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Ludovic Vigogne : « En revenant aussi tôt, Nicolas Sarkozy va jouer très gros le 29 novembre »

Publié le 13 octobre 2014 par Delits

Élections à l’UMP, primaires à droite, choc des écuries… : la droite est à nouveau sous les feux médiatiques. Pour décrypter cette séquence cruciale en vue de 2017, Ludovic Vigogne a répondu à Délits d’Opinion.

Délits d’Opinion : Les sondages sur le retour de Nicolas Sarkozy font apparaitre une attente importante chez les sympathisants UMP mais beaucoup moins forte chez le grand public. L’ancien Président a-t-il la capacité de susciter à nouveau le désir ?

Ludovic Vigogne : « Avant de s’interroger sur le rapport entre Nicolas Sarkozy et les Français, il faut d’abord attendre le score qui sera le sien au soir du 29 novembre pour la présidence de l’UMP. L’ampleur de sa victoire sera le premier  critère valable pour juger de la réussite de son retour en politique. Une victoire avec 80% des suffrages lui conférerait une autorité forte et lui permettrait de remodeler le parti à sa main. A l’inverse, un score voisin des 70% compliquerait fortement la suite de l’histoire pour l’ancien Président qui serait contraint de faire des concessions importantes. Le jeu avec Alain Juppé, François Fillon…n’en serait que plus ouvert.

Dans toute cette séquence, il ne faut jamais perdre de vue que la conquête du parti est le premier objectif de Nicolas Sarkozy : cela explique la ligne assez tranchée qu’il a adoptée.  Il faut d’abord rallier les suffrages du maximum de militants UMP. L’idée selon laquelle il reviendrait sur une ligne plus modérée et centriste a vécu. Le Nicolas Sarkozy de fin 2014 est à mi-chemin entre 2007 et 2012 mais il est encore trop tôt pour identifier quel cru l’emporte sur l’autre ».

Délits d’Opinion : Le retour sans doute un peu précipité qui l’oblige à une course de fond de 30 mois peut-il fragiliser Nicolas Sarkozy ?

Ludovic Vigogne : « L’Histoire retiendra que Nicolas Sarkozy a fait son retour avant que l’on ait dépassé la moitié du mandat de François Hollande. Le principal défi de l’ancien Président est de se renouveler. Car le risque majeur pour lui est celui de l’usure à petit feu. S’est-il suffisamment retiré longtemps pour susciter un large désir ? S’est-il suffisamment renouvelé ? Jusque 2017, cela va être long. En revenant si tôt, Nicolas Sarkozy a pris un vrai risque.»

Délits d’Opinion : Alain Juppé bénéficie d’un soutien relativement fort auprès du grand public. L’homme des grèves de 1995 a-t-il, lui, vraiment changé ? A-t-il le bon profil à la fois personnel et politique ?

Ludovic Vigogne : « Alain Juppé incarne aujourd’hui l’opposé de Nicolas Sarkozy sur le plan du comportement : il apparait calme et rassurant ; il donne le sentiment d’avoir tiré toutes les leçons de son expérience et de ses échecs. Il cultive aussi sa différence sur le plan « idéologique » : l’ancien Premier ministre se pose comme le candidat d’une droite humaniste, modérée, européenne, mi-étatiste mi-libérale. En permanence, il s’inscrit en creux par rapport à Sarkozy. Sa chance est que malgré son âge, il apparaît «neuf».

Face à ce duel, il est également intéressant de noter la résistance dont François Fillon fait preuve. Son plan de réduction des dépenses publiques a trouvé de l’écho. Les succès de Larcher et Retailleau au Sénat ont remis du baume au cœur de ses troupes alors que leur leader connaît une vraie traversée du désert. Au final, il demeure dans la course malgré les deux coches qu’il a manqués : le premier en 2010 au moment où il aurait sans doute dû quitter Matignon pour préparer 2012, et le second à l’automne 2012 lorsqu’il échoua à reprendre la tête de l’UMP. Alors qu’il avait une autoroute, Fillon surnage, même affaibli et abîmé.

Mais il est primordial de garder en tête un élément pour 2017 : la course sera longue et pleine de rebondissements. D’autres challengers comme Bertrand ou Le Maire peuvent encore s’inviter à la présidentielle. A ce sujet gardons en tête qu’en 2004, personne n’aurait parié que trois ans plus tard Ségolène Royal serait la candidate de son camp pour l’Elysée.»

Délits d’Opinion : Qui influence aujourd’hui l’ancien président Sarkozy ?

Ludovic Vigogne : « Suite au scandale des enregistrements, Patrick Buisson n’est plus aux côtés de Nicolas Sarkozy. C’est un point essentiel : depuis 2005, il lui était indispensable. Désormais Nicolas Sarkozy s’appuie beaucoup sur Pierre Giacometti. C’est lui qui a plaidé pour la stratégie du recours. Pourtant l’influence « Buisson » demeure  forte. Nicolas Sarkozy continue d’être imprégné de son héritage idéologique, c’est indéniable. Sa mise en avant du référendum, comme en 2012, en est le symbole. Nicolas Sarkozy sait parfaitement ce que Patrick Buisson lui a permis de réaliser en 2007 où sa victoire fut éclatante puis en 2012, où il a obtenu malgré tout un score honorable. C’est ce score, pas déshonorant de 48,5% qui lui permet aujourd’hui de revenir.

Je pense néanmoins que la posture de rassemblement et transpartisane n’est pas adaptée au profil intrinsèque du candidat Sarkozy. C’est par sa personnalité clivante et sa force de conviction qu’il a su séduire. L’histoire, le bagage politique et les succès de Nicolas Sarkozy portent la marque de la transgression. C’est celui qui a brisé des tabous, s’est érigé contre le politiquement correct et le discours d’une certaine élite. Nicolas Sarkozy aurait beaucoup à perdre en  gommant ce qui fait de lui un animal politique hors norme. »

Délits d’Opinion : Le choix du leader à droite peut-il avoir une incidence directe sur la relation entre l’UMP et le FN dans la perspective des échéances de 2017 ?

Ludovic Vigogne : «  Pour Alain Juppé la ligne est claire, elle est chiraquienne et étanche entre ces deux partis. Nicolas Sarkozy parle lui encore beaucoup à cette franche de l’électorat, même si plus qu’en 2012, il cible Marine Le Pen en insistant sur sa responsabilité dans l’élection de François Hollande. Enfin, François Fillon est plus flou sur ce point. Parti sur une ligne à la Juppé, il a complexifié son message avec son épisode « sectaire ».

Mais n’oublions pas que la première raison du succès du FN reste la déception immense des Français envers les responsables politiques de droite et de gauche qui se sont succédés au pouvoir depuis 10 ans. En 2007 l’espoir de voir Nicolas Sarkozy changer le cours des choses s’est évanoui rapidement. Lui qui avait les mains libres pour faire basculer le pays dans le XXIe siècle, grâce à l’enthousiasme suscité par sa victoire, n’a pas voulu faire passer les réformes de fond nécessaires. Le discrédit est tout aussi grand pour François Hollande qui a rapidement décroché et déçu une grande partie des Français et de ses électeurs.

Dans la progression de Marine Le Pen, le discours importe moins que la déception suscitée par l’UMP et le PS. Sa chance est de n’avoir jamais exercé le pouvoir. Et c’est justement sur ce point que la fille se différencie du père : Marine Le Pen veut être présidente de la République et s’y prépare ».


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