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Ce que la ville du futur peut apprendre de la nature

Publié le 01 juin 2017 par Pnordey @latelier

Alors que les villes ne cessent d'empiéter sur les zones agricoles et sauvages, de nombreux chercheurs, urbanises et architectes réfléchissent à une autre approche : le biomimétisme.

Selon les chiffres publiés par les Nations Unies, plus de 50% des humains vivent désormais en zone urbaine et ils seront 70% en 2050. En France, près de 80% de la population vit déjà dans des villes qui drainent à elles l'énergie, la nourriture et les biens de consommation sur des centaines de kilomètres. Ces villes tentaculaires ont été bien souvent bâties sans tenir compte de leur environnement. Elles sont dévastatrices pour la biodiversité et présentent une forte empreinte environnementale. En outre, elles affichent une grande vulnérabilité face aux aléas climatiques. Entre l'urbanisation sans cesse croissante et les effets des changements climatiques, certains estiment qu'il faut maintenant revoir la manière dont sont conçues et construites nos villes. "Il est temps de changer de paradigme et s'inspirer de la nature afin de reconnecter les villes à l’environnement " affirme Olivier Floch, organisateur de Biomim'Expo avec le Ceebios (Centre Européen d'Excellence en Biomimétisme de Senlis) qui ajoute "Il faut revégétaliser les villes, car plus l'homme est au contact de la nature, mieux il se porte !". Les experts de ce que l'on nomme le biomimétisme estiment qu’il faut copier ou plutôt s'inspirer de la nature afin de dessiner des villes plus vivables pour leurs habitants et dont l'impact environnemental sera moindre.

Le biomimétisme, un concept qui revient d’actualité

Le biomimétisme est une approche qui existe depuis bien longtemps. Avec son aile volante inspirée des oiseaux, Léonard de Vinci est sans doute l’un des plus célèbres précurseurs d'une discipline qui a été remise au goût du jour par la biologiste américaine Janine Benyus. Celle-ci a souligné la grande résilience de la nature face aux pires catastrophes, un modèle à suivre pour la conception des villes du futur. "Elle a ainsi identifié sur notre planète entre 17 et 20 biomes, des "écozones" remarquables par leurs qualités, leur résilience" précise Olivier Floch qui prend l'exemple d'un de ces biomes, identifié en Inde. "Chaque année, des millions de m3 d'eau se déversent dans cette zone à chaque mousson. Ces volumes d'eau colossaux sont absorbés grâce à un nombre incalculable de plantes qui ont développé une capacité unique d'absorption en eau. De même, les mangroves apparaissent de plus en plus comme un rempart naturel face à la montée des eaux attendue ces prochaines années. L’observation de la nature apporte des éléments quant à la façon dont on peut réaménager les villes." Aujourd'hui, ces biomes sont analysés en détail par les chercheurs afin de les copier ou plutôt les transposer dans les villes. Les zones humides plantées de roseaux dans les parcs qui permettent de préfiltrer les eaux de ruissellement, les toits végétalisés, les noues et fossés végétalisés figurent désormais parmi les nombreuses solutions inspirées par les écosystèmes naturels. Des maires sont de plus en plus nombreux à se tourner vers ces solutions inspirées de la nature pour rendre leurs villes plus résistantes aux aléas climatiques.

Ainsi, suite aux inondations qui ont paralysé New-York après le passage de l'ouragan Sandy en 2012, l'ancien maire de New-York Michael Bloomberg a créé 100ResilientCities, une organisation qui vise à partager les expériences menées par les grandes métropoles afin d'’accroître leur résilience. Une initiative qui regroupe des villes de tous les continents, tant dans les pays développés que les pays émergeants et qui favorise le partage d'expérience dans des domaines aussi divers que la lutte contre les inondations, les ouragans, les tremblements de terre, mais aussi le vieillissement des populations, les inégalités sociales ou encore la criminalité.

Illustration parfaite de cette approche : Lavasa, une petite ville d’Inde située sur une colline au sud-est de Mumbai. Les autorités ont fait appel à Biomimicry 3.8, l'association de Janine Benyus, ainsi qu'au cabinet d'architectes HOK pour repenser la façon dont la ville devait être conçue par rapport à son environnement. Résultat, 70% des terrains où la forêt avait été coupée vont être replantés, tandis que les émissions carbones vont baisser de 30% et la consommation en eau de 65%.

Ce que la ville du futur peut apprendre de la nature

Le cabinet d'architectes HOK a imaginé restructurer la ville indienne de Lavasa en 5 villages capables d'accueillir entre 30 000 et 50 000 habitants, avec une empreinte environnementale limitée (Crédit photo : HOK)

Expert en aménagement durable des quartiers d'affaires, Guillaume Porcheron, Chargé de mission auprès de Versailles Grand Parc, estime que cette approche bioinspirée pourrait s'appliquer partout dans le monde : "Il est nécessaire de bien étudier le biotope local. Actuellement, on conçoit de plus en plus les villes en hors-sol par rapport à leur environnement naturel. Un village traditionnel dans une oasis s'est bâti en s'adaptant à son environnement, par opposition à une ville comme Dubaï qui n'est rien d'autre qu'un Manhattan posé dans le désert. On reproduit aujourd'hui ce modèle partout dans le monde avec pour conséquence de créer des villes énergivore et qui vieillissent mal face aux éléments. Pour moi, la ville idéale, c'est de la fluidité pour tous : les habitants, les espèces végétales comme animales."

S'il est possible d'appliquer les préceptes du biomimétisme à l'échelle d'écoquartiers ou de villes nouvelles, leur mise en œuvre peut également contribuer à améliorer le tissu urbain existant. Les responsables d'aménagement des villes commencent à chasser les îlots de chaleur qui se forment dans les zones dépourvues de végétation, afin de planter des arbres pour limiter la chaleur lors des périodes caniculaires et ainsi améliorer ainsi le bien-être des habitants du quartier. Il est aussi possible de réintroduire un peu de biodiversité dans les zones urbaines, notamment en cherchant à développer des trames vertes et des trames bleues[EB1]  dans les villes. Relier ces trames entre elles permet de favoriser la biodiversité à l'échelle de la ville. De même qu'à l'opposé des villes minérales où le béton était la règle (la dalle de la Défense à Paris), les écologues poussent aujourd'hui à la création de trames marron, des zones de terre perméable capables d'absorber les eaux pluviales. Cette approche est défendu par Marc Barra, écologue à Natureparif, agence régionale pour la nature et la biodiversité : "Les villes cumulent les impacts sur la nature par l'urbanisation, l'imperméabilisation des sols, la pollution, la fragmentation. Au-delà du constat que la nature ne se porte pas bien, il y a aussi un intérêt direct pour la santé, le bien-être et la qualité de vie, mais aussi un intérêt économique. Réintégrer la nature à l'aménagement urbain peut être moins couteux qu'un aménagement classique et le béton coûte plus cher que la végétation." Natureparif mène une étude dans divers domaines où s'appliquent le biomimétisme et compte démontrer que, outre les aspects purement écologiques et le bien-être des habitants, il peut y avoir un réel intérêt économique à mettre en œuvre des approches alternatives.

Architectes et constructeurs également sur le pont

Le secteur de la construction et les architectes s'intéressent de plus en plus aux concepts issus du biomimétisme. Ainsi, le célèbre projet du "Bosco verticale" du Studio Boeri à Milan a inspiré la future tour M6B2 qui va être construite à Paris dans le XIIIe arrondissement. "Quand on analyse ces projets, on constate que les plantes et les arbres qui peuplent les tours du Bosco verticale doivent être arrosés au goutte à goutte. Sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment, son empreinte environnementale reste forte. Ces projets sont intéressants à titre de démonstrateurs mais d'autres approches sont plus efficaces. Je crois beaucoup plus au projet « 25 verde » à Turin, conçu par l'architecte Luciano Pia et dont l'approche nécessite beaucoup moins d'arrosage et d'entretien. Sa vision est plus humaine sur le plan de la vie de quartier."

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Le « 25 verde » de l’architecte italien Luciano Pia, un modèle à suivre pour la ville du futur. (Crédit photo : Luciano Pia)

