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(Note de lecture), Claude Minière, Un coup de dés, par France Burghelle-Rey

Par Florence Trocmé

Un-coup-de-desLe poète et critique Claude Minière, après avoir publié des essais sur Pound et Melville dans la prestigieuse collection "l'Infini" chez Gallimard, est le premier à rapprocher le pari pascalien du célèbre Coup de dés de Mallarmé.
Il faut tout d’abord rappeler que Pascal (1623-1662), était mathématicien, qu'il théorisa sur les jeux de hasard, et fut à l'origine du premier pas dans l'univers des probabilités. C'est ainsi qu'il estimait que son propre pari avait des chances d'être valable.
"L'écriture force la main." Telle est la chute du prologue qui insiste sur le rôle du hasard dans la création.
La première partie de cet ouvrage d'une quarantaine de pages - il y en aura quatre - montre Pascal vêtu d'un grand manteau noir retiré des salons un an avant sa mort. L'emploi du présent y met en scène, comme par hypotypose, le philosophe au moyen d'anecdotes et de précisions : ses pensées écrites dans sa doublure pour qu'elles ne lui échappent pas, sa santé et les détails qu'en rapporte sa sœur dans Une vie de M. Pascal, sa lecture de la Bible et de Montaigne.
L'usage des italiques également permet une insertion discrète des citations sans guillemets. Pascal ponctuait peu ses phrases et il s'agit de retrouver son rythme en évoquant sa voix. "usage de la citation comme un coup de fouet " écrivit-il justement. Entre exaltation et prostration le voilà qui veut en priorité prouver l'existence de Dieu. Ainsi Claude Minière entre-t-il in medias res dans le destin de Pascal et, par la vivacité de son style, en souligne la géniale originalité : "Ne pas s'arrêter. D'ailleurs s'arrêter il ne le pourrait pas…il cherche l'air dans la pensée, dans les évangiles, dans le vol de sa plume…".
Des mots-clés sont piochés dans l'œuvre de Pascal : cœur, instinct, imagination, et surtout beauté. Ils laissent entendre la psychologie de celui qui n'a plus beaucoup de temps à vivre, et qui a pris conscience de "la vanité des sciences", selon l'expression de notre auteur.
L'intérêt du lecteur est renforcé par l'allusion au fameux "mémorial" cousu et recousu depuis des années, souvenir de l'illumination du 23 novembre 1654, sur lequel est écrit : "Oubli du monde et de tout, hormis Dieu ".

La seconde partie Figures, comme par un artifice romanesque de flash-back, raconte la jeunesse de Pascal, cette époque où il découvre des principes géométriques ou presque poétiques : "si on regarde au travers d’un verre un vaisseau qui s'éloigne ", celui-ci n'arrivera pas au point à atteindre et sa course sera infinie. Et plus en arrière encore, nous voilà plongés au temps du deuil, de la mort de la mère à l'origine sans aucun doute des questions existentielles, du goût pour la prière, et de l'effroi du silence des espaces infinis dont Claude Minière se sert comme chute.
Celui-ci donne alors plus de vie encore à son livre en s'exclamant et en s'interrogeant sur cette question de la foi aiguisée bientôt par la guérison miraculeuse de la nièce du philosophe. Et en faisant de nouveau un bond dans le temps au moyen des connecteurs temporels forts : "maintenant" et "ce soir". Vous voici, par une page-caméra, embarqués dans un carrosse à cinq sols et à travers Paris, vous "divertissant". En effet "Vous avez payé "cinq", un dé allant de cinq à six" ! Mais à la mort de Pascal qui sera inhumé dans l'église de saint Etienne du Mont, "Le dé s'arrête côté oui, face amen". Comme celui de chacune de ses Pensées qui n'étaient qu'expérimentations, fuyant les standards.
Ainsi à propos du Christ écrit-il : "Afin qu'on ne prît point l'avènement pour les effets du hasard, il fallait que ce fût prédit.". Mais malgré tout un besoin de logique qui ne le quitte pas il sait que le hasard est téméraire et se rapporte à l'existence entière. Celui-ci, si on met dans la balance certitude est incertitude, est du côté du premier constat et ne peut être aboli.
Cet opus, écrit par un poète qui en compare deux autres (Pascal a su se faire poète et moderne et annoncer Mallarmé) pourra, par sa simplicité et sa clarté, servir de viatique à d'autres encore qui sauront trouver dans la prose une part de vérité et de beauté.
France Burghelle Rey

Claude Minière, Un coup de dés, Tinbad, 2019, 55 p., 11,5€
Extrait (Choix de la rédaction)
Quand, dans un salon, dans un coche, lui viennent des pensées qui se présentent impromptues ou qu'il rumine sa méditation, il les jette sur de petits billets qu'il épingle à la doublure de son manteau. Il écrit sous le manteau. De retour chez lui, il distribue les phrases sur de grandes feuilles découpées ou pliées qu'il suspend ensuite à des fils tendus en travers de la chambre...Le travail lui est pénible. Il doit faire cesser les sons parasites qui le tracassent. Depuis l'âge de dix-huit ans il n'a point passé un seul jour sans douleur. Ses maladies continuelles vont en augmentant. Sa sœur, qui écrira une VIE DE M. PASCAL, rapporte qu'il ne peut avaler les nourritures liquides que chaudes, et goutte à goutte. Ses maux de tête sont insupportables. Selon les médecins il devrait arrêter ses travaux, mais non, il poursuit avec acharnement.
Pourquoi écrit-il sous le manteau ? Parce qu'il craint que ses pensées lui échappent. Pensée échappée, je la voulais écrire : j'écris au lieu qu'elle m'est échappée. Quand il écrit, sa pensée ne lui échappe pas. Il se trouve au lieu. Ses pensées ne lui échappent pas mais son projet initial de composer une Apologie de la religion lui échappe. Il s'intéresse maintenant au penser même, à l'expérience de la pensée, aux contradictions qu'elle met en jeu. Il doit résister à l'engloutissement. Par l'espace l'univers me comprend et m'engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. Je reprends le dessus, je pourrais être englouti comme un point...
Il écrit sur les bandes de papier pliées en quatre, il forme des liasses qu'il classe selon un ordre qui n'appartient qu'à lui. Cette pensée s'est écrite d'un trait, ne dit-elle pas mieux que la rédaction adoptée il y a trois jours et qui se trouve... dans quelle liasse ? sous quelle épingle ? Il ponctue peu ses phrases, le lecteur devra deviner et trouver le rythme. Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n’entend rien. Il aime le style mais ne se soucie pas d’écarter les répétitions. Le ‘point’ est ailleurs et il hante les pages. Le hasard hante ses pensées, Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l'homme ! Que de vacations, et par quel hasard ! Est-ce que je suis par hasard ? La question relève encore de la science expérimentale. Il faudrait produire des preuves. Vous regardez et écoutez les choses autour de vous, un coup sur une assiette, le son que l'on étouffe en y posant la main... Et là, maintenant, ce sont des phrases que Blaise regarde courir sur les bandes de papier, le point à l'intérieur, leur résonance. Où s'arrêter ? La nature soutient la raison impuissante et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point. Quel point ?
(pp. 14-16)


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