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[Rétro] L’exorciste, métaphore du doute sacerdotal

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[Rétro] L’exorciste, métaphore du doute sacerdotal

En 1974, L’exorciste, réalisé par William Friedkin, tout juste auréolé du succès de French Connection, amorçait la sortie du cinéma de genre horrifique du ghetto où il croupissait. Plébiscité par la critique autant que le public, sujet de vif débat, c’est le film qu’il fallait avoir vu cette année-là. Au-delà de l’odeur de sulfure qui flottait sur les dialogues orduriers et son esthétique macabre, L’exorciste marqua surtout les esprits pour sa vision très sombre de la l’humanité, de sa foi en elle-même comme de sa foi en Dieu, démystifiée par la psychanalyse. Nous avons eu l’occasion de le revoir sur grand écran, en version longue. Une occasion rêvé de revenir sur ce chef d’œuvre dans nos lignes.

Alors qu’en Irak, le père Merrin (Max von Sydow que l’on a vu dans Star Wars – Le réveil de la Force) est hanté de visions engendrées par la découverte d’une statue monumentale du démon Pazuzu, à Washington, l’actrice Chris MacNeil (Ellen Burstyn) commence à noter des comportements douteux de la part de sa fille Regan (Linda Blair). Lorsque celle-ci se lève en pleine nuit et urine, en pleine réception mondaine, tout en proférant des menaces de mort envers le réalisateur Burke Dennings (Jack MacGowran), elle décide de la faire soigner. Les médecins, puis les psychiatres, étant incapable de la diagnostiquer correctement l’oriente vers le Père Damien Karras (Jason Miller) qui va demandait au père Merrin de mener un exorcisme.

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Regan (Linda Blair)

La première onde de choc provoquée par L’exorciste est certainement de faire sortir de l’ornière, un genre destiné auparavant aux cinémas de quartier. C’est l’auteur, William Peter Blatty, dont le livre éponyme connu un franc succès, qui fut contacté pour une adaptation cinématographique. C’est lui, également, qui imposa le choix de Friedkin, que les producteurs acceptèrent une fois son triomphe avec French Connection entériné. Inspiré par un fait divers qu’il avait lu lorsqu’il était étudiant, Blatty insista également pour que l’action soit filmée, en situation réelle, dans les mêmes lieux que celle de son livre. Alors que les relations diplomatiques avec l’Irak étaient rompues, tournée sur place fut un exploit. Pressenti pour jouer la mère, Audrey Hebpurn (dont on avait parlé pour Diamants sur canapé) refusa devant l’entêtement du réalisateur de refuser de tourner à Rome où l’actrice avait émigré. Grand bien lui pris, tant le quartier de Georgetown, avec ses allures aristocratiques et ses ruelles parfois étroites, a donné un cachet particulièrement angoissant au film, Friedkin le plongeant constamment dans un clair-obscur hypnotisant et inquiétant. Les escaliers qui montent à la maison ou le père Merrin perdu dans le brouillard à l’entrée de la demeure de Chris sont d’ailleurs des scènes encore plus emblématiques de l’aspect lugubre du récit que les scènes d’exorcisme elle-même. Il faut noter les prouesses techniques de l’équipe d’effet spéciaux qui dû, notamment, construire une chambre frigorifiée pour donner un vrai souffle glacial aux personnages. Et n’oublions pas l’influence décisive dans la notoriété du film de l’envoûtant Tubular Bells de Mike Oldfield, choisi in extremis comme bande originale. Rarement, un film d’horreur a aussi bien vieilli que L’exorciste qui encore aujourd’hui, bien que l’on soit habitué à une violence de plus en plus graphique et banale, choque par la violence crue qu’il dégage, jouant davantage sur nos conceptions morales que sur des scènes chocs. C’est l’alliance terrible d’une sauvagerie malsaine et d’une fillette à l’apparence proprette qui, encore aujourd’hui, marque les esprits. Il aura fallu que Blatty et Friedkin trouve une fillette de quatorze ans dont les parents acceptent qu’elle simule une masturbation avec un crucifix et crie « Baise-moi » à un père en soutane. Outre que, de nos jours, la scène serait malheureusement équivoque, il sera longtemps difficile d’égaler L’exorciste dans le sordide et le dérangeant.

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Père Merrin (Max von Sydow) et Père Damien Karras (Jason Miller)

Au-delà de ces aspects ouvertement provocateurs, où certains critiques ont voulus voir la vengeance des adultes sur une jeunesse pourrie gâtée, à qui Friedkin fait subir les pires traitements, qui ont ouvert la voie au fantastique et à la science-fiction chez les grands studios, il y a une réflexion bien plus profonde et finalement plus dérangeante encore dont l’acteur principal est le père Karras et se révèle à travers l’enquête du lieutenant Kinderman (Lee J. Cobb). L’exorciste, critiqué par les intégristes catholiques, mettait Dieu en échec par n’importe quel bout qu’on s’en saisisse. Damien Karras est un homme en proie à un doute important. Il double à plusieurs titres. Psychiatre d’une congrégation jésuite, il a remplacé le confesseur. Jamais l’on ne dévoilera ce qu’il peut bien entendre en séance mais il est clair que les secrets, les tourments dont il est le gardien le détourne d’une voie où il pourrait croire en un Dieu bon et miséricordieux. C’est d’ailleurs le sens premier de son mutisme gêné face aux questions de l’inspecteur de police. Son fidèle ami, le père Dyer (William O’Malley) est un alcoolique notoire, un peu voleur, qui néanmoins se libère suffisamment du carcan sacerdotale pour ne pas sombrer dans l’apathie qui est celle de Karras. Damien vit dans la culpabilité permanente, la sienne d’abord, par rapport à sa mère qu’il ne peut pas protéger des dégradations de la vieillesse, et celle des autres. C’est un rapport intime avec la foi catholique qui s’inscrit ici, en creux d’un message biblique culpabilisant l’Homme au nom du péché originel. Dans ce rapport masochiste à l’existence terrestre, le prêtre cherche une rédemption qu’il ne trouvera, ironie du sort, que par l’irruption du démon dans sa vie. En homme de sciences, il ne peut néanmoins résoudre l’angoisse immanente de la mort à laquelle les croyants ne peuvent pas plus échapper que les athées et se réfugie dans l’irrationnel. C’est ainsi que s’explique son choix de mener un exorcisme alors même que ces études de psychiatrie le pousse à nier, en premier lieur, l’existence d’un démon qui aurait pris possession de Regan. La fin, tout à fait nihiliste, de L’exorciste semble affirmer, le divin abandonna ses ouailles à leur triste condition, que Dieu est mort. Tout du moins qu’il est absent.

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Père Merrin (Max von Sydow) et Regan (Linda Blair)

Métaphore d’un monde où, au milieu des exactions guerrières, de la violence inexpiable, des compromissions morales et éthiques, on peut facilement renoncer à chercher Dieu, L’exorciste est une œuvre puissamment évocatrice, fondamentalement pessimiste, dans laquelle aucune lueur ne luit. Si ce n’est, peut-être, dans cette étreinte, lorsque Karras s ‘éteint, main dans la main avec le père Dyer, recherchant davantage la présence chaleureuse d’un ami qu’un pardon hypothétique et hypocrite dont il semble avoir perdu l’espoir. Si L’exorciste est visuellement dérangeant, c’est davantage entre les lignes qu’il devient terrifiant.

Boeringer Rémy

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