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(note de lecture) Antoine Emaz, "Limite", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

EmazD’abord sept textes, peu dans la manière d’Antoine Emaz. Sept proses d’un bloc, d’un souffle, qui se répètent, reprenant des éléments tels refrains, variant d’autres, où la parole se plait à emprunter le même chemin de mots lové sur lui-même, spirale ouverte, siphon fermé, écholalie sans date qui résonne, hypnotique…
Les poèmes, à proprement parler viennent ensuite. Datés en forme de journal, surtout écrits en 2013. Antoine avait donné trois livres de notes, deux anthologies, mais aucun recueil de poèmes depuis 2010.
Le titre, au singulier, bien dans sa manière, univoque, lapidaire, large, dense et clos. limite du corps, écrit-il. une lutte tête à corps, tel est le sujet principal. La dualité humaine qui se fragmente, avec une tête qui reste solide et pertinente et un corps qui tire et freine :
même quand
la barque corps
ne porte plus que mal
ou bien :
même si le corps
peine à gravir

corps à la dérive est-il indiqué par ailleurs. On ignore le jardin et ses  glycines, on se tourne vers l’intérieur, la cuisine formica jaune rouge blanc
Il reste évidemment les mots, la poésie en face de laquelle on est depuis des années on met des mots / comme on soigne sans guérir mais force est de constater qu’il y a quelque chose d’émoussé, de détraqué
au bout de la langue
si peu
de vif
encore à
lire
et toujours lancinant ce dialogue à distance, ce monologue sourd : le corps a pris la main / la tête attend
Le temps, peut-être plus que d’habitude, devient capital, sa limite se fait tangible, comme un avenir écourté, en vue, et si l’on se retourne on avale du passé / à chaque fois, d’ailleurs les souvenirs, et toute l’expérience accumulée deviennent dérisoires, d’où l’insistance :
la mémoire
n’aide n’ajoute n’enlève n’explique n’éclaire ne bouge

Deux autres éléments innervent les pages : la carcasse, comme un précipité du corps, et la nuit, lieu de confrontation mouvant, sans prise, avec la question piège comment dormir entre la méduse de la nuit et le mouvement de pieuvre de la peur. L’hiver 2013 fut rude. Les textes suivants plus épars, plus dépouillés, témoignent d’un réel apaisement
temps sur sa pointe
 on voudrait être
à la hauteur du jour

Le poète et son mal semblent s’être délestés quand le corps presque dort et laisse enfin tranquilles les yeux la main la tête le temps les mots // enfin Poème final, sans date à nouveau, pour un temps moins en prise, plus indéfini. Antoine Emaz, dans l’épreuve, n’est guère différent : un même questionnement court, haletant, continu où la poésie répond comme elle peut, têtue, aiguë, avec cette leçon
on va vers ce qui s’en va
Jacques Morin

Antoine Emaz, Limite, Tarabuste, 2016, 15€
On peut lire aussi sur le site Poezibao une note d’Anne Malaprade à propos de ce livre d’Antoine Emaz.


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