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Risques de sécurité économique et diasporas au Canada

Publié le 08 juin 2020 par Infoguerre

Intégration, Bienvenue, Poignée De Main

En début d’année, un article révélait que LPT était désormais exclue des appels d’offre publique de l’armée canadienne ou touchant à la sécurité nationale car ses dirigeants avaient eu des contacts répétés avec des officiels du renseignement indien sans les déclarer aux autorités canadiennes compétentes. Jusqu’en 2018, LPT était un contractant de l’armée canadienne qui de ce fait était inscrit au programme des marchandises contrôlées. Les marchandises contrôlées sont des marchandises qui sont sujettes aux mesures de contrôle intérieur du gouvernement du Canada et définies par la Loi sur la production de défense, notamment des composants et des données techniques d’une importance militaire ou assurant la sécurité nationale. Cette définition englobe les marchandises, les technologies, et les composants d’origine canadienne ou étasunienne.  En résumé, être inscrit sur cette liste est un sésame pour acheter, manipuler, détenir sans problèmes du matériel et des informations sensibles.

La diaspora indienne

La diaspora d’un pays désigne l’ensemble des membres d’une communauté ou d’un pays reparti dans plusieurs pays à travers le monde. Les raisons de sa dispersion sont multiples. Par exemple la famine, les conflits armés, les catastrophes naturelles, les révolutions politiques ou les crises économiques peuvent pousser à l’émigration une partie de la population d’un pays. Au fil des générations les relations avec le pays d’origine peuvent être maintenue ou se dissoudre en fonction de la politique d’intégration ou d’assimilation du pays d’accueil.

L’Inde a l’une des plus grandes diasporas au monde, estimée entre 25 millions et 28 millions personnes, repartie dans cent trente pays (4,5 millions aux États-Unis, 2 millions au Royaume Uni et 1 million au Canada). Avant les années 1990, l’Inde se désintéressait de ses ressortissants vivants à l’étranger. Toutefois, depuis les années 2000, les gouvernements successifs ont pris conscience de son potentiel économique. En 2003, fut instaurée la journée des expatriés indiens qui a pour but de récompenser et d’honorer publiquement les réalisations des indiens vivants à l’étranger. La cérémonie présidée par des membres du gouvernement fédéral réunit environ deux milles délégués de 61 pays à New Dehli.

Bien que la constitution indienne n’autorise pas la double nationalité, des statuts spéciaux existent pour faciliter les démarches administratives de la diaspora. En effet, la taxonomie administrative indienne distingue deux catégories dans sa diaspora :

  • les NRI (« Non-Resident Indian» ou Indien Non Résident, estimés à 11 millions en 2015), qui désignent des citoyens indiens possédant un passeport indien et résidant à l’étranger pendant une période indéterminée. Toutefois, ils n’ont pas accès à la propriété agricole et leurs investissements en Inde sont bloqués sur des comptes non-rapatriables.
  • les PIO (« Person of Indian Origin» ou Personne d’Origine Indienne , estimés à 17 millions de personnes en 2015), catégorie désignant les ressortissants étrangers ayant déjà possédé un passeport indien ou dont les ascendants (jusqu’à la quatrième génération) sont nés ou ont résidé de manière permanente sur le territoire de l’Inde indépendante (hors Pakistan et Bangladesh), mais qui ont renoncé à leur nationalité en adoptant celle de leur pays d’installation. En mars 1999, une carte (PIO Card) est instaurée pour que les PIO bénéficient des mêmes avantages que les NRI dans les domaines de la propriété immobilière et de l’accès au système éducatif indien (seuls les droits civiques leur sont interdits).

Éduquée et plutôt aisée la diaspora indienne représente un élément important de la puissance et du rayonnement mondial de l’Inde aussi bien sur le plan économique que politique. Elle transfère annuellement vers l’Inde près de 26 milliards de dollars – soit 3% du PIB – et elle est à l’origine de 9% des investissements directs étrangers dans le pays. Lors d’un discours sur la nécessité de modernisation de la diplomatie indienne, le ministre des affaires étrangères Yashwant Sinha désignait la diaspora indienne comme son principal instrument de soft power dans le monde – avec Bollywood, la cuisine indienne et le Yoga. M. Yashwant Sinha parla également la stratégie officielle de l’État Indien pour mobiliser sa diaspora comme relai d’influence et de défense de ses intérêts dans leur pays de résidence. Par exemple, la diaspora indienne aurait contribué à la signature de l’accord sur le nucléaire civil indien grâce à un lobbying auprès des sénateurs étasuniens.

Les protagonistes de l’affaire LPT au Canada

Le Research and Analysis Wing (RAW) et l’Intelligence Bureau (IB) sont les deux principaux organes de sécurité et de sureté indiens. À la suite de la scission du IB en 1968, le renseignement extérieur fut confié au RAW et la sécurité intérieure fut attribuée au IB. Placé sous l’autorité du Premier Ministre indien, le RAW a un mandat varié qui couvre la lutte contre le terrorisme, la collecte d’information à l’étranger, l’interception électronique, la protection et le développement des intérêts stratégiques indiens à l’étranger, l’influence des puissances étrangères grâce à la diaspora indienne et la surveillance de l’armement du Pakistan. Le RAW a également la charge de la protection du programme nucléaire indien et il conseille les autorités publiques sur la politique extérieure.

Le Service Canadien de Renseignement de Sécurité (SCRS) est le principal organe fédéral de renseignement et de sécurité civil au Canada. Crée en 1984 et place sous l’autorité du Ministre de la sécurité publique, son mandat est d’enquêter sur les activités qui pourraient constituer une menace pour la sécurité du Canada et d’en faire rapport au gouvernement du Canada. La menace principale étant le terrorisme; mais également la prolifération des armes de destruction massive, l’espionnage, l’ingérence étrangère et les cyber opérations visant l’infrastructure essentielle. Le SCRS s’occupe également des enquêtes de filtrage pour empêcher les non-Canadiens qui suscitent des préoccupations sur le plan de la sécurité d’entrer au Canada ou d’obtenir la résidence permanente ou la citoyenneté canadienne. Il protège aussi les informations confidentielles détenues par le gouvernement du Canada afin d’en empêcher la divulgation à des gouvernements étrangers et à d’autres organisations ou personnes qui pourraient représenter un risque. C’est un service de sécurité intérieure qui n’a pas vocation à effectuer des missions à l’étranger.

Life Prediction Techhnologies (LPT), une société canadienne d’ingénierie fondée en 1998 par un couple de scientifiques canadiens d’origine indienne Monsieur et Madame Koul. LPT est spécialisée dans la modélisation de l’usure et la durée de vie des turbines et de leurs composants. Les turbines sont présentes dans des réacteurs d’avions ou de drones, dans les générateurs de centrales électriques ou dans les moteurs de bateaux. LPT a donc accès à des informations sur des sites et des équipements civils et militaires sensibles. Sa technologie de pointe à usage civil et militaire permet d’optimiser la maintenance et réduire les pannes des systèmes complexes et critiques. La technologie de PLT augmente ainsi le temps d’activité des machines et réduit ainsi le cout d’utilisation global. LPT est active au Canada et aux Etats-Unis; la société est également présente en Inde grâce à une filiale LPT India.

Les interrogations sur la fiabilité d’un binational canadien

Le profil du fondateur de la société LPT, Ashok Koul, est intéressant. Depuis 1980, M. Koul a toujours eu des niveaux de sécurité plus ou moins élevés. Entre 1993 et 2003, il avait un accès de niveau Secret. Scientifique reconnu et ancien membre du Conseil National de la Recherche (canadienne), il avait accès à des sites, des biens et des informations protégés. Il fut également le président du Indo-Canadian Kashmir Forum (ICKF) – une association qui fait la promotion de la position du gouvernement indien au sujet du Cachemire (une région disputée entre l’Inde et le Pakistan).

