Magazine Culture

28 mai 1990/Mort de Giorgio Manganelli

Par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours


  Le 28 mai 1990 meurt à Rome Giorgio Manganelli.


  Écrivain majeur de l’Italie contemporaine, poète, romancier, traducteur, « maître de l’ironie sarcastique », Giorgio Manganelli est né à Milan le 15 novembre 1922. Connu pour ses nombreuses traductions ― celle de l’œuvre de T.S. Eliot, parue en 1952, celle de l’œuvre complète d’Edgar Poe parue en 1982 ―, Giorgio Manganelli est l’auteur d’essais rassemblés dans Littérature comme mensonge/La letteratura come manzogna, publié en 1967. Pour Giorgio Manganelli, théoricien du désengagement, la littérature est « asiociabilité, provocation, mystification » et le langage, seule visée de l’écrivain. Quant à sa production poétique, peu connue du grand public, elle a été publiée il y a peu (juillet 2006) par Daniele Picini chez Crocetti.

   Dernier écrit, publié en 1990, avant la mort de Manganelli, Le Marécage définitif offre la « vision étincelante » d’un lieu frontière, « suprêmement dangereux », « répugnant et attirant » où se déroule l’aventure solitaire d’un narrateur et son cheval. Un lieu énigmatique, « mystérieuse et taciturne patrie » du visionnaire que fut Giorgio Manganelli.


EXTRAIT du MARÉCAGE DÉFINITIF

   Je chemine à présent, avec la chevalinité à mon côté, en un lieu obscur, une sylve, et ce n’est pas le marécage. Je regarde avec méfiance la chevalinité, et je lui demande où elle m’a conduit. Sa réponse est vague, dénuée de sens, et semble faire allusion à un lieu où je ne trouverai ni eau ni boue. « Tu ne voudras pas me conduire aux volcans ? » dis-je ; la chevalinité rit, et le rire de sa bouche, qui devrait être énorme, a quelque chose d’aimable, une grâce insidieuse ; de nouveau je sens que, à condition de ne pas abandonner la chevalinité ou de ne pas être abandonné d’elle, je suis prêt à en accueillir en moi, dans ma vie, toutes les dégradations les plus inguérissables. La chevalinité, pensé-je à présent, sait sûrement si le roi des volcans existe et s’il est amical à mon égard. Je me tourne vers la bête et je suis sur le point de lui poser la question quand je m’aperçois qu’elle porte sur la tête une minuscule couronne. Je m’étonne non pas tant de la couronne que de sa petitesse, comme si elle coiffait quelque chose de minuscule à l’intérieur de la chevalinité, quelque chose d’enfantin, et voici qu’elle sourit, une abstraction sourit, et peut-être cette abstraction est-elle le roi, l’associé, le dyarque qui m’a été assigné pour compléter la phrase grammaticalement fautive, l’anacoluthe de mon destin. Est-il possible que j’aie toujours été avec mon bien-aimé dyarque, et qu’il se soit travesti si astucieusement qu’il ne m’a jamais été permis de le reconnaître ? Mais en vérité je ne le reconnais pas même à présent, je marche à côté de la robuste chevalinité, l’abstraction qui ne craint pas le marais marécageux, et je m’aperçois seulement maintenant que la robustesse même est une partie de l’abstraction, la chevalinité renferme des petitesses que je voudrais retirer de leur écrin. Qu’il est étrange de dire « sylve », d’employer un mot si féerique et si courtisan, mais cette sylve est à son tour très féerique, et courtisane en ceci que c’est justement le genre de forêt où les filles de roi, ou les rois eux-mêmes, quand ils sont très jeunes, aiment à se perdre, et c’est ici que se cachent des murs démolis de palais royaux, sur les portes desquels est clouée la tête d’un cheval décapité, tué pour que de ses entrailles sorte l’âme royale, prophétique, omnisciente.

Giorgio Manganelli, Le Marécage définitif, Le Promeneur, Éditions Gallimard, 2000, pp.92-93. Traduit de l’italien par Dominique Férault.

In morte di Giorgio Manganelli, 28 maggio 1990

I

Piangere il vento della giovinezza
o mio primo stendardo di cultura
al tutto che diviene e che si annienta
ritrovare il tuo volto solamente.
Sei più vivo ora,
la tua morte è si potente che somiglia a un mito
e ne siamo sconvolti.
Quante porte blindate, Amore, hai chiuso sul destino.

Alda Merini, Vuoto d’amore, Collezione di poesia 224, Giulio Einaudi Editore, 1991 ; rééd. 2006, p. 86.


Pleurer le vent de la jeunesse
o ma première bannière de culture
au tout qui advient et qui s’anéantit
retrouver ton seul visage.
Tu es plus vivant maintenant,
ta mort est si puissante qu'elle ressemble à un mythe
et nous en sommes bouleversés.
Combien de portes blindées, Amour, as-tu fermées sur le destin.

Traduction Angèle Paoli



Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Giorgio Manganelli/Scrivi, scrivi (poème).



Retour au répertoire de mai 2008
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs
Retour à l'index de la catégorie Péninsule (littérature italienne et anthologie poétique)

» Retour Incipit de Terres de femmes

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Angèle Paoli 39970 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines