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(Note de lecture), Jean-René Lassalle, "Rêve : Mèng", par Michèle Métail

Par Florence Trocmé

Rêve mengDepuis un précédent ouvrage paru en 2012 chez le même éditeur, on connaît l’intérêt de Jean-René Lassalle pour le poème carré. C’est avec la même fascination pour ce magique quadrilatère qu’il aborde la poésie et la langue chinoises dans un nouveau recueil. Une langue apprise il y a une vingtaine d’années remonte à la surface de la mémoire, comme des bulles d’air venant éclater à la surface de l’eau. Une constellation de mots se dessine alors, organisée selon des règles géométriques strictes mais qui laissent toute liberté à l’interprétation.
Le recueil s’ouvre ainsi sur une première partie intitulée Dans le style ancien. Quatre poèmes chinois choisis parmi les plus célèbres de l’époque des Tang (618-907) font l’objet d’une traduction singulière. En effet l’auteur applique au français les caractéristiques de la langue ancienne chinoise : un mot = une syllabe = un signe d’écriture. Il choisit de transposer ces textes en employant seulement, comme dans l’original, des mots d’une syllabe. Les quatre poèmes choisis sont des quatrains pentasyllabiques, ils comptent donc 20 mots répartis en quatre vers de cinq syllabes. Quatre par cinq ne fait pas un carré. Qu’à cela ne tienne, l’auteur ajoute un vers à la fin, plus exactement il reprend le premier qu’il répète en conclusion. Procédé qui rappelle la tradition chinoise des poèmes chantés dont les textes courts ne suffisaient pas à faire durer le plaisir. Accompagnés à la cithare ou au pipa les chanteurs reprenaient les quatre vers en boucle, en ajoutaient parfois de nouveaux.
Dans ce livre un premier carré présente le poème chinois, un second sa transcription phonétique et un troisième sa traduction monosyllabique. Le poème de Wang Zhihuan « En montant au pavillon de la cigogne blanche » s’intitule ici « Grimpe-tour ». Traduction d’une économie radicale à laquelle l’auteur superpose les quatre tons du chinois. Il faudra par exemple prononcer lueúr au premier ton ascendant et joùr au quatrième ton, descendant, selon le code graphique en usage dans la transcription du chinois. En empruntant à la langue source ses spécificités et en les appliquant par hybridation à la langue cible, celle-ci se pare d’une étrangeté nouvelle. 
Dans la seconde partie, quatre nouveaux carrés alignent chacun 25 caractères chinois. Ils ne sont pas tirés d’une œuvre existante mais sont des réminiscences de cette langue apprise autrefois par l’auteur. Les vingt-cinq mots disposés en carré ne composent pas un poème chinois. On y retrouve parfois des associations faisant sens : waiguoren = un étranger ou ni shi wo bu shi = tu es je ne suis pas ou tu es moi non . Ces vingt-cinq mots servent de matrice à des variations. Ils laissent libre cours à l’imagination. L’auteur reprend ici la tradition des « Poèmes à lecture retournée » (Huiwenshi), qui multiplient les sens de lecture (de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut etc.) ouvrant sur une poésie combinatoire. Les jeux homophoniques : tu es je semble pas être dans le premier poème, vers deux ou être n’est jeu et toi es-tu ? dans le deuxième, vers quatre, rappellent la polysémie propre à la langue ancienne chinoise.
Jean-René Lassalle nous entraîne dans une zone d’interactions entre deux langues. Les effacements, les manques, les distorsions, les rapprochements inattendus génèrent un flou propre à la matière du rêve meng. Le caractère, dans sa forme ancienne, est reproduit en écriture régulière sur la couverture, en écriture courante au dos illustrant ce passage d’un mot à l’effet vaporeux, réminiscence d’une forme.
Michèle Métail
Jean-René Lassalle, Rêve : Mèng, Editions Grèges 2016


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