir flairés successivement pendant quelques secondes, Oslo revient se mettre à l’arrêt devant le pot n° 2. Gagné ! C’était celui qui contenait la compresse d’un malade testé positif au Sars-CoV-2. Félicitations, caresses, jeux avec le maître. C’est désormais prouvé : les chiens peuvent diagnostiquer le Covid-19 à l’odeur. 

Je me souviens du médecin de mon enfance qui se vantait de connaître l’état d’un malade en reniflant son urine du matin. À l’évocation de cette prouesse, ma mère, fille de pharmacien, ne manquait pas de faire une grimace de dégoût ! Cela ne lui paraissait pas très « scientifique »… Et puis, pensait-elle sans doute, peut-on vraiment faire confiance à une odeur ? Une effluve, un vent… quasiment une pensée, voire un fantasme.

Aujourd’hui, on sait que les maladies ont des odeurs spécifiques, au moins certaines d’entre elles – par exemple, le cancer du sein, celui du côlon ou la maladie de Parkinson… Notre vieux docteur, guidé par son intuition, avait-il anticipé d’un siècle les recherches modernes ? À moins qu’il ait appris durant ses études, qui comportaient bien plus d’humanités, que l’Antiquité n’hésitait pas à utiliser les capacités diagnostiques du chien, le prince des renifleurs. 

Il faut dire que les temples d’Asclépios, le dieu médecin de la Grèce antique, regorgeaient de serpents et de chiens, autant de ministres de ses bienfaits et de ses guérisons. Loin de se contenter de détecter le mal, ils le guérissaient également ! L’aveugle Plutus recouvra la vue après que le serpent lui eut léché les yeux, et le jeune Thyson d’Hermione fut lui aussi guéri de sa cécité par la langue du chien sacré. Mais le chien, bien que moins célèbre que le serpent, avait une fonction encore plus importante dans les temples : il était capable de reconnaître si le mal d’une personne pré­figurait la venue d’une épidémie. C’est tout du moins ce que relatent Ælien (175-235) et après lui Timothée de Gaza (Ve-VIe siècle), qui attribuent au chien le pouvoir de reconnaître la salubrité de l’air et des puits, ainsi que celui de percevoir dans l’ambiance la maladie sur le point de contaminer la communauté.

Flairer le mal
Article paru Dans Philosophie magazine n°142 août 2020

Et voilà que des chercheurs, médecins et vétérinaires, travaillent depuis trois mois à dresser des chiens spécialisés. Peut-être les verrons-nous bientôt dans les aéroports, à l’entrée des lieux clos, grands magasins ou cinémas ? Devrons-nous les laisser tournoyer autour de nous, leur tendre un mouchoir préalablement enfoui sous notre aisselle ? Se mettront-ils à l’arrêt en nous fixant ? On les dit plus précis que les tests, leur fiabilité s’élevant à 95 %. D’autant plus grande sera notre inquiétude, notre angoisse, dans l’attente de leur décision. 

Nous voici bientôt face à l’intraitable Cerbère, le chien à trois têtes qui gardait les portes des Enfers. À moins de rêver qu’Oslo se prenne à nous lécher et que sa salive se révèle plus protectrice que le gel hydroalcoolique… 

Tobie Nathan


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