De plus en plus d'architectes commencent à intégrer les principes du biomimétisme dans leur travail, à l'image de Nicolas Vernoux-Thélot, Architecte DPLG chez In Situ Architecture : "En tant qu'architecte, cette démarche me parle directement car elle pousse l’innovation avec une dimension environnementale et écologique. Cet éveil au biomimétisme remonte à une rencontre avec un chercheur en biologie végétale du CNRS, Teva Vernoux. Il y a maintenant 10 ans, nous avons constaté qu'un habitat et une plante présentent plusieurs points communs : ils sont tous les deux immobiles, leur fonctionnement nécessite de la lumière naturelle, ils ont besoin d’eau et sont soumis aux contraintes climatiques extérieures (vent, chaleur, froid, etc.). Le parallèle entre plantes et bâtiments nous a paru particulièrement fécond et prometteur pour l’architecture." Un partenariat de R&D unit désormais In Situ Architecture et le laboratoire Reproduction et Développement des Plantes du CNRS. "Nous avons mis au point un modèle numérique bioinspiré qui permet de projeter de la façon la plus dense possible un ou plusieurs bâtiments et leurs diverses parties sur un site afin d'optimiser son exposition et ses apports d’énergie passive. Les gains immédiats étant l'efficacité énergétique des bâtiments et la bonne santé des occupants." Pour Nicolas Vernoux-Thélot, la mise en œuvre des préceptes de la bioinspiration ne s'arrête pas aux grands projets issus de la commande publique ou aux campus des grandes entreprises : "Même avec une mise en œuvre standard et donc des coûts de construction maîtrisés, on peut organiser un bâtiment et ses parties de manière à ce que ses occupants bénéficient du meilleur ensoleillement et voient leur dépenses énergétiques diminuer significativement grâce aux apports de l’énergie passive du soleil. Les plantes le font à merveille, pourquoi pas un bâtiment ? "

Outre les architectes précurseurs, des géants de la construction comme Eiffage, membre du Ceebios, s'intéressent au biomimétisme. Iswann Ali Benali membre de la Direction du Développement Durable et de l’Innovation Transverse d'EIFFAGE souligne : "Le biomimétisme pour Eiffage est considéré comme un levier d'innovation dans notre recherche sur la ville durable. Dès 2007, nous avons créé un laboratoire de prospective, baptisé Phosphore, avec pour objectif d'imaginer la ville de demain. Ce projet de R&D a réuni une centaine de collaborateurs du groupe. Ce laboratoire a engendré une série d'innovations conceptuelles et techniques que nous essayons de mettre en œuvre aujourd'hui dans nos projets opérationnels, notamment d'écoquartiers ou de nouveaux équipements publics. C'est notamment le cas de l'écoquartier Euroméditerranée 2 bâti par Eiffage à Marseille, qui est un peu le démonstrateur des concepts imaginés par Phosphore."

Ce que la ville du futur peut apprendre de la nature

La ville du futur, telle qu’imaginée par Phosphore, le laboratoire de prospective créé par Eiffage en 2007. (Crédit photo : ©Eiffage / Grenoble-Alpes Métropole / POMA / Pierre Gautier architecture et associée / Dassault Systèmes)

Autre domaine qui intéresse Eiffage, celui de l'agriculture urbaine. "Il s'agit d'un domaine un peu plus mûr et que l'on peut promouvoir dans nos projets d'écoquartiers" explique Iswann Ali Benali. "Nous avons collaboré avec l'Institut Inspire sur son concept de ferme urbaine "La Marcotte", un projet pédagogique qui cherche à expliquer comment on va intégrer l'agriculture urbaine avec sa logique de circuit court et de boucle fermée afin de valoriser les productions in-situ." Enfin, Eiffage s'intéresse aux nouveaux procédés de construction, notamment l'impression 3D qui va permettre de reproduire des formes inspirées de la nature, ce qui est difficile à réaliser avec les méthodes de construction actuelles. Mieux, de nouveaux matériaux biosourcés comme la paille et le bois pourraient être plus largement exploités dans les constructions et réduire ainsi l'empreinte environnementale des nouvelles constructions. Parmi les projets de recherche qui ont attiré l'attention d'Eiffage, ceux de l'agence d'architectes XTU. Les architectes Anouk Legendre et Nicolas Desmazières proposent de plaquer des façades contenant des microalgues sur les bâtiments. "Leur concept d'algofaçade pourrait prochainement être mis en place sur l'un de nos projets en Ile de France" espère Iswann Ali Benali. "Il y a une promesse de régulation thermique du bâtiment et de valorisation possible de la biomasse, mais il reste encore à évaluer les problèmes liés à la maintenance, c'est encore un projet en phase d'innovation émergente sur lequel on avance petit à petit. Un démonstrateur permettra de tester la solution avant de songer à son industrialisation."

