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Rivalité et enjeux des groupes ethniques entre la Russie et l’Estonie

Publié le 24 février 2020 par Infoguerre

Rivalité et enjeux des groupes ethniques entre la Russie et l’Estonie

En 2019 nous célébrons la chute du mur de Berlin, la fin de 40 ans de rivalité entre atlantistes et socialistes, mais surtout le début d’un « nouvel ordre mondial ».  Dans un rapport datant d’octobre 1995, la CIA se pose la question du rôle des communautés ethniques dans les futurs conflits nationaux, et internationaux. La diversité culturelle d’une nation, est bien évidemment une richesse, mais peut également être son talon d’Achille, et servir des fins d’influences, de parasitismes économiques, ou de conflits. Déjà en 1938 le troisième Reich d’Hitler, dans un but pangermaniste, utilisa l’argument de protection des populations allemandes de Tchécoslovaquie afin d’annexer les Sudètes. L’histoire contemporaine de l’Europe est malheureusement abondante en exemple, de la crise entre Wallon et Flamand en Belgique ; le séparatisme de la Catalogne , ou encore les guerres dans les Balkans (1994-1996) et Kosovo en 1998.

En outre, la Russie post-soviétique a développé une logique de jeu d’échec en soutenant la création de zones ethniques séparatistes afin de mieux manœuvrer en Eurasie. Héritage du bloc soviétique, la Transnistrie Etat autoproclamé en Moldavie ; L’Abkhazie, sur la côte géorgienne de la mer Noire ; Ossétie du Sud, dans le nord de la Géorgie ; et, dans une moindre mesure, le Haut-Karabakh, une région montagneuse enclavée du sud-ouest de l’Azerbaïdjan, sont autant de vecteurs, de dispositifs et de moyens de puissance pour le Kremlin.  Déjà à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’impératrice Catherine la Grande gagna la Nouvelle Russie du Khanat Tatar et de l’empire Ottoman, elle encouragea l’usage de la langue russe, ainsi que l’installation de colonies de peuplement.

Les communautés russophones, relais et levier d’influence de Moscou

L’Estonie est l’un des trois États baltes, dont 27% de sa population appartient à la communauté russe, ceci est principalement due à l’occupation soviétique d’après-guerre, et le processus de russification initié par Staline. Frontalier de la Russie et ancien membre de l’URSS[1], l’Estonie est adhérente de la communauté européenne et de l’OTAN depuis 2003.

Malgré le fait que la déontologie des médias estoniens soit conforme à celle des membres de l’Union européenne, qui elle-même est grandement inspirée par la charte de Munich, à savoir la garantie de la liberté d’information, la diversité des opinions et le pluralisme des médias. Le paysage médiatique estonien fait preuve d’une dichotomie entre les médias (télévision, presse, radio). L’Estonie dispose donc de deux champs d’informations radicalement différents dans leurs formes : l’un destiné au public estonien et l’autre pour les russophones, mais également dans leurs contenus l’un pro-européen, l’autre russophile.

En 2005 une vague de vandalisme a frappé l’Estonie, ciblant plusieurs monuments commémoratifs de la Seconde Guerre mondiale, notamment ceux à la mémoire des soldats soviétiques. Face au laxisme des forces de l’ordre estonienne, la Russie a accusé ces actes de glorification du nazisme et même de « réhabiliter le fascisme ». Sachant que les États Baltes ont un point de vue divergent de celui du Kremlin quant au rôle libérateur du communisme et de l’armée rouge de Staline, les tensions entre l’Estonie et sa communauté russophone (appuyée par le Kremlin) n’ont fait que s’aggraver. Les multiples rappels de L’ancienne Présidente lettone, Vaira Vīķe-Freiberga, quant au mythe protecteur russe a été mal accueilli par Moscou. Le 26 avril 2007, le gouvernement estonien a initié le déménagement du mémorial de la Seconde Guerre mondiale initialement à Tõnismägi Park au centre de Tallinn, vers un cimetière militaire. La décision de transférer ce monument dédié aux soldats soviétiques a provoqué un tollé en Russie et a entraîné ce que l’on a appelé «la crise du soldat de bronze ». Le jour même, le Président Poutine a publiquement dénoncé le déplacement de cette statue, et a informé que ces actions auraient de graves conséquences.

Des troubles et des émeutes ont éclaté, impliquant principalement des jeunes russophones à Tallinn et dans le comté d’Ida-Viru, ce dernier comté frontalier avec la Russie est composé de plus de 80% de russophone. La réaction russe n’a pas tardé, les membres de la Douma ont menacés de rompre les relations diplomatiques avec l’Estonie, et les exportations vers l’Estonie ont été réduites, ainsi que le fret ferroviaire et portuaire russe via l’Estonie. Outre le champ diplomatique et politique, un front cyber a aussi était ouvert avec une temporalité et une progression dans la puissance de la manœuvre qui caractérise la doctrine Gerassimov. Les canaux d’informations russes passaient alors en mode de désinformation offensive. Les réseaux sociaux russophones appellent les volontaires à lancer des cyberattaques contre les sites estoniens, en fournissant les outils cyber nécessaires. En première ligne les partis politiques estoniens, les sites gouvernementaux, ainsi que les portails d’information, et les banques.

