Magazine Cinéma

Albert à l’Odéon

Par Tobie @tobie_nathan


Lettre_Odeon_13Le 19 janvier 2015

À 20h00 dans la grande salle du théâtre de l’Odéon

dans la série « Exils » de Paula Jacques

Une soirée Albert Cohen

Avec Paula Jacques et Tobie Nathan

Textes lus par Bruno Abraham Kremer

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« A »… Comme Amélie da Costa, une cantatrice célèbre. Elle a 26 ans ; lui en a 15. Elle vient le chercher au lycée dans un fiacre tiré par deux chevaux. Imaginez la scène ! On est en 1910. Depuis, ses condisciples l’appellent « le roi Mystère ». Première d’une longue série de femmes qui l’aiment à la folie, qu’il aime à les écrire… Mais « A » comme Allergie, aussi. Il en souffrira toute sa vie. Sa personnalité est allergique. Pour lui, n’importe qui, n’importe quoi est un autre… Alors, les femmes, plus encore !

« B » Comme Bella, sa troisième épouse, qui mit enfin un peu d’ordre en son cœur, comme Belle du Seigneur, le plus beau roman d’amour en langue française, « le chef d’œuvre absolu » écrit Joseph Kessel. Paru en 1968, en pleine révolution sexuelle, ce roman muri durant plus de trente ans, devient en quelques mois le livre des amoureux. Il raconte Solal et Ariane, pris au piège de la passion, à jamais, comme Roméo, comme Béatrice, comme Tristan…

« C »… comme Corfou où Albert est né et où il a passé ses premières années. Corfou, qui deviendra, dans ses livres, l’île de Céphalonie — sans doute « de sa tête ». L’île de Céphalonie existe, pourtant, à peine plus grande que Corfou, mais plus proche d’Ithaque, la patrie d’Ulysse.

« D »… Lorsque, devenu vieux, il s’amuse d’une journaliste venue l’interviewer, il lui confie que sa profession est «  Don Juan ». Sans doute la trouvait-il charmante. Maître en la matière, dans Belle du Seigneur, il fournit, en expert, tout de même, les « dix manèges du sale jeu de la séduction ». Alors D… comme Don Juan, bien sûr !

« E »… comme Einstein qu’il rencontra à deux reprises au temps de la Revue Juive. Albert l’écrivain raconte Albert le savant. Ils déambulent sur le quai Wilson, à Genève. Un enfant fait une cabriole, se rate, tombe et éclate de rire. Et Einstein rit de l’exact même rire. Innocence du génie des sciences, fixé au même stade que l’enfant, celui de la chute sur les fesses et de l’éclat de rire.

« F »… Albert a vécu avec les femmes ; son être se nourrissant de leur présence, de leur admiration, de leur amour… Et son fantasme : « Oh, réunir toutes les femmes de ma vie… dans une villa louée exprès… et aller de l’une à l’autre… » Raymond Aron, se demandait comment cet homme discret, timide et farouche avait fait pour si bien écrire la volupté. F… pour Femmes, donc !

Albert à l’Odéon

Affiche de « Belle du Seigneur » de Glenio Bonder — 2012

« G »… Les réalisateurs et les producteurs rêvent d’adapter Belle du seigneur. Albert Cohen n’est pas chaud, mais il est pauvre. Il consent à la vente des droits. Catherine Deneuve et Brigitte Bardot rêvent d’incarner Ariane ; Cohen verrait bien BHL dans le rôle de Solal. Producteurs peu scrupuleux, contestations des ayants droit, les choses trainent. En 1994, un jeune réalisateur brésilien, Glenio Bonder, réalise un documentaire magnifique sur Albert Cohen. La machine se met en marche. Il faudra encore 16 ans avant le début du tournage. Et au début du montage, Bonder, gravement malade, meurt sans avoir vu achevée l’œuvre de sa vie. Alors « G »… pour Glenio !

« H »… comme holocauste. À la fin du XIXème siècle, il y avait environ 5000 juifs à Corfou. En 1940, il en restait 2000. 1700 seront raflés par les nazis. Les Mangeclous, les Saltiel, les Salomon, Michaël et Mattathias, le valeureux petit peuple des romans de Cohen a disparu dans les fours d’Auschwitz. Aujourd’hui, il reste une cinquantaine de Juifs à Corfou.

