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Patrick Modiano contre «la nuit froide de l’oubli»

Publié le 10 octobre 2014 par Blanchemanche
#Nobel #littérature
Eléonore Sulser  10 octobre 2014

Patrick Modiano sur les quais de la Seine en 1969.  L’écriture comme un questionnement permanent de la mémoire. (Sophie Bassouls/Sygma/Corbis)
Patrick Modiano sur les quais de la Seine en 1969. L’écriture comme un questionnement permanent de la mémoire. (Sophie Bassouls/Sygma/Corbis) 
Le romancier français, Prix Goncourt en 1978 pour «Rue des boutiques obscures», reçoit le Prix Nobel de littérature 2014 pour son «art de la mémoire»
«Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.» Cette phrase de René Char, Patrick Modiano l’a inscrite en exergue de Livret de famille paru en 1977. En lui décernant le Prix Nobel de littérature pour «l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation», l’Académie suédoise salue, aujourd’hui, cette obstination «à achever un souvenir», qui, au fil des ans et d’une trentaine de livres, n’a fait que s’affirmer chez Patrick Modiano. Au point que la phrase de René Char pourrait avoir, rétrospectivement, valeur de devise pour l’écrivain.
Vivre et donc écrire, s’agissant de Patrick Modiano, se joue en effet dans l’obstination de la mémoire. Pour l’écrivain, la mémoire est une contrée accidentée, fragmentée, jamais tout à fait sûre, toujours à revisiter. Elle est d’abord un territoire intérieur: c’est sa propre histoire, celle de son enfance et de sa jeunesse, que le romancier ne cesse de scruter. Il tente inlassablement de résoudre l’énigme de ses origines, sans y parvenir tout à fait, car subsiste toujours un indéchiffrable noyau.
Beaucoup de ses textes, dont le dernier, paru au début de ce mois, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (lire en page 29), reviennent sur son enfance et son adolescence déchirée, sans éclairer tout à fait ce qui, à lui-même, demeure obscur. C’est cette obscurité, cette quête d’une vérité définitive sur soi qui est le moteur de l’écriture.
Modiano écrit donc dans le flou, dans l’incertain, dans l’inquiétude, dans un sentiment de précarité, hérité de parents souvent absents, d’une mère désintéressée et d’un père louche, trafiquant, ballottant ses enfants comme des paquets encombrants, envoyant son fils aîné loin de Paris, en pensionnat en Haute-Savoie, le dénonçant comme «voyou», tentant enfin de s’en débarrasser en l’envoyant à l’armée.
Même Un Pedigree , paru en 2005 – très beau livre, ouvertement autobiographique celui-là – ne lève pas les doutes sur sa jeunesse brouillée, endeuillée aussi par la mort d’un petit frère: «Je suis né le 30 juillet 1945, à Boulogne-Billancourt, 11, allée Marguerite, d’un juif et d’une Flamande qui s’étaient connus à Paris sous l’Occupation. J’écris juif, en ignorant ce que le mot signifiait vraiment pour mon père et parce qu’il était mentionné, à l’époque, sur les cartes d’identité. Les périodes de hautes turbulences provoquent souvent des rencontres hasardeuses, si bien que je ne me suis jamais senti un fils légitime et encore moins un héritier.»

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