Les cyberattaques sont alors peu sophistiquées, et utilisent des méthodes primitives de type Denial of Service (DoS) et Distributed Denial of Service (DDoS), qui consiste à une multiplication de connections, de spam et de publication de commentaires automatisés, saturant ainsi les systèmes informatiques. A partir du 30 avril, les cyberattaques franchissent une étape dans la technicité et la sophistication ciblant cette fois-ci les infrastructures de communication, telles que les serveurs de noms de domaine (DNS), les routeurs internationaux et les réseaux de télécommunication, y compris le plus grand fournisseur de services : Elion.

La troisième étape dans la stratégie de guerre d’influence, commence à partir du 9 mai 2007 pour une durée d’une semaine et comprend un volet économique majeur. Le 9 mai, jour férié en Russie qui célèbre la capitulation de l’Allemagne nazi, est d’autant plus symbolique dans le contexte de la crise « du soldat de bronze ». Cette phase d’attaque cible particulièrement les institutions de l’État estonien, les entreprises de télécommunications, mais surtout et les deux plus grandes banques du pays Hansapank et SEB Eesti Ühispank.

Les services bancaires en ligne étaient alors inaccessibles pendant près de deux heures, et les liens de ces banques vers l’extérieur totalement rompus. L’expert en matière de cybersécurité de Hansapank a estimé que les coûts estimés par cette cyberattaque pouvaient atteindre 6,5 millions d’Euro. Bien qu’il y ait peu de preuves concluantes, concernant les commanditaires de ces cyber attaques, les autorités Estoniennes gardent la certitude du rôle central du Kremlin. Plusieurs personnalités estoniennes, y compris Urmas Paet, ministre des Affaires étrangères, ont déclaré que les adresses IP utilisées pour lancer les cyber attaques appartenaient au gouvernement russe et à des responsables gouvernementaux, incluant l’administration présidentielle.

L’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie, démontre que le Kremlin se positionne en défenseur des minorités russophone, y compris en utilisant la force. Ceci est pour le moins intimidant pour l’Estonie, craignant un scenario ukrainien pour le comté d’Ida-Viru.

Les parades de contre influence ethniques du Kremlin

 L’ethnologie de la Russie est historiquement évolutive l’espace et dans le temps, les chercheurs dénombrent une quarantaine d’ethnies significatives  en république fédérale de Russie. Bien que les républiques du Caucase (Daghestan, Ossétie, Tchétchénie) soient le théâtre d’opérations militaires, et se rapprochent du monde musulman, le Kremlin se montre particulièrement sensible concernant les ethnies Finno-ougriennes. La communauté Finno-Ugric compte au total environ 25 millions de personnes à travers le monde, dont les groupes les plus importants sont les Finlandais et les Estoniens. Les Finno-Ugric se sont sédentarisés en Eurasie et en Russie contemporaine deux millénaires avant notre ère, actuellement ils vivent en majorité dans cinq républiques ethniques, les Républiques de Carélie, Komi, Mordovie, Oudmourtie et Mari el. Ces Républiques ont une importance stratégique majeure, puisque leurs sous-sols est riche en hydrocarbure, charbon, et terres rares.

Les communautés Finno-Ugric disposent d’un lien culturel étroit avec la Finlande, et l’Estonie, ces deux derniers sont particulièrement actifs dans la promotion et le lien avec cette minorité russe. Plusieurs associations sont par ailleurs installées à Tallin, tels que URALIC en Estonie, et l’université de Turku en Finlande. Afin d’éviter une instrumentalisation des Finno-Ugric par les pays frontalier et membres de l’OTAN, le Kremlin a mis en place une série de mesures visant à encercler de manière cognitive ces liens ethniques.

Tout d’abord l’assimilation culturelle, en 2014 fut créé le Conseil de la langue russe, sous la responsabilité directe du Président de la République fédérale de Russie. Le 5 novembre 2019, à l’occasion du 225ème anniversaire de Pouchkine, et du renouvellement du Conseil de la langue russe, le Président Poutine a déclaré au sujet de la minorité Finno-ugric :  « Non seulement les Russophobes des Grottes déclarent la guerre à la langue russe – nous l’observons également, je pense que ce n’est pas un secret – de nombreux types de marginaux travaillent ici et de nationalistes agressifs. Malheureusement, dans certains pays, cela devient une politique d’État complètement officielle ». Officialisant la langue russe comme langue d’état, tout autre langue est apprise à titre privée, et de fait, a une légitimité toute relative.

Le contrôle de la langue, la nomination d’un représentant aux affaires Finno-Ugric, sous la direction du Kremlin. Longtemps représenté par le gouverneur de Samara, Nikolay Merkushkin ancien gouverneur de la région de Samara connu pour sa partialité pro-russophone. De part leur importance stratégique, les communauté Finno-ugric, sont malgré elles, au cœur d’enjeux de pouvoir entre la Russie, la Finlande, et l’Estonie, spécialement dans le contexte de mise en place du pipeline gazier Nordstream2.

Ces exemples, la Russie nous montre sa capacité à utiliser les communautés russophones en dehors de ses frontières, dans le but de servir des intérêts politiques et économiques. Mais le Kremlin, nous démontre sa capacité à contrôler de manière la plus totales les relais d’influences de puissances étrangères, au sein de la fédération de Russie. La fracture implicite, a déjà était démontré en Ukraine et réveille de vieux démons en Europe, quant à la présence de « cinquième colonne », mais remet surtout en question les principes d’unicité nationale, de souveraineté, et de patriotisme.

Ahmed Graouch

[1] Union des républiques socialistes soviétiques

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