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Violences

Publié le 23 février 2018 par Detoursdesmondes
Stojka


Comment l'art peut-il dénoncer la violence ? S'ouvrent presque simultanément à Paris trois expositions différentes et dont le propos principal n'est pas de traiter nécessairement de cette question mais, toutes les trois à leur manière apportent des éléments de réponse, d'autant plus frappants que j'en faisais l'expérience hier, dans la même journée.
DollÀ la Maison Rouge, la première exposition est celle consacrée à Ceija Stojka, une artiste "rom" déportée à l’âge de dix ans avec sa mère et d’autres membres de sa famille, qui survécut à l'enfermement dans trois camps de concentration, Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen. Il ne s'agit jamais ni dans sa peinture ni dans ses écrits dont nous pouvons lire quelques extraits, d'un nième récit sur l’horreur des camps, mais bien plutôt d'une presque touchante grâce qui crie, qui vomit la violence.
Tout près, à la Maison Rouge toujours, ce sont des Black Dolls, ces poupées Africaines-Américaines artisanales et des photographies d’époque des années 1850-1940 qui racontent une histoire des Noirs Américains, celle de la ségrégation raciale bien sûr...
Humilité de ces poupées de chiffons ou encore de bois ou en cuir... un objet intime, miroir de l'enfance, du câlin, de la douceur...
Pourtant lorsqu'elles ne sont pas tristes, émouvantes ou voire inexpressives, certaines d'entre elles dégagent une certaine violence. Je pense notamment aux Topsy-Turvy, ces poupées à deux têtes opposées sur un même corps : l’une noire, l’autre blanche, comme si elles ne pouvaient figurer que pour s'opposer.
Comme si la jupe soulevée ne pouvait faire songer qu'à un viol !

Blach-white

Une journée de colloque (Culture matérielle, représentations et résistances africaines-américaines (1840-1940)) se tiendra le 27 février au musée du Quai Branly -Jacques Chirac.
Télécharger le programme

Masque-maladie Puis j'ai poursuivi. Avec L'Un et l'Autre présentée au Palais de Tokyo par Jean-Jacques Lebel et Kader Attia, je savais que j'y trouverai un "laboratoire à penser" et, comme l'annonçait le communiqué de presse, deux installations phares : "la première consacrée à la fabrication dans et par les médias dominants de l’Autre absolu, comme une entité à craindre, violente et belliqueuse, le Satan, le Sauvage, le Terroriste – ; la seconde consacrée à la persistance transhistorique de l’humiliation, du viol et de la torture en tant que crimes de guerre impérialiste"...et puis des objets, forcément la volonté d'un dialogue (objets fabriqués dans les tranchées de la première guerre mondiale, masque de ventre makondé, fers d'esclaves, armure de chamane, sert-poteau électrique...) ; après la dénonciation des maux, "l'un et l'autre" allaient-ils se retrouver ?
Hélas je me suis heurtée à un grand bavardage !
Jean-Jacques Lebel qui, notamment pour dénoncer la violence, se complet dans une inflation de l'horrible, de l'ignoble, de la douleur qu'il nous exhorte à dévorer, à avaler... et rate bien évidemment son propos en laissant place à cette facilité de la construction univoque d'un discours anticolonialiste et antiraciste ; lui qui prétend bâtir des rhizomes !
J'ai butté contre des stéréotypes que les deux artistes combattent mais qu'ils reproduisent en négatif !
Masque-maladie-attia Heureusement qu'elles étaient là, leurs cases d'objets évoquant des corps partout absents mais qui, hantant l'exposition, disent plus en chuchotant et permettent la polysémie : des lieux propices à des rencontres d'objets ordinaires et moins communs, à la résonance qu'ils peuvent susciter dans notre imaginaire, notre savoir, notre vécu.
Entre eux, les masques de maladie semblent rire de cet état du monde : "âmes sensibles s'abstenir" ! Pourtant ils ont été réalisés pour résoudre les problèmes de la communauté, sculptés avec soin aussi à des fins prophylactiques pour le bien-être de la société.
Gardiens incompris, ils dansent sans le savoir dans un monde de brutes.
Et c'est tout bas, au travers de leur bouche grimaçante, qu'ils murmurent "nous", non pas seuls face à leur terrible reflet mais bien ensemble dans leur monde d'objets pour nous fournir matière, à la fois, à panser le corps et à penser l'âme.
Jumeau-rapa-nui

Photo 1 : Sans Titre © Ceija Stojka Courtoisy Christophe Gaillard, photo de l'auteure, exposition Ceija Stojka, février 2018. .
Photo 2 : Poupée (anonyme), photo de l'auteure, exposition Black Dolls, février 2018.
Photo 3 : Topsy-Turvy, photo de l'auteure, exposition Black Dolls, février 2018.
Photos 4 et 5 : Masques de maladie, Afrique, photo de l'auteure, exposition L'Un et l'Autre, février 2018.
Photo 6 : Moai de Rapa Nui, photo de l'auteure, exposition L'Un et l'Autre, février 2018

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