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Exactitude(s): le philosophe de la peur

Publié le 19 octobre 2015 par Jean-Emmanuel Ducoin
Le dernier livre d’Alain Finkielkraut: plus dangereux que jamais.  Exactitude(s): le philosophe de la peurAliénations. Une journée et deux soirées pleines et entières auront été nécessaires pour que le bloc-noteur vienne à bout du dernier livre publié par Alain Finkielkraut. Imaginez l’effort, près de 300 pages et un titre emprunté à Péguy –rien de moins– dont la démesure devrait éloigner tout philosophe qui se respecte: "la Seule Exactitude" (éditions Stock). Pas Finkielkraut. Ses angoisses et ses aliénations de l’époque méritent tous les écarts, fussent-ils déplacés dans le monde supposément des idées. À ses yeux, rien n’est trop beau pour qu’il puisse exprimer «la déprise de l’identité», la difficulté à «faire société», le «dépérissement scolaire», la menace de «l’islam», toujours «l’islam» et encore «l’islam», la hantise de la «modernité technique», l’antiracisme «compulsif» (sic), la «désintégration» de la société française, les «enfants de l’immigration ensauvagés» qui sont beaucoup moins obéissants qu’avant (quand ils étaient blancs et européens) et même, allons-y gaiement, certains aspects de nos libertés publiques… Finkielkraut porte l’inquiétude névrotique de tout, au nom de la préservation d’un espace français fantasmé.
Il pense ainsi s’attaquer au «politiquement correct» et, comme Michel Onfray, parle en victime de «censure bien-pensante», dont l’idée même est une absurdité. Sont-ils censurés les Natacha Polony, Éric Zemmour, Ivan Rioufol et autres Élisabeth Lévy? Ne les entend-on pas à longueur d’antenne? Voilà bien le leurre du moment: que des Finkielkraut osent se présenter comme des martyrs de la liberté d’expression…
Peur. ''La Seule Exactitude'' n’est pas un livre original, puisqu’il s’agit en réalité d’un recueil de deux années de ses interventions sur RCJ, Radio communautaire juive, elles-mêmes reprises sous forme de chroniques dans Causeur, le mensuel d’Élisabeth Lévy, dont l’actionnaire majoritaire n’est autre que l’ex-patron de Minute, l’ancienne publication d’extrême droite. Au fil des pages, nous comprenons à quel point ce «Français libre» (selon une récente une du Figaro) est ravagé de l’intérieur par sa haine du présent et de ceux qui inventent déjà l’à-venir, nous autres citoyens, qui que nous soyons, surtout si nous ne partageons pas ses options idéologiques, celles qui tentent d’installer dans l’épicentre des débats le sinistre mensonge du «grand remplacement» façonné par son ami Renaud Camus. Le futur académicien se prépare à endosser l’habit vert en déployant toute son énergie à vomir son pessimisme et ses monomanies, sans jamais s’arrêter une seule fois sur l’essentiel, la crise économique, les inégalités sociales – il considère l’égalité comme une «utopie» –, les excès de la finance, l’absence de répartition des richesses, etc. La controverse finkielkrautienne, binairisée et hystérisée, devient ici une guerre civile menée par un idéologue mâtinée de belle langue, comme bon nombre de «penseurs» médiacratiques et mécontemporains. Son obsession du mal présupposé de «l’autre», des «autres», est à la fois pathétique et puissamment dangereuse pour qui veut porter un message d’ultra-vérité et se transformer en médium exclusif, vecteur d’idées, de normes et d’attitudes. De la détestation de tout progrès au ressentiment de la perte d’une France ethnocentrée, il attise volontairement la guerre des civilisations. Ne lui en déplaise, cette croisade nihiliste a quelque chose d’antirépublicain. Ce fils d’immigré, devenu citoyen français à l’âge d’un an, a désormais peur de tout. Sauf de lui-même. Mais ça viendra sûrement. Alors peut-être relira-t-il, avant qu’il ne soit trop tard, le Céline d’avant les saloperies, celui du Voyage au bout de la nuit: «La race, ce que tu appelles comme ça, c’est ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça les Français.»
 [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 16 octobre 2015.]

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