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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 4

Par Florence Trocmé

Lire la présentation de ce feuilleton et les trois épisodes déjà publiés en cliquant sur ce lien.
(…) à la glissade possible, si le pied est revêtu de la peau de l’anguille, fuyante, gluante presque, mêlée de vase – qui ne s’est envasé le pied en ramassant des coquillages à marée basse, qui n’a plongé ses orteils dans la Loire, pas plus car on la dit dangereuse, la bonne Loire qui dort ? – visage calme et posé, elle mêle lit et lie, et en lisant « le port à l’anguille » sur votre adresse, je me remémore le ponton de bois de l’anguille d’Imamura, mourra pas, et je me dis qu’il n’y pas plus d’anguille sous roche que de mousse amassée par ladite, en petits tronçons dans un bento fumant, unagi-te plus sa nageoire unique sous la roche, l’anguille(…)
(…) frôle le riz réparti sous elle en coussinets blancs, moelleux comme patte de chat, autant de coussinets de chats effilés blancs de quatre millimètres, une fois l’eau absorbée ils prennent deux millimètres en long et en large, une fois chauds, collés les uns aux autres ils mouillent la feuille de nori et le parfum grillé fumé éclate, ne ressemblant en rien à la mer, en tout au feu de bois, à la noisette, la feuille s’assombrit, se renfrogne et se plisse comme la face sombre et mate de celui qui a répondu faux à son exercice, celui qui se sent le plus mauvais de la classe, celui qui se sent le plus mauvais de la terre (et qui pourtant sent la noisette et le sous-bois), celui qui sait que « c’est le bien qui manque le moins » et pourtant tous ses efforts concentriques se rassemblent, protecteurs, gantés de noir, autour d’une lamelle d’avocat couleur d’espoir(…)
(…) belle Hélène, car après l’espoir, on ne s’empêchera pas de dire belle Hélène, de même qu’à Glacière, station on ne s’interdira pas de frissonner verbalement brrrr, de manière à n’être pas une poire, peau grumeleuse chair douce, à n’être pas un parfum parfumé de centre commercial – vanille, pamplemousse, fève tonka–, marque imprimée de la grosse côte anglaise du bonnet qui n’enveloppe pas la tête, pas la pointe non plus de celle qui ne se croyait pas tenue aussi légèrement que l’eut fait une biche ; « elle nous a fait mille civilités, nous a donné mille oranges et mille citrons »  or il semble que rien ne nous reste de toute notre magnificence : sinon ce qui va suivre, la trouvant fort belle (pas aux garçons) (…)
(…) elle chercha partout le triangle d’acier disparu deux fois, dont la dureté absente doublement ne dessinait plus rien à la pointe de, imagine un peu Zorro sans le Z, imagine que Zorro écrive à la craie, puis efface, reprenne, hésite, repasse le tracé maladroit, la déception te prend devant le spectacle pitoyable du héros diminué, de celui qui ne signe pas, qui ne saigne pas non plus, le sentiment d’arriver devant « la piscine sera fermée le samedi 14 février », sac inutile comme l’emploi du futur effecteur d’excuses bidon pendu au bout du bras, contenant une serviette éponge, un bonnet de maille, un maillot une pièce dos nageur, un jeton pour le vestiaire, une carte d’abonnement quinze entrées, un triangle d’acier dans la lèvre double des lunettes à joints silicone (…)


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