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Le Français et le changement, petit manuel pour étrangers...

Publié le 02 août 2014 par Christophefaurie
Tentative d'analyse du comportement français face au changement :
La victime Crispant. Combien de fois me dit-on que rien ne va ? Mon dirigeant est incompétent. Il n’a pas de stratégie. Il savait tout de même ce que ça signifiait être PDG, quand il a pris son poste! Et tout ce qu’il fait est idiot. S’ensuit une liste de dysfonctionnements, ridicules. Et qu’ils viennent s’asseoir à côté de moi, tous ces managers, au lieu de passer leur vie en visioconférences ! Mais quand je demande : et vous, que faites-vous pour améliorer la situation ? Silence. Se plaindre de tout et sans cesse est une attitude d’assisté. Propre aux peuples du sud de l'Europe. Probablement une façon de se donner l’impression que l’on ne vole pas l'argent que nous verse l'Etat.
Le dirigeant de droit divin Qui dit assisté, dit pouvoir paternaliste. Il a été décrit par Tocqueville. En France, nous pensons que tout doit venir d’en haut. Et le haut croit, comme le dit Tocqueville, au pouvoir de la raison. Etant coupé de la réalité, il prend des décisions stupides. Plus exactement, il fait preuve d'une confondante paresse intellectuelle. Ce contraste entre une incompétence patente et un contentement de soi inoxydable fait dire à l’étranger que nous sommes d’une arrogance insupportable.
La communauté délinquante En écrivant ce billet, un souvenir m’est revenu, 40 ans après l’avoir totalement oublié. Un professeur me demande de traduire un texte latin. Et me donne une note médiocre. La classe se révolte ! Car il vient de féliciter son favori, qui n’a pas fait mieux que moi. Le professeur revoit, presque immédiatement, son jugement. Et voilà le curieux. Je n’étais pas un élève sympathique pour mes camarades, ils n’avaient aucune raison de prendre mon parti. D’ailleurs, je ne les ai pas remerciés de m’avoir soutenu. Je réalise aujourd’hui que ce mouvement d’humeur nous est tous apparu comme normal. Une injustice avait été commise. Michel Crozier parle de « communauté délinquante ». La France ne s’unit, selon lui, que pour dire non. Comme je l'explique ailleurs, cela prend vite des aspects suicidaires. Car le suicide est la plus efficace réaction face à l'injustice. Et la meilleure résistance au changement. 
Honneur et bon plaisir Philippe d’Iribarne à la suite de Montesquieu fait de l’honneur notre principe. Le Français est au dessus des lois. Il n’écoute que sa raison. (Ce qui, au passage, est la recommandation des philosophes des Lumières.) Mais, quand son honneur est en jeu, sa vie ne compte pas. En fait, comme mon professeur, il suit son « bon plaisir ». Et c’est pour cela que, confondant raison et caprice, il commet des injustices. Et qu’il faut une révolte pour percer sa surdité.
La liberté c'est le dysfonctionnement ! Il y une même idée chez Montesquieu et Rousseau. Pour protéger la liberté de l’homme, il faut que rien ne puisse la menacer. Egalité de forces dit Rousseau (d’où « l’égalité » de la devise de la France). Pour Montesquieu, il faut des pouvoirs qui s'annihilent (exécutif, législatif, judiciaire). Marc Bloch observe quelque chose d’identique au Moyen-âge : le féodal est tout puissant ; si le paysan n’est pas écrasé, c’est du fait de son inertie et des dysfonctionnements de l'appareil seigneurial. Pour Michel Crozier, l’employé entretient le dysfonctionnement dans l’entreprise, pour avoir du pouvoir.
Paralyser les contre-pouvoirs Les grandes faillites françaises se ressemblent. Crédit Lyonnais, France Télécom, Sciences Po… à chaque fois, leur dirigeant, haut fonctionnaire, bloque le système qui devait le contrôler. Paralyser les contre-pouvoirs est une seconde nature pour le dirigeant français. C’est le seul moyen qu’il ait trouvé pour gouverner. Ce qui ne surprendra pas le lecteur.
Des individus séparés par des valeurs communes Une étude Harvard / Sciences Po observait que les valeurs des Français sont étrangement uniformes. Quelles valeurs ? Celles que la gauche et la droite leur reprochent de ne pas partager ! Car la gauche et la droite veulent s’arroger le monopole de ces idées, afin d’en faire l'opium du peuple. Mais le Français n’aime pas être manipulé… En revanche, lorsque ces idéaux sont utilisés de bonne foi, le peuple se mobilise comme un seul homme. C’est alors que la France change. Comme le prévoyait Montesquieu, quand tout le monde est d’accord, il n’y a plus de contre-pouvoirs. Et le Français fait alors preuve d’une vigueur, d’une motivation, d’une inventivité, d’un esprit d’initiative… dont le seul équivalent est l’Américain poussé par la soif du gain, dit Tocqueville.
Conduire le changement en France Curieux. Chacun de ces comportements implique les autres. Et leur opposition les renforcent. Mieux. Faisons l'hypothèse Français = individu qui suit ses intérêts. Mis à la tête de quoi que ce soit, il va chercher à imposer son opinion, sans écouter. Ce qui va susciter une résistance, et l'exigence de la protection de la liberté individuelle par des contre-pouvoirs. Ce que le "dirigeant" va vouloir contourner par une forme ou une autre de manipulation... On retrouve nos comportements ! Nous sommes, comme le disaient les Allemands, une "société d'individus". (Comme les Américains, d'ailleurs.) Et cela donne, liberté, égalité, fraternité ! (Mais une fraternité de frères ennemis.)
Pourtant il existe chez nous une forme de communauté. Nous croyons à des valeurs supra locales. Notre équipe, c'est la nation. Ce qui explique peut-être une remarque de Chateaubriand, à son retour d'émigration. Il est d'abord exaspéré par la France. Puis, immédiatement ensuite, il a le sentiment de retrouver la seule vraie vie. Voilà pourquoi le Français a tant de mal à quitter son pays, en dépit des horreurs qu'il pense de ses congénères ?
Conclusion. La clé du changement en France ? écouter…

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