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"Un système de santé basé sur la prévention peut reconnecter le soignant et le patient"

Publié le 10 mars 2015 par Pnordey @latelier

La multiplication de données permet d’envisager un écosystème basé sur la prévention et le service du patient. Mais pour y parvenir, il faut que les acteurs santé soient capables de collaborer et co-construire.

Entretien avec Lionel Reichardt, bloggueur, expert e-santé et fondateur de 7C’s Health. Il interviendra dans le cadre du Théma organisé par L’Atelier le 19 mars sur le thème : Médecine prédictive : le soignant doit-il devenir un data scientist ?

L’Atelier : On parle de plus en plus de la multiplication des données dans le secteur de la santé. Mais n’y a-t-il pas toujours eu de nombreuses sources d’informations et de data à fédérer ?

Lionel Reichardt : En effet, il y a toujours eu beaucoup de données dans la santé. De la collecte de signes vitaux à la recherche clinique, le monde médical a toujours utilisé des données pour diagnostiquer, valider ou évaluer. Mais les développements conjoints de l'informatique, des appareils de diagnostic et de la connaissance médicale ont multiplié cette possibilité de collecte et de stockage de ces données. Désormais on peut séquencer des génomes, collecter des ondes cérébrales, mettre les dossiers patients sur informatique ou se "quantifier" en real time via un objet connecté… C'est ce qu'on appelle le "data déluge", des milliards de gigaoctets de données pour gagner en connaissance de la santé.

La grande évolution, c’est la nécessité de développer un système de santé beaucoup plus axé sur la prévention. Tous les acteurs sont alors impactés : dans ce cadre, les professionnels de santé deviennent des "data scientists" avec une mine d'informations à leur disposition dont ils doivent tirer une réelle valeur ajoutée. Ils seront en cela assistés par des ordinateurs et des algorithmes pour simplifier la lecture des données.

Si l'on va vers la mise en place d'un système basé sur le préventif, est-ce que cela veut dire que les acteurs santé vont de plus en plus vers un rôle de coordinateur et non plus de « soignants »?

On aura toujours besoin de prendre en charge la maladie, de soigner... On peut la prévenir, grâce à la génétique et aux nanotechnologies, l'éviter parfois, mais il y aura toujours des malades, des blessés... L'enjeu majeur concerne les maladies chroniques et celles induites par l'environnement (pollution,..). Mais avec les données collectées nous pourrons mieux comprendre les individus, les déterminants contextualisés de certaines maladies, induire des changements de comportements, travailler l'éducation… Et malheureusement certains voudraient en profiter pour développer la pénalisation.

Mais il est clair que cette santé connectée peut permettre de REconnecter le soignant et le patient : faciliter la transmission d'informations, l'automesure, l'observance, l'empathie, la gestion globale du patient. Aujourd’hui en effet le médecin généraliste est déjà sensé être un coordinateur… Mais il est plus souvent un pompier fatigué qui court tout le temps et qui en rentrant le soir aura vu 20 grippes, 12 gastro, 8 rhumes, et fait 40 consultations de 10 minutes avec 40 prescriptions. Il faut lui redonner les moyens de faire son travail sereinement.

Peut-on dire aujourd'hui que les acteurs santé ont conscience de ces enjeux?

Ils ont conscience de la transformation, à la fois nécessaire et inévitable à plus ou moins brève échéance. Ils ont compris que cette problématique de la donnée est au coeur du changement. Mais on voit que sur des sujets essentiels comme le DMP il est terriblement difficile d'avancer. Ce dossier est pourtant au coeur de la transformation de la santé.

Alors de nouveaux acteurs apparaissent comme Apple, Google et autre GAFA, qui sont habitués à innover et sont centrés sur les utilisateurs. Il est probable que les solutions de demain se co-construisent avec eux.

Pourtant un avis récent comme celui de l'ordre des médecins, favorable au remboursement des objets connectés, ne montre-t-il pas une certaine maturité ?

C'est un avis essentiel. Je ne sais pas si c'est un gage de maturité mais en tout cas certainement un gage de bon sens. Il y a un tsunami d'objets connectés, du gadget en plastique au dispositif médical le plus sophistiqué. Il faut pouvoir faire le tri entre tous et le processus de remboursement permet d'assurer la bonne validation et la bonne évaluation de ces dispositifs.

