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Un cas d’affrontement indirect entre la Chine et les Etats-Unis : la mine de Panguna sur l’île de Bougainville

Publié le 19 février 2015 par Infoguerre

Un cas d’affrontement indirect entre la Chine et les Etats-Unis : la mine de PangunaBougainville, 240 000 habitants, est une île du pacifique située entre les Iles Salomon et la Papouasie Nouvelle Guinée (PNG). L’île est connue pour sa mine (Panguna) de cuivre/or/argent qui fut l’une des plus importantes au monde dans les années 80. Elle était gérée par Rio Tinto. Sur base de revendication sociale, culturelle et environnementale, une révolte initiée par l’Armée Révolutionnaire de Bougainville se traduisit par la fermeture du site en 1989. Plusieurs milliers de morts furent décomptés lors des répressions du pouvoir central de PNG (soutenu par l’Australie et des milices commanditées selon certaines sources par la firme Rio Tinto). Depuis 2001, l’île a un statut d’autonomie et d’ici à six ans, un vote d’autodétermination doit décider de son indépendance. Si le site minier rouvrait, les revenus cumulés représenteraient de l’ordre de 2 à 4 fois le PIB actuel de la PNG. La quasi-totalité des sites miniers opérés actuellement en PNG dépendent d’entreprises du Commonwealth, essentiellement australiennes, à l’exception de la mine de Ramu (Nickel) développée en 2009 par une entreprise chinoise (MCC). Depuis trois ans, une bataille s’est engagée sur la réouverture possible du site de Panguna. Cette lutte inclut Rio Tinto, des entreprises Chinoises, des personnalités locales (Mr John Momis ex-ambassadeur de PNG en Chine et actuel Président de la province de Bougainville), ainsi que des officiels du gouvernement de PNG. En fait, ces acteurs ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le rapport de force est d’une part entre la République Populaire de Chine (Chine) et les Etats-Unis. Il mêle d’autre part des acteurs de deuxième rang comme l’Australie et de façon plus lointaine la France.

Les stratégies mutuelles d’expansion américaine et chinoise

La Chine essaie de rompre les lignes stratégiques américaines qui contrôlent son expansion. Le « collier de perle » est connu (expansion vers l’Ouest). La stratégie chinoise vers l’Est est quant à elle moins documentée car son importance est minimisée officiellement par le bloc occidental. Néanmoins, certains mouvements observés peuvent être caractéristiques de l’action chinoise en réponse à la théorie de pivôts américaine. Ce faisant, la Chine tente de desserrer l’étau en traversant les deux lignes verticales du système américain, en suivant une ligne définie par des pays « neutres ». L’axe de pénétration tenté par la Chine lie PNG, Bougainville, Vanuatu et Fiji. Si la Chine réussit à développer cet axe mélanésien, cela lui permettra d’atteindre des ressources importantes (cuivre, nickel, or, cobalt, terre rare…à terre et sous-marine), forestières et halieutiques. Les activités économiques engendrées nécessitent des activités maritimes denses et des nœuds logistiques répartis sur l’ensemble de l’axe (ports). Cette voie économique justifie une sécurisation, ce qui s’insère harmonieusement dans la stratégie de défense de la Chine (« Blue Water Navy »). Cet axe de développement permet ainsi d’affaiblir l’étau américain et de réduire l’influence des pays européens (l’Australie et la France).
Profitant de l’engluement et du déficit de réputation Australien sur Bougainville et Français en nouvelle Calédonie, jouant sur la réaction trop classique des pays occidentaux lors du coup d’état aux Fidji, et enfin en proposant des axes de coopération moins contraignants en terme de gouvernance, la Chine allie les actions économiques, les aides au développement et les actions de coopération et culturelles sur l’ensemble des états de l’axe Mélanésien. La survie d’un Bougainville indépendant dépendrait de l’exploitation de ses matières premières. Une coopération chinoise engendrerait à la fois, une activité économique intense, l’accès pour la Chine à des matières dont elle est fortement déficitaire et surtout une base portuaire multiservice stratégiquement positionnée dans l’axe de l’expansion vers l’Est.

L’entrisme chinois sur zone

La Chine a déjà pris une forte position d’observateur auprès du « Fer de Lance », le regroupement des Etats Mélanésien, dont font partie la PNG mais aussi le FLNKS de Nouvelle Calédonie. L’Etat chinois a même fait don (après l’avoir construit) du nouveau siège de l’organisation au Vanuatu (50mUSD). Ses activités de coopération, d’assistance au développement sont nombreuses avec Vanuatu. Il en va de même pour les Fidji, qui, mis à l’écart par les Occidentaux après le putsch militaire de 2006, se sont fortement rapprochés de la Chine. Concernant Bougainville trois mouvements furent engagés. Premièrement la signature d’accords avec Monsieur Momis en 2010 incluant les ressources naturelles (Mr Momis agissant en tant que Président de la province de Bougainville). Deuxièmement, des acteurs économiques Chinois ont proposé la création d’une nouvelle ville, portuaire et économique au nord de l’île (Bonus SEZ face à Buka, cette dernière est une zone à forte présence chinoise). Troisièmement, Beijing Aerospace Great Wall Mineral Investment Ltd a négocié et obtenu des droits miniers en 2013 sur le périmètre de Panguna.
La Chine n’a pas forcément dissimulé ses actions, si ce n’est l’apparente utilisation d’un ministre de PNG pour faciliter la signature des conventions minières sur Bougainville, ou son action possible dans la nomination de Monsieur Barter à la tête du Panguna Fund Trust. Cette fondation suit officiellement le dossier de réouverture de la mine. Monsieur Barter a été le ministre de PNG statuant sur l’introduction de MCC (Chine) sur la mine de Ramu.
Pour sa part, la riposte occidentale se perçoit par des signaux faibles. Le code minier, délégué à l’autorité de Bougainville, a semble-t-il été réécrit avec une forte aide externe australienne. Les communications récentes de Monsieur Momis sont variantes sur le(s) possible(s) futur(s) exploitant(s) de la mine de Panguna. Le contingent militaire américain se renforce en Australie (Darwin) et sur Guam, ainsi que le contingent français en Nouvelle Calédonie (par redistribution des effectifs présents dans la région). Les discussions PTA et accords de pêches sont en cours dans la zone notamment avec l’UE et les USA (avec pour ces derniers le support d’ONG telles que PWE).
Les démarches chinoises sur l’axe mélanésien sont traçables depuis au moins 2005. La Chine semble avoir réussi son rapprochement avec Vanuatu et Fidji. Elle finance la construction d’un port de pêche PMIZ à Madang (PNG). Les mouvements récents observés et les futurs votes d’autodétermination (Nouvelle Calédonie, Bougainville) laissent à penser que les opérations vont se poursuivre sur la prochaine décennie.

Bruno SEGUIN

Réferences

• Autonommous region of Bougainville, A bill for an Act, Bougainville (Transitional Arrangements) Bill 2014.
• Australia – the indispensable power in a congested sea : foreign policy implications of Australia’s strategic outlooks, Jenny Hayward-Jones, June 2013.
• Le pivôt maritime  Asie Pacifique, bluelobby.eu, 2014.
• La France et la sécurité en Asie Pacifique, Ministère de la Défense, France, 2014.
• United States Department of Defense, Fiscal Year 2014 budget request, April 2013.
• L’Asie-Pacifique devient elle-chinoise ? Fabrice Argounès, 2012.
• The Fiji Times Online, November 23, 2014.
• French.china.org, 21-11-2014, Chine-Fidji : un paradigme pour la coopération entre grands et petits pays.


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