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Quand la survie ne tient qu’à un fil

Par Carmenrob

Simon est mort. Du moins son cerveau, car les organes – cœur, poumons, foie, reins – soutenus par les machines, fonctionnent toujours. Simon n’avait que 19 ans. Les parents sont dévastés. Ce qui n’empêche qu’ils devront rapidement donner leur assentiment ou non au prélèvement d’organe.

Telle est la trame de fond de la première partie du livre de Maylis de Kerangal, réparer les vivants. Le récit est saccadé, intense, haletant. Ce qui tient autant au sujet qu’à l’écriture tout à fait particulière de cette auteure qui défie les règles, qui aligne les mots en se moquant de la ponctuation. Le style est syncopé, le vocabulaire précis, moderne, abondant, trop, peut-être, par moment. Kerangal nous livre un véritable précis du prélèvement des organes depuis le constat de la mort du donneur jusqu’à l’implantation de l’organe chez le receveur, en passant par les problèmes de nature éthique. Elle est comme ça Kerangal. Elle prend possession de son sujet dans les plus infimes détails. Le résultat est efficace. Elle nous tient en haleine, nous agrippe, nous malmène comme le sont les parents confrontés à l’impensable.

réparer

Dans la deuxième moitié du livre, l’accent est mis sur le don d’organe et sur la chance de survie qu’il représente pour des gens dont la vie ne tient plus qu’à un fil, comme c’est le cas de Claire. Sans perdre de son intérêt, le récit est moins intense, entrecoupé de quelques digressions qui ne m’ont pas paru essentielles au récit, telles que l’achat par Thomas, coordonnateur du processus de don d’organe, d’un chardonneret à Alger ou la description des relations sulfureuses de Cordélia, l’infirmière qui assiste au prélèvement. Peut-être l’auteure veut-elle nous rappeler que tous ces gens, tendus vers un but commun, réparer le vivant comme le dit si joliment le titre, demeurent des individus, des gens avec une vie parfois bancale, des relations sociales et amoureuses, un ego, des ambitions, des vulnérabilités.

Toute l’histoire se passe en 24 heures chrono depuis le réveil de Simon jusqu’à la reprise des battements de son cœur maintenant implanté dans le corps de Claire. Une course contre la montre que le style trépidant de l’auteure ne nous permet pas longtemps d’oublier.

En définitive, tout l’intérêt de ce livre me semble tenir à la plume de l’auteur. Car, en soi, le scénario n’a rien de particulièrement original. Un jeune homme se tue dans un accident, les parents doivent donner leur accord au prélèvement. Ça arrive tous les jours dans les hôpitaux. Kerangal n’a pas cherché à compliquer l’histoire, ne nous a pas ménagé de revirements et de rebondissements, le déroulement des événements est relativement prévisible. Non, ce qui fait toute la force de ce livre, c’est la capacité de l’auteure à nous faire vivre le drame de l’intérieur, son habileté à faire parler le langage, à le rendre vivant. Ainsi en est-il de la magnifique description de la rencontre amoureuse de Simon et de sa petite amie, Juliette, que je vous citerais sans hésiter si elle ne courrait sur quatre pages sans points ni paragraphes.

J’avais déjà eu l’occasion d’apprécier cette auteur et de vous en dire un mot lors de la parution de Naissance d’un pont qui lui avait valu le Médicis 2010. Mis à part quelques bémols évoqués plus haut, réparer les vivants s’est également avéré une lecture captivante.

Maylis de Kerangal, réparer les vivants, Gallimard, 2011, 281 pages


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