Si on attend des appareils qu'ils contribuent à prendre en charge les patients et qu'ils réduisent les coûts pour le système de santé notamment en matière de prévention, alors il est normal de les rembourser... Mais ce ne sont pas les objets qui doivent être pris en charge mais bel et bien les solutions qui vont les intégrer. En effet l'objet en lui seul n'est souvent pas suffisant ; il doit être encadré par un programme qui permet au patient d'atteindre ses objectifs et le cas échéant de changer ses comportements. C'est essentiel quand on s'attaque à des sujets de santé publique comme l'obésité, les maladies cardiovasculaires ou le diabète...

Du coup, plus largement, outre les questions de validation, d'évaluation, se pose aussi la question de la distribution et de la prescription... Les acteurs de l'industrie pharmaceutique ou des assurances travaillent beaucoup sur ces questions. Outre les questions éthiques, réglementaires ou légales, ils doivent comprendre deux points essentiels : il faut construire des solutions pour un besoin précis pour (et avec) les utilisateurs. Et il faut CO construire ces solutions. Pas simplement avec les utilisateurs mais aussi avec d'autres experts qui apporteront un support technique, scientifique, sociologique... A ma connaissance aucun acteur n'est légitime à construire une solution seul. L'annonce faite au CES entre Qualcomm et Novartis sur la mise à disposition d'un fond d'investissement de 100 millions de dollars pour transformer le processus de recherche clinique est très intéressante dans cette approche... Et les exemples se multiplient.

Vous parlez de co-construction. Quelle redistribution des cartes voyez-vous ?

Une redistribution en amont du parcours patient sur la prévention avec la possibilité du coup de voir de nouveaux acteurs issus du monde des technologies émerger. Il y aura certainement de plus en plus d’alliances, de joint ventures, comme on le voit dans certains secteurs... La télévision en est un exemple : on n'achète plus un produit, mais une expérience.

C'est peut être un peu violent comme comparaison mais la santé est notre capital le plus précieux... Pourquoi laisserions nous à d'autre le soin de le gérer sans nous? Le patient empowerment est la conséquence la plus intéressante de la transformation du secteur et induit la transformation du modèle comme dans les autres secteurs déjà impactés par le numérique.

Je fais partie du board d'Umanlife, un de ces nouveaux acteurs de la santé et du bien être. Carnet de santé en ligne mais aussi agrégateurs de données issues d'objets connectés et coach personnalisé, Umanlife permet à l'utilisateur de maîtriser de façon sécurisée ses données de santé et ses objectifs en la matière. Nos partenaires sur la plateforme sont parfois issus du monde "traditionnel" de la santé mais aussi de secteurs qui étaient en périphérie par le passé bien qu'ils contribuent pleinement à cet "état global de bien-être", définition officielle de la santé par l'OMS. C’est donc l'illustration que notre modèle bascule de la gestion de la maladie à la gestion de la santé...

Reste qu’il est difficile d’y voir clair parmi la multitude de services et produits proposés, pour prendre la main sur sa santé…

C’est vrai, et c’est pour cela qu’il faut d'abord s’assurer de pouvoir faire le tri dans tout ce qui existe. On a parlé objets connectés mais il y a aussi le problème des quelques 100 000 applications mobiles santé/bien-être disponibles. Comment fonctionnent-elles? Sur quelle fiabilité scientifique ou médicale? Avec quel usage qui est fait de nos données ainsi collectées? Et avec quel support technique?

Si ces outils doivent être conseillés, recommandés, prescrits... voire pris en charge, alors il faut les évaluer. Ce que font des sociétés comme Medappcare, une autre société avec qui je collabore, et qui propose cette évaluation tant du point de vue scientifique que technique... Cette activité est amenée à se développer très fortement mais doit être faite avec la même exigence que les normes mises en place dans beaucoup de domaine et une grille de lecture exigente et claire.

S'agissant d'outils à destinations des patients, à usage médical, les acteurs quels qu'ils soient doivent adopter les codes de la santé : la validité scientifique et médicale, l'évaluation, la compliance, la transparence... C'est la condition sine qua non pour le développement de cette nouvelle médecine.


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