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Images en quête de Dieu

Par Balndorn

Images en quête de Dieu 
- Seigneur, Vous ne me répondrez pas. Vous n’êtes pas là.  
Les prières que se murmure le padreSebastiaõ Rodrigues (Andrew Garfield), seul, prisonnier des officiels japonais, sont terribles. Le dernier film de Martin Scorsese s’aventure dans des ténèbres faites de silence et de doute : face à l’absence de réponse du Ciel devant la persécution des chrétiens au Japon durant le shogunat Tokugawa, au milieu du xviie siècle, les prêtres jésuites témoins et victimes de ces massacres en viennent à la pire des épreuves pour les croyants : le scepticisme.  
Silence des cieux, ténèbres des yeux   
L’exigence de Silence se comprend dès l’ouverture : sur fond noir absolu, un bruissement de criquets, avant que n’apparaisse le titre. Le film poursuivra tout du long pareille esth-éthique de l’austérité, qui repose sur un principe simple : jamais de musique extra-diégétique.
À travers cette règle, Scorsese déconstruit le rôle bien souvent conféré à une telle musique dans une grande partie du cinéma : sortie de nulle part, telle la voix impérieuse de Dieu, la musique oriente le sens des images. Or, en proie à l’acédie, soit le doute de l’existence de Dieu dans la tradition chrétienne, les deux prêtres du film (Andrew Garfield et Adam Driver) n’ont plus aucune voix pour les guider, et doivent s’en remettre à la nudité d’images immanentes.
Rodrigo Prieto, directeur de la photographie du film, effectue un travail remarquable. Les plans qu’il compose, nourries des toiles enténébrées de Georges de La Tour, contiennent la dualité d’un ici-bas vidé de la présence divine. Lueurs fauves des bougies dans les recoins des maisons, qui éclaire une croix taillé avec ferveur dans une hostie ; paysages rocailleux des bords de mer baignés d’un soleil gris, où Rodrigues écoute se confesser Kichijiro (Yôbuke Kubozuka) ; soleil éclatant sur le sable des lieux d’exécution : autant d’images où le clair et l’obscur se disputent un terrain silencieux. Témoin de ces persécutions par une caméra souvent subjective, le spectateur embrasse alors l’intimité aride d’une foi qui ne peut plus s’appuyer sur la stabilité des images catholiques.
La surdité des chrétiens  
Une seule (et grave) entorse à cette loi du silence : le discours en voix-off d’un marchand néerlandais, témoin de prêtres chrétiens ayant cédé à l’apostasie et menant depuis une vie de seigneur japonais. Quoique tardif, ce discours trop compatissant, trop partial, résume le souci essentiel de Silence : résolument placé du côté des chrétiens, Scorsese n’envisage pas un seul instant le point de vue des Japonais.  
Aussi muettes qu’elles soient, les images n’en sont pas moins constructives d’un discours idéologique : des Japonais non-chrétiens, nous n’avons bien souvent qu’une image de persécuteurs. À cela s’ajoute le quasi-monopole de la parole par Andrew Garfield (excellent au demeurant dans sa manière de jouer le croyant en perdition), qui se réfère sans cesse aux « 300 000 chrétiens » que comportait le Japon au temps béni du père Ferreira (Liam Neeson). Or, aussi tenace soit le padre, la population chrétienne du Japon n’a jamais constitué qu’une minorité au sein d’une population majoritairement bouddhiste ou shintoïste.
Un même problème de partialité affecte la représentation des missionnaires jésuites. Si l’on peut comprendre que les pères Rodrigues et Garrupe se considèrent en leur for intérieur investis d’une mission supra-politique, aucune recontextualisation historique, hormis dans la bouche des inquisiteurs japonais, ne vient rappeler que ces envoyés religieux étaient les piliers de l’impérialisme européen.
Dans sa fascinante exploration de la foi chrétienne, Silence néglige systématiquement l’altérité. De la religion, nous n’avons que le point de vue européo-centré ; nous attendons toujours le contre-champ.  
      Images en quête de Dieu  
Silence, de Martin Scorsese, 2017  
Maxime

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