« I »… On sait peu qu’Albert Cohen fut un militant passionné de la cause sioniste. Il a fondé la Revue Juive en 1925, a travaillé au BIT de Genève à promouvoir le sionisme dans les instances internationales, a collaboré avec l’Agence juive pendant et après la guerre. Mais lorsqu’en 1957 on lui propose le poste d’ambassadeur d’Israël, il refuse. Alors I… comme Israël, où il ne s’est jamais rendu de toute sa vie.

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« J »… comme Juif. Car c’est sa principale question. Ses premiers textes sont bibliques : Paroles juives, Ézéchiel, La farce juive. Son rival y est Moïse, peut-être même Dieu. Sans doute est-ce aussi une provocation face à l’antisémitisme ambiant… Dans la Déclaration de la Revue, en des temps où il fallait du courage, il écrit : « Nous aurons une esthétique puisque nous sommes une race. Une race est une idée faite chair. »

« K »… pour Joseph Kessel qui se bat pour qu’on lui attribue le prix Nobel de littérature. Se joignent bientôt d’autres voix : Simone Veil, François Mitterrand… Mais ce fut Saul Bellow, puis Singer, puis Elias Canetti, en 1981, l’année de la mort d’Albert. Au mois de mai de cette année, il répond au Nouvel Observateur : « j’ai quatre-vingt-cinq ans et je vais mourir bientôt, dans deux ans ou un an ou le mois prochain. Mais que je suis heureux d’aimer ma femme en ma vieillesse et d’être aimé par elle en ma vieillesse… Oui, être aimé et aimer à quatre-vingt-cinq ans et rire de bonheur alors que je sais que je vais mourir est ma seule réponse à votre lettre. Tout le reste est poussière soulevée par le vent. »

« L »… Le contrepoint de ses « occidentales passions », à Corfou, le 2 octobre 1894, Louise Judith Ferro, fille du notaire royal, épouse Marco Coen, négociant en savon. On l’a mariée et elle a accepté. Puis, écrit Albert Cohen, « … l’amour biblique est né. » L’amour comme une nature ; l’amour comme une alliance contre la méchanceté du monde. Plus d’ailleurs l’amour pour son fils que pour son mari… Mais quelle différence ? Alors « L »… pour Louise ; pour l’éternel Livre de ma mère.

« M »… comme Marcel Pagnol, bien sûr, le condisciple des classes élémentaires et du collège, l’ami de toujours ! Pagnol témoigne : « Il a été mon meilleur ami et moi, j’ai été son meilleur ami »… « Je suis Cohen », lui disait Albert, c’est-à-dire prêtre. Alors, j’ai le droit de bénir. Lorsque Pagnol était ennuyé, dans la rue, n’importe où, Albert étendait la main, les doigts séparés deux par deux, et le bénissait. Sacré Albert !

« N »… Albert Cohen n’écrivait pas ; la plupart du temps, il dictait. Il dictait ses livres à des femmes qui l’admiraient, qui l’aimaient… Solal a été dicté à Yvonne Imer ; Belle du seigneur à Bella… C’était la condition de sa littérature. Peut-être aussi l’application de sa neuvième règle de séduction… « N »… pour « Neuvième manège, proche du septième, la sexualité indirecte. Dès la première rencontre, qu’elle te sente un mâle devant la femelle. » Le machisme solaire d’Albert Cohen…

« O »… Robe de chambre à pois, monocle et chapelet d’ambre… Albert est un oriental, dans son être-même. Pour lui, la vérité n’est pas l’inverse de l’erreur ou du mensonge… Octobre 1920, il quitte Genève pour Alexandrie, laissant une jeune épouse sur le point d’accoucher. En Égypte, il peut enfin vivre son orient, son Cher Orient, titre du poème qu’il tirera de ce voyage. Alors O… pour l’Oriental !

« P »… Comme prophète qu’il se voulait — rien de moins ! Comme le prophète que sa première femme, Élisabeth, vit en lui lorsqu’elle lut son premier livre : Paroles juives. « J’ai compris ce que tu étais. Il n’y avait plus de prophètes. Toi, tu es venu, leur frère véritable, leur égal… »

« Q »… pour « Quel monstre ! » C’est le cri que pousse François Nourissier dans Les Nouvelles littéraires du 12 septembre 1968 lorsqu’il reçoit Belle du seigneur. « Quel morceau ! Quel monstre ! 845 pages, 32 francs et à peu près autant d’heures de lecture que de francs : on est terrorisé. » Il fut conquis…

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« R »… comme Revue Juive. Le 15 janvier 1925, paraît le premier numéro, édité par Gallimard. Albert Cohen a 29 ans. Il en est le directeur. Au comité de rédaction, rien moins que Albert Einstein, Sigmund Freud, Charles Gide (l’oncle), Haïm Weizmann ou Martin Buber… Dans les premières pages, la Déclaration d’Albert.

