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Interview # Julien Moya aka Yamo

Publié le 02 juillet 2008 par Goanna


Lorsque j’ai crée ce blog j’avais déjà dans l’idée de faire des interviews d’artistes, graphistes et autres designers, mais aussi de différents professionnels des arts graphiques et de la communication visuelle en général.
J’ai alors imaginé faire une série d’interviews relatifs au métier de graphiste en général et freelance en particulier. J’espère dans cette série pouvoir interviewer des graphistes et des professionnels en agence travaillant avec des indés. Mais aussi j’espère pouvoir interviewers d’autres acteurs de la vie des indés comme par exemple la MDA et les AGESSA, l’AFD, et même des profs pourquoi pas…qui à mon avis sont tous des chaînons importants dans la vie d’un professionnel du graphiste en agence comme en statut indé.

Je commence donc aujourd’hui avec Julien Moya dit Yamo

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Goanna - Peux tu rapidement te présenter, toi, ton activité, ton travail.

Yamo - Je suis graphiste et directeur artistique freelance, spécialisé dans le online.

Concrètement je travaille sur des sites de communication, b2c ou institutionnels, des opérations marketing en ligne, des publicités, des animations… Je ne fais quasiment plus de print, c’est un autre métier. Mes clients finaux sont principalement les annonceurs nationaux via les agences parisiennes, ou les agences elles-mêmes pour leur propre com’.

J’interviens selon les projets parfois très en amont, dès la conception des campagnes, parfois plus en aval au niveau de la production, d’autres fois tout au long du déroulement. Je peux être amené à travailler seul ou en équipe, que celle-ci soit mise en place par l’agence (équipes internes ou prestas freelances) ou laissée à ma responsabilité.

Les sites de communication et opérations en ligne sont aujourd’hui la plupart du temps basés sur le média Flash avec lequel je travaille beaucoup, mais les sites et portails commerciaux restent l’occasion de travailler sur des chartes HTML/CSS.

L’ensemble de mon travail est visible sur mon site pro, www.julienmoya.com

Goanna - Comment es-tu devenu graphiste freelance et pourquoi ce statut plutôt que salarié ?

Yamo - Je suis devenu freelance il y a 5 ans après une première expérience en tant que graphiste salarié dans une agence de e-learning. En la quittant pour tenter autre chose j’ai eu envie d’essayer le freelance par intérêt et par personnalité, et pour l’heure c’est la formule qui me convient le mieux donc j’y reste.


Goanna - Quels sont pour toi les avantages et inconvénient du statut free ?

Yamo - Il n’y pas pas vraiment d’avantages et d’inconvénients à ces deux statuts, aucun n’est « mieux » que l’autre, mais plutôt des spécificités qui seront perçues comme des avantages ou des inconvénients selon son profil psychologique.

Parexemple la partie commerciale, très importante dans le freelance (et souvent sous-estimée), ou la « précarité » induite par ce statut seront des « mauvais côtés » ou des inconvénients insurmontables pour certains, mais des challenges motivants et bienvenus pour d’autres.

A l’inverse avoir un patron et un cadre de travail stable sera rassurant pour certains, frustrant pour d’autres.

Au lieu de lister les prétendus « pour et contre » de ces deux statuts, il vaut donc mieux réfléchir à sa propre personnalité, à ce que qu’on cherche soi-même comme environnement professionnel, à ce qui nous motive, et voir ce qui nous semble le plus compatible avec ces objectifs.

Je crois vraiment que c’est une question de personnalité, les graphistes freelance de longue date ont d’ailleurs souvent un mental et une pratique professionnelle assez différents de ceux en agence. Il est important de comprendre qu’un graphiste freelance n’est pas juste un graphiste d’agence sans patron, c’est vraiment un métier très différent à bien des égards, celui d’entrepreneur. Ce n’est pas fait pour tout le monde, comme le salariat…


Goanna - Tu as déménagé dernièrement, tu as quitté Paris pour la province, vois-tu des changements dans ta façon de travailler, dans ta relation avec tes clients ? La distance avec Paris est-elle devenu un problème ?

Yamo - J’ai quitté Paris pour des questions de cadre de vie, et comme je l’ai dit ma clientèle est restée 100% parisienne. Pour l’heure je ne prospecte pas vraiment le marché local.

J’ai évidemment eu quelques craintes au départ au niveau de la clientèle, mais certains autres freelances descendus en Province ont dissipé mes doutes et je peux confirmer à mon tour que dans certaines conditions ça ne change absolument rien.

Par contre, la clientèle parisienne est celle que je me suis constituée sur place en plusieurs années, et elle y est relativement solide. Je pense que c’est malgré tout plus compliqué et plus long de s’y faire une place à distance sans jamais y avoir travaillé. Au départ c’est un vrai plus de pouvoir faire beaucoup de rendez-vous et d’être formé à « l’ambiance » de travail de ce secteur, assez différente de ce qu’on trouve en régions.

Une fois cette clientèle faite je suis donc parti et je n’ai ressenti aucune baisse au niveau des commandes, au contraire. Ce métier, surtout dans sa branche online, s’accommode parfaitement d’un travail à distance par mail, téléphone, téléconférences, à partir du moment où on est organisé et qu’on reste fiable envers ses clients. Si on ne leur donne aucune raison de s’inquiéter de la distance et qu’on est toujours aussi disponible et réactif, les agences se moquent de savoir que vous êtes à l’autre bout de la France, voire du Monde. Je fais souvent moi-même travailler des collègues freelances qui sont en Bretagne, en Suisse… L’important est de trouver le bon prestataire, ensuite la distance est secondaire.

Il reste parfois nécessaire de monter sur Paris pour grouper quelques réunions de travail, mais c’est plus rare que je ne l’aurais pensé au départ, et rarement indispensable.

Goanna - Tu es très actif sur les communautés de graphistes comme FlashXpress, 1dcafé, Kob-one et n’hésite pas à participer à des débats sur certains blog. Comment gères-tu ton temps entre ton travail et ce rôle que tu as pris sur ces communautés ?

Yamo - Je suis modérateur sur 1dcafé et poste assez souvent sur Kob-One. Ces deux forums pour créatifs ont un public et des thèmes différents mais qui se croisent parfois et se complètent bien. Je n’y ai pas pris de « rôle » (du moins consciemment), et je n’ai pas calculé ma participation à ces forums, c’est juste que pour moi, ils représentent mon principal canal d’échange, de veille et d’information professionnelle.

Je ne consulte que rarement les blogs, encore moins les portails de graphisme et aucun magazine papier. C’est sur les forums que je me tiens au courant de ce qui se fait et ce qui se prépare. C’est aussi par ce biais que j’ai rencontré la plupart de mes amis dans le milieu, certains free d’autre en agence, et que j’ai commencé à me constituer un réseau professionnel il y a des années.

L’autre aspect, c’est qu’en y passant tellement de temps à répondre aux questions des autres, j’ai moi-même énormément appris à tous les niveaux. Une bonne partie de ce que je sais des questions techniques, administratives ou légales du statut freelance notamment, vient des heures passées sur ces forums.

En ce sens, je considère même si ça peut sembler étonnant que lorsque je poste là-bas, je suis clairement en train de travailler. Je n’ai donc pas à « concilier » mon temps de travail et celui passé sur les communautés car pour moi c’est la même chose, c’est juste un autre aspect du boulot.

Evidemment, ça sert aussi à « remplacer» les collègues de bureau et permet de se détendre, ce qui n’est pas négligeable quand on travail en indé.

Goanna - Pourquoi ne pas avoir fait ton propre blog où tu pourrais publier tes propres articles, conseils et autres infos ?

Yamo - Pour l’heure je pense qu’il y a déjà trop de blogs, trop de gens donnant leur avis pas assez renseigné sur trop de choses. C’est un peu le culte de l’opinion, comme si le fait que chacun puisse s’exprimer impliquait que chacun aie des choses intéressantes à dire et mérite qu’on l’écoute, ce qui est loin d’être le cas. Sans parler de certains amalgames dangereux et difficilement vérifiables entre information désintéressée et messages à sous-entendus commerciaux. Lorsque la « blogosphère » sera arrivée (si elle y arrive) à maturité je m’y intéresserai peut-être un peu plus, pour l’heure même si évidemment de très bon blogs existent, c’est surtout beaucoup de déchets.

Concernant l’éventualité d’avoir mon propre blog je ne l’ai jamais vraiment envisagé. Je considère que je n’ai rien de si intéressant à déclarer qu’il fasse l’objet d’un site à lui seul. Si j’ouvrais un blog je passerais une heure tous les matins à me demander « mais qu’est ce que je vais bien pouvoir dire aujourd’hui ? ». Je trouve largement plus intéressant de participer à des discussions et de répondre aux problématiques posées par d’autres, comme point de départ à mes réflexions. En ce sens le temps que je passe sur les forums remplace bien celui que je pourrais passer à écrire des monologues.

Goanna - As tu des projets relatifs à ce rôle d’information du métier de graphiste indé ?

Yamo - Oui, car cette forme de débat a quand même ses limites et qu’on ressent par moment le besoin de capitaliser tout ce qui a été dit et résolu, afin de proposer une information structurée à tous ceux qui arrivent après.

Avec une dizaine d’autres graphistes nous sommes en train d’essayer de mettre en place une initiative à visée informative et pédagogique, qui selon nous pourrait aider à remplir certains trous béants dans la formation des débutants et des plus jeunes, qui souvent se lancent sans vraiment (voire du tout) avoir été préparés au terrain.

Je préfère ne pas trop m’avancer sur des choses qui sont encore en projet, on pourra toujours en reparler quand ce sera plus concret.

[NDLR: Oui on en reparlera ]


Goanna - Quels seraient tes conseils pour un jeune graphiste finissant ses études et qui hésite entre free et salariat ?

Yamo - Sans détour, d’arrêter d’hésiter et de foncer vers le salariat.

Je fais partie de ceux qui considèrent qu’une première expérience en agence est quasi-indispensable avant de se lancer en freelance, pour plusieurs raisons :

-D’une part parce que sans avoir été salarié on ne peut pas savoir pour de bonnes raisons qu’on est fait pour le freelance, on ne peut avoir que des a priori. J’ai vu des tas de gens qui se sont lancés « par défaut » en free en pensant que c’était « mieux » et qui se sont plantés car ce n’était tout simplement pas pour eux.

-D’autre part parce que quand on sort des études, mêmes les meilleures, et même si on a plein de talent, contrairement à ce que certaines filières prétendent on est pas DU TOUT opérationnel professionnellement, et encore moins autonome. Il reste encore de longs mois (voire années) au contact de la réalité du travail, des projets et des clients, pour vraiment apprendre ce qui fait le métier de graphiste dans sa réalité, loin des histoires de logiciels, de création ou de tablette graphique.
Or en freelance, il est largement trop tard pour apprendre, il faut être un vrai professionnel qualifié et complet quand on se lance, c’est un pré requis. Déjà pour soi-même, parce que sinon on est à la merci des catastrophes et des escroqueries, qui peuvent massacrer un début de carrière et finir par dégoûter du métier, mais aussi pour ses clients, vis-à-vis desquels, en acceptant un budget, on a une responsabilité et une obligation de résultat, il n’y a pas de filet et votre responsabilité (y compris financière) est engagée à 100%. Il est relativement inconscient et foncièrement malhonnête de prendre l’argent de clients en se faisant passer pour un prestataire qualifié si on ne sait pas du tout ce qu’on s’apprête à faire et qu’on n’a pas les épaules pour mener le projet à bien, y compris en cas de pépin. Vous ne seriez pas rassuré de savoir que le plombier qui pose votre chauffe-eau sans supervision n’a jamais travaillé de sa vie et sort de l’école, vous trouveriez peut-être même ça très inquiétant. Ce serait normal et c’est pareil dans tous les métiers.

-Enfin, parce qu’en plus de tout ce qui fait le métier de graphiste, comme je l’ai dit plus haut, le métier de freelance implique des tas de compétences et de savoirs complexes et lourds à assimiler : gestion de projet, de trésorerie, de planning et de clients, prospection commerciale, administratif, fiscalité et comptabilité, veille professionnelle… Gestion de la vie elle-même et de la prévoyance, sans le repère rassurant du salaire qui tombe tous les mois. On est un patron, un chef d’entreprise avec tout ce que ça implique.
Il faut aussi et surtout comprendre les règles du commerce, celles des affaires, qui n’ont rien à voir avec ce qu’on a pu vivre avec sa famille, ses amis, à l’école… Ce ne sont pas des concepts en l’air, je vois énormément de jeunes qui sont dans le secteur pro et qui n’ont absolument rien compris à ce qui fait et régit les rapports professionnels, à ce que j’appelle les « règles du jeu », et y réagissent sur des modes personnels ou scolaires complètement inadaptés. Cela donne, pour être très clair, de véritables pigeons professionnels à la merci de quelques clients prêts à abuser de ces faiblesses et qui savent très bien jouer sur les modes personnels pour obtenir ce qu’ils veulent. Il y en a beaucoup…
Toutes ces compétences et savoirs sont déjà un gros morceau à apprendre quand on est un bon graphiste qui se lance, si en plus on a aussi toutes les bases du métier à acquérir ça devient très très dur.

En dernier lieu, je tiens à mettre en garde contre l’idée qu’ont certains de se mettre en freelance parce qu’ils ne trouvent pas de poste salarié. C’est le choix de la facilité, et une vue à court terme qui bien souvent mène droit dans le mur. La raison en est simple : le métier de graphiste freelance impliquant plus de compétences, de difficultés et de responsabilités que celui de graphiste en agence, si on est déjà pas assez qualifié pour être embauché quelque part c’est qu’on l’est encore moins pour tenter le coup tout seul… Il vaut mieux persévérer pour décrocher son premier job, les choses s’enchaîneront mieux ensuite.

Certains pensent que c’est possible de se lancer directement, certains même l’ont fait et peuvent en témoigner. Je ne le remets pas en question, et il y a toujours des exceptions qui confirmeront la règle. Reste que j’ai quand même quasi-systématiquement constaté que pour eux le chemin était beaucoup plus dur et long avant de trouver l’équilibre professionnel et financier, quand il n’a pas mené au plantage pur et simple. Je continue donc à croire que ce n’est vraiment pas la meilleure façon de procéder ni de se donner une chance de réussir.

Goanna - Le mot de la fin est libre si tu as quelque chose à dire, une info à passer par exemple…ou autre.

Yamo - Rien de particulier à dire à part de généralités qu’il fait quand même bon répéter de temps à autres : c’est un chouette métier, mais qui n’a rien du « facile » qu’on lui associe souvent (et que certaines écoles entretiennent d’ailleurs). Il y a beaucoup de travail mais seulement pour ceux qui tireront leur épingle du jeu, c’est-à-dire une petite partie d’entre nous. Face aux milliers d’autres profils qui ont déboulé sur le marché, on ne retiendra que les meilleurs, c’est ainsi. Il faudra donc toujours tout miser sur la motivation, le travail personnel et, surtout, une bonne dose d’autocritique constante : être capable de se situer objectivement sur le marché, ne pas masquer les défauts de son travail et viser à être toujours meilleur. C’est souvent, j’ai remarqué, ce qui manque le plus à ceux qui ne comprennent pas pourquoi ça ne marche pas. La demande est énorme en vrais profils qualifiés : Si vous êtes très bon vous trouverez du travail, sinon non, il n’y a aucun mystère.

www.julienmoya.com
www.kob-one.com
www.1dcafe.com

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LES COMMENTAIRES (2)

Par rellie
posté le 19 janvier à 16:22
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Je retrouve dans cet article les conseils qui m'aident aujourd'hui dans son livre "graphiste indépendant", editions-eyrolles. Enfin un bouquin qui ne concerne pas uniquement la partie "administrative" du statut de freelance mais aussi la partie, disons : "professionnelle" (gestion de plusieurs clients en même temps ou comment se définir professionnellement, etc...)

Par lecoupdulapin
posté le 24 septembre à 08:32
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Super interview, très intéressant, merci. A préciser que le site de Julien est à mettre dans vos favoris de links, pas mieux pour toucher du doigt l'un des meilleurs créa/Flash sur notre territoire.

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