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La tour de Babel

Par Pandora


La tour de Babel
Ce soir la rue des primevères s’est transformée en rue du bonheur à l’occasion de la fête des voisins.

Le concierge Monsieur Michard a monté les tables et les bancs qu’on utilise habituellement pour la kermesse de la paroisse voisine et sa femme les a revêtues d’une belle nappe en papier, pas blanche mais à fleurs pour donner un petit air de fête. Il a été convenu que chacun ramènerait quelque chose à manger (ou à boire), une spécialité de chez lui. Il faut dire dans « la Tour de Babel » comme on surnomme l’immeuble dans le quartier, ce ne sont pas les nationalités qui manquent. Trente pays différents, et si on pousse le vice jusqu’à dénombrer également les origines régionales (certains particularismes sont forts), on monte à sept de plus. Dixit le colonel Prudon qui est toujours curieux de ce genre de choses. Vous ne serez donc pas étonnés que les habitants du numéro 123 de la rue des primevères se soient surnommés les Babyloniens dans une sorte de private joke !

Pour la circonstance, la table est pleine d’accras et de samossas, de nems et de riz cantonnais, de pizzas et de tartes flambées, de merguez et de semoule à couscous, de sardines grillées et de bananes plantains…. Un vrai festin. Et les desserts n’ont rien à leur envier : gâteaux au chocolat, à la banane, pâtisseries orientales au miel et à la fleur d’oranger, tartes aux fruits maison, beignets aux pommes… Une débauche de gourmandises auxquelles les plus jeunes ne sont pas insensibles. Les enfants rodent donc, le nez relevés et des étincelles pleins les yeux, attendant que le coup d’envoi soit donné pour se précipiter quand tout le monde serait descendu. Et les mamans surveillent, l’œil aux aguets, qu’une petite main impatiente ne se serve pas avant tout le monde. Sacrés galopins !

Un peu à l’écart, dans une grande cocotte, un de ces punchs dont les habitants des iles ont le secret trône en invité d’honneur, histoire de rajouter encore un peu de soleil et de bonne humeur. A côté des jus de fruits et des sodas, ce soir c’est vraiment la fête pour tout le monde !

A la sono et pour qu’il n’y ait pas de jaloux, ce sera world music, avec enchainement de rythmes des 4 coins du monde. Histoire de faire découvrir aussi les artistes du pays dont on est tellement fier. Quitte à laisser transparaitre ses émotions comme Bachir en écoutant Oum Kalsoum qui en en traduira les paroles à tous, donnant un autre sens à la chanson. Sourires et larmes, le plaisir n’est pas que dans les assiettes ce soir. Et les enfants ont dansé jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Bien sûr les grincheux sont restés chez eux et ont fermé leurs volets bruyamment quand le bruit de la musique est remontée jusqu’à leurs fenêtres. Bien sûr que tous ne sont pas venus, certaines inimitiés sont tenaces et durables et la sympathie et la bonne humeur ne sont pas contagieuses. Bien sûr que Madame Girard qui a toujours ses lunettes de soleil et des manches longues, pour cacher ce qui se passe dans l’intimité de son foyer, est restée cloitrée chez elle. Bien sûr que Mohamed ne retrouvera pas son beau VTT qu’on lui a volé dans la cave et que les ampoules de la cage d’escalier continueront à disparaître inexplicablement…

Mais Mouna et Malika sont venues avec leurs enfants et leur mari, et leur voile ne les a pas empêchées de discuter et de faire connaissance, de rire aussi. Et la vieille Madame Michelle a souri de toutes ses dents (enfin plutôt de tout son dentier) quand on l’a complimentée sur sa tarte aux pommes, elle qui ne voit plus sa famille depuis si longtemps. Et Manuel a pu souffler le temps d’une soirée, lui qui élève seuls quatre enfants pleins de vie depuis que sa femme Josepha est partie avec Johny, le rasta man du cinquième. Une bien belle soirée pour les babyloniens qui ont décidé de passer un peu de temps ensemble.

Et quand à deux heures du matin, une voiture de police s’est arrêtée et que les deux gardiens de la paix ont signifié gentiment, mais fermement, qu’il était tard et que la fête avait assez duré pour certains des habitants de la tour, chacun a remballé pacifiquement et sans agressivité ses affaires pour remonter chez lui, même ceux dont les rapports avec les forces de l’ordre sont plutôt houleux. Heureux d’avoir oublié pendant quelques heures les soucis du quotidien…. Même s’il n’a pas tardé à se rappeler à leur bon souvenir.
[Texte écrit pour kaléidoplumes a partir de l'incipit "Ce soir la rue des primevères s’est transformée en rue du bonheur "]


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