« S »… comme Solal. Comment faire autrement ? N’est-ce pas le prénom récurrent des héros d’Albert Cohen. Mais on ne peut que tiquer : Cohen et Solal… Les deux noms sont accolés, reliés par un trait d’union dans le nom de famille « Cohen-Solal ». Solal n’est pas Cohen ; il est son ombre. Solal, en hébreu, du verbe lisslol, qui signifie « aplanir la route ». Laquelle trace la route de l’autre, l’ombre ou la chair ?

« T »… Les écrivains cultivent une « scène primitive », un événement de l’enfance, figé en tableau, érigé en mythe des origines. Celle d’Albert Cohen est une humiliation, le jour de ses dix ans. Il rentre de l’école, s’arrête devant un camelot qu’il admire et l’autre le regarde et le réduit à son altérité : « Toi, tu es un sale Youpin, hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’était allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée. » Alors « T »… pour « Tu es un sale Youpin, hein? Je vois ça à ta gueule… »

« U »… Le crime du roi David. Il désire Bethsabée, mais elle est mariée. Il expédie au front son mari, Urié le Hittite, et demande à son général de se retirer pour l’abandonner seul face à l’ennemi. Dans Belle du seigneur, Solal, le patron, expédie Adrien Deume en mission à l’étranger. Pendant son absence, il séduit Ariane, sa femme. Deume ne meurt pas en voyage mais à son retour, voyant Ariane lui échapper, il se suicide. Alors « U » pour la référence biblique : Urié !

« V »… comme Visions, un inédit d’Albert Cohen, écrit juste après le décès d’Élisabeth, sa première épouse. Max Jacob l’a lu et a écrit : « Vous avez la candeur du génie, la simplicité du génie, les habiletés visibles du génie… la timidité et l’audace du génie… » Lorsqu’à la fin de sa vie, il a été question de le publier, Albert s’y est opposé : « C’est un fou qui a écrit cela ». Après sa mort, le manuscrit a été détruit.

« W »… En 1940, réfugié à Londres, Chaïm Weizmann, président de l’Organisation sioniste mondiale, en fait son représentant personnel auprès du gouvernement français en exil. Mais le projet le plus audacieux du rêveur amoureux, est celui d’une « légion juive » de 400.000 hommes. S’il n’y avait eu l’opposition des Anglais, Albert aurait pu même être chef de guerre… Alors, « W »… pour Weizmann !

« X »… Quelle est la principale activité d’un diplomate à la Société des Nations, à Genève, dans les années 30 ? « Faire des vents enfantins avec les lèvres… » Cruauté d’Albert Cohen envers la diplomatie internationale qu’il connut fort bien… « X »… pour Chapitre X de Belle du seigneur où cette cruauté atteint son apogée.

« Y »… Élisabeth avait une amie qui lui ressemblait, une âme sœur. Elle s’appelait Yvonne Imer. On les disait jumelles. Durant la maladie d’Élisabeth, Yvonne était si proche. Après son décès, elle a consolé l’époux éploré. Peu à peu est née une nouvelle passion qui a permis à Albert de reprendre goût à la vie. Solal, son premier roman a été dicté à Yvonne, l’admirative amante. Alors Y… comme Yvonne !

« Z »… Pour finir, une devinette. Où trouve-ton l’éloge les plus enflammé d’Albert Cohen ? Dans un journal allemand, paru à Berlin, le 12 mars 1933, quelques semaines après l’élection d’Adolf Hitler. À propos de Solal, qui venait d’être traduit, on peut lire qu’Albert Cohen, dans des scènes dignes de Richard III de Shakespeare, nous révèle le véritable visage de l’homme. Alors « Z »… pour Vossische Zeitung. L’année suivante, le livre est interdit.

Rendez-vous, le 19 janvier 2015

À 20h00 dans la grande salle du théâtre de l’Odéon



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