Il est reproché à M. Koul d’avoir eu des contacts répétés avec des officiels de l’ambassade de l’Inde au Canada entre 2000 et 2018. Parmi ces officiels certains étaient identifiés comme agents de renseignement des services indiens. La nature des informations échangées avec les autorités indiennes n’est pas confirmée. Toutefois pour sa défense, M. Koul affirme que ces rencontres étaient dans le cadre de ses activités associatives et ne concernaient pas ses activités professionnelles. Ses arguments ne semblent pas avoir convaincus ni les services de sécurité canadien ni la justice canadienne qui a suivi les recommandations de l’administration.

Les menaces potentiellement intrusives des acteurs binationaux

La Chine (50 millions), l’Inde (28 millions) et la Russie (15 millions) sont dans le peloton de tête des pays ayant les plus importantes diasporas dans le monde. Or ces trois pays se trouvent également au cœur de luttes d’influence avec le monde sous influence étasunien. Certains pays occidentaux cosmopolites et d’immigration à l’instar du Canada commencent à s’inquiéter ouvertement du rôle joué par ces diasporas dans les orientations politiques intérieures et extérieures.

En 2018, dans un rapport traitant des menaces contemporaines contre le Canada et ses partenaires du réseau des 5 Yeux – le Royaume Uni, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les États-Unis – le SCRS a alerté les autorités canadiennes sur le risque que les débats nationaux et les acteurs politiques puissent être influencés par des binationaux mobilisés par leur « pays d’origine ». Dans un chapitre consacré à l’espionnage et l’ingérence étrangère, le SCRS parle des puissances étrangères (qui) surveillent et intimident clandestinement des communautés ethniques dans le but d’atteindre leurs objectifs stratégiques et économiques. Dans de nombreux cas, les opérations d’ingérence visent à soutenir des programmes politiques étrangers, à servir une cause liée à un conflit à l’étranger ou à influencer de façon trompeuse des processus démocratiques ou des politiques et des représentants officiels du gouvernement du Canada.

Le SCRS mentionne notamment des risques économiques – l’espionnage industriel et économique, le transfert illicite de technologie, l’acquisition de parts ou le rachat de sociétés stratégiques canadiennes – et sécuritaires qui pourraient affecter la compétitivité des entreprises canadiennes à l’étranger et porter préjudice aux intérêts stratégiques du Canada et de ses alliés. Le SCRS identifie deux communautés en particuliers : la communauté sino-canadienne (1,8 million) et la communauté indo-canadienne (1,2 million) qui se distinguent par leur importance relative à la population nationale.

Conclusion

L’augmentation du nombre de citoyens issu de l’immigration dans les sphères économiques, scientifiques et politico-militaires est en soi louable car c’est le signe d’une intégration réussie dans leur pays d’adoption. Ces communautés représentent sans aucun doute pour leur pays d’adoption une source d’information importante et un instrument de soft power des deux pays. Néanmoins, d’un point de vue sécuritaire, elles pourraient être ciblées et devenir volontairement ou à leur insu des vecteurs :

  • d’opérations d’influence pouvant les conduire à dépasser le cadre normal d’une action de lobbying de citoyens ordinaires et se transformer en caisse de résonance et de relais d’intérêts étrangers;
  • d’opérations d’intelligence économique cherchant à aider les intérêts de leur pays d’origine aux dépends de ceux de leur pays d’adoption.

Il n’est pas nécessaire d’avoir un débat public sur ce sujet car il pourrait se transformer en un débat sur l’immigration avec les dérives que ces débats entraînent inévitablement. Le risque est réel et avéré. Il revient donc uniquement aux services concernés d’intégrer l’évaluation de ce risque dans leur protocole et de former les citoyens à risques à se protéger et à dénoncer toutes tentatives de recrutement.

Komlan Adodo

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