Une autre startup française travaille aussi sur la piste des microalgues dans le but de dépolluer les centres villes. Fermentalg met au point avec Suez des « colonnes Morris », des cylindres de verre qui, placés dans les lieux les plus pollués des grandes villes, piègent le CO2 et génèrent de l'oxygène. "Ce qui est doublement intéressant dans cette approche, c'est que ces microalgues d’une part piègent la pollution, et d’autre part génèrent une biomasse qui, correctement exploitée, va produire du méthane qui alimentera les habitations en gaz ou bien le chauffage urbain" explique Olivier Floch qui ajoute : "On commence enfin à voir les déchets comme une ressource, notamment pour l'agriculture urbaine. On entre ainsi dans une boucle vertueuse pour aller, non pas vers une totale autonomie des villes, mais au moins limiter la manière dont elles puisent dans les ressources de la planète."

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La colonne Morris "puits de carbone" conçue par le français Fermentalg et Suez (Crédit photo : Fermentalg)

Des startups telles que Glowee ou Tangram Architectes explorent une autre direction, non pas pour produire de l'énergie, mais éclairer la ville du futur. Inspirés par la bioluminescence du plancton, leurs dispositifs pourraient bien un jour éclairer nos rues avec une lumière douce qui présente l'avantage d'être moins agressive que l'éclairage actuel dont les effets négatifs sur la biodiversité sont désormais bien connus.

 Produire de l’énergie au cœur des villes, un défi technologique

Si les écologues rêvent de créer un jour des villes autosuffisantes, l'énergie reste un point clé dans la réduction de l'empreinte environnementale des villes. "Un écosystème est un système qui vit sur lui-même et ne dépend que de l'énergie solaire et de la présence de l'eau" rappelle Olivier Floch. Le problème de l'énergie reste entier, car rendre autosuffisantes les villes qui consomment à elles-seules 40% de l'énergie consommée sur la planète est un défi complexe à relever. Diverses pistes sont suivies par les chercheurs et les architectes qui songent à couvrir les bâtiments de panneaux solaires et d'éoliennes.

Si quelques tentatives d'intégrer de grandes éoliennes à des tours ont été menés dans les émirats, cette piste semble peu réaliste actuellement. Face aux inconvénients des éoliennes telles qu'on les connaît aujourd'hui, des chercheurs envisagent de copier la peau des baleines afin d'éliminer le bruit causé par les pales, tandis que les marocains de Tayer Wind proposent pour leur part de copier les ailes du colibri. Plus original encore, le cabinet de design Atelier DNA a imaginé le Windstalk, un roseau artificiel capable de générer de l'électricité en se couchant face au vent. Ces éoliennes, plus silencieuses, pourront peut-être se faire une place en ville un jour, mais l'investissement initial reste élevé et l'échec commercial de Newwind avec son éolienne urbaine inspirée d'un arbre, démontre qu'il reste encore bien difficile de trouver un modèle économique.

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La ville du futur autosuffisante en énergie grâce à la photosynthèse artificielle et les éoliennes, relève encore de l'utopie mais de nombreux groupes de recherche travaillent en ce sens. (Crédit photo : Vincent Callebaut Architectures)

Avec ses prix en baisse, le photovoltaïque apparaît comme un moyen de produire de l'énergie au cœur des villes, mais le rendement énergétique des panneaux, de l'ordre de 24 à 25% pour les plus performants, reste insuffisant pour satisfaire l'ensemble des besoins d'une ville. De nombreux experts placent leurs espoirs dans les recherches menées sur la photosynthèse artificielle. Imitant la photosynthèse des plantes, les chercheurs visent des rendements proches de 100%. Le solaire deviendrait alors une source d'énergie abondante et inépuisable, sans avoir à mobiliser d'énormes surfaces au détriment de l'agriculture. De multiples laboratoires de recherche dans le monde cherchent à mettre au point des dispositifs qui permettront de générer de l'énergie de manière plus efficace et rapide que la photosynthèse naturelle, mais il faudra encore attendre de nombreuses années avant que la technologie soit maitrisée et enfin disponible à une échelle industrielle.

L'intelligence de la nature pourrait même se retrouver dans les algorithmes de pilotage des millions de drones et voitures autonomes qui sillonneront les rues de ces villes du futur. Les chercheurs s'inspirent en effet du comportement des bancs de poisson et du vol des étourneaux pour mettre au point les algorithmes de régulation du trafic urbain. Quand on sait qu'un essaim d'étourneaux peut compter plusieurs millions d'individus et se déplacer rapidement sans qu'aucun ne heurte ses compagnons, la nature a encore beaucoup à nous apprendre.


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