Brasserie La Montreuilloise, à Montreuil - Photo : Karim El Hadj
Différentes mais toujours désaltérantes, blanche, bonde, brune ou ambrée au caractère souvent bien trempé, les bières artisanales ont le vent en poupe... au point d'être maintenant inscrites, comme le vin, au patrimoine de France. Alors que les marques les plus connues rivalisent de campagnes publicitaires pour se faire mousser auprès des consommateurs, pourquoi ne pas profiter des vacances pour soutenir la démarche de brasseurs qui ont décidé de promouvoir une production locale et authentique ?
Une soif de local et d'artisanal
Direction La Montreuilloise - Photo : Karim El HadjLa canicule sévit déjà en ce milieu de matinée dans le quartier des murs à pêches, à Montreuil. Installée à l'arrière d'une succession de hangars, on n'arrive à La Montreuilloise qu'après avoir longé la scierie des Bâtisseurs d'Emmaüs. La jeune micro-brasserie a ouvert ses portes il y a quelques semaines et Jérôme Martinez, son fondateur, vous accueille en s'excusant du bruit généré par les quelques travaux qui s'y terminent ce matin là. Après avoir œuvré pendant vingt ans pour les droits des migrants, il a changé de carrière et s'est formé pendant un an auprès de Florent Deneubourg, brasseur qui avait ouvert La Zymotik à Montreuil en 2010, désormais parti s'installer dans le Lot.
Houblon made in Montreuil, Photo : Karim El HadjA l'extérieur, sur la gauche du bâtiment, se trouve un pied de houblon. Haut de six mètres, le jeune brasseur l'a planté il y a trois mois seulement. Cousine du chanvre, cette plante vivace est déterminante pour l'arôme et l'amertume du breuvage. En France, sa production est principalement concentrée en Alsace et dans le Nord (notamment via la coopérative La Coophoudal). De quoi donner des idées à Jérôme Martinez qui souhaiterait optimiser une petite partie des 25 hectares du quartier des Murs à Pêches pour cultiver du houblon. "Il y a une demande de houblon, et de pieds de houblon notamment", souligne-t-il. Sachant qu'un pied devient productif au bout de trois ans pour produire environ 500 grammes de houblon par an (de quoi produire 250 litres de bière, un kilo de houblon coûtant en moyenne 20 euros), ce projet de houblonnière ajouterait grandement à sa démarche de production biologique et locale.
Malt bio de chez Soufflet - Photo : Karim El HadjCar si la bière est brassée localement (près de 7 bières sur 10 consommées en France sont produites en France), les ingrédients qui entrent dans sa composition ne le sont pas toujours, surtout en bio. Pour l'orge par exemple, qui est transformée en malt, la France est le premier exportateur mondial. Mais le malt bio est plus rare. A La Montreuilloise, où tout est bio, on utilise celui de la gamme développée par Soufflet, ainsi que celui proposé par la malterie du château, en Belgique. Pour l'instant, seules quelques filières coopératives biologiques dans la Drôme, en Bretagne et même un peu dans le Tarn sont poussées par des brasseurs locaux souhaitant relocaliser la provenance de leurs ingrédients. Hors production biologique, le malt peut donc être local, mais plus rarement le houblon.Robert Dutin, bièrologue auteur du Guide des Brasseurs et Bières de France, relativise ce manque de production bio : "Une bonne bière est produite avec des produits sains. Qu'ils soient bio cela ne change rien au goût", déclare-t-il avant de préciser que l'"on trouve le meilleur comme le pire dans les brasseries artisanales". Pour Annick Castelain, de la brasserie Castelain à Benifontaine, près de Lens, une chose est sûre : le temps de brassage d'une bière artisanale dure de six à huit semaines, contre cinq jours en moyenne pour une bière industrielle. "Sans parler des correcteurs pour la couleur, de quoi faire en sorte que la mousse tienne mieux... Une bière artisanale, c’est un peu comme quand on achète des tomates ou des pommes, c’est pas toujours aussi régulier. Le plus important n’est pas qu’elle soit bio mais qu’elle soit bonne", souligne celle qui a participé en 1986 à la création de La Jade, bière bio la plus vendue en France.
Brasser... de l'art !
Jérôme Martinez, brasseur de La Montreuilloise - Photo : Karim El HadjLe gros problème du brasseur est d'assurer une production au goût constant : car on ne le soupçonne pas toujours, mais un brasseur a des compétences de parfumeur tout autant que des talents de chef cuisinier et d'alchimiste. Du choix de l'eau à celui du malt, du houblon et des levures, sa production dépend des assemblages qu'il compose. "Tout brasseur dispose de 80 à 100 malts différents, torréfiés ou non. Il existe 150 variétés de houblon dans le monde, et un choix presque tout aussi large de levures, si bien que la recette de chaque brasseur est unique", explique Robert Dutin. "Sans parler de la technique de brassage", souligne aussi Jérôme Martinez, qui aime faire des tests et travailler un bouquet de houblons différents à chaque brassin.Mais comment expliquer l'engouement actuel pour les bières artisanales ?Car s'il existait 2670 brasseries en 1910 avant la première guerre mondiale, il n'y en avait plus que 670 en 1947. Au début des années 1980, il ne reste plus que 22 brasseries dans l'Hexagone, et ce n'est qu'en 1985 qu'apparaissent deux micro-brasseries (production de 300 à 1000 hecto-litres par an), la Coreff en Bretagne etLes trois brasseurs à Lille. En 2010, c'est un renouveau : on dénombre 339 brasseries en France, puis 442 en 2012. En 2014, il en existe 600, soit près de deux fois plus qu'il y a quatre ans. De quoi parler d'"une accélération qui n’est pas exponentielle, mais d'une multiplication persistante", résume Robert Dutin.
Trois semaines après le stage, les bouteilles attendent de retrouver leur propriétaire - Photo : Karim El HadjCette tendance vient d'Amérique du Nord où une telle progression existe depuis 20 ans. La conjoncture économique en convainc certains à monter une brasserie à côté de leur activité principale, mais ce sont surtout de grands amateurs qui osent se lancer professionnellement dans cette activité. Sans doute porté par le succès du fait-maison et du DIY, faire sa propre bière est tout autant un passe-temps nourrissant qu'une passion qui se partage à plusieurs. "L'activité est encore très ouverte, reconnaît Jérôme Martinez, il n'y a pas de diplôme de brasseur, il existe une formation universitaire très restreinte à La Rochelle et quelques formations courtes autrement". Lui a appris en un an et demi, et a décidé de s'installer proposant différents types de stages. "Cela m'assure une stabilité financière, j'ai fait le choix de ne pas investir pour produire en quantité. J'aime transmettre ce que l'on m'a appris et cela assure ma viabilité", explique-t-il.