Le sumo de l'aikido

Parmi les premiers disciples de maître Ueshiba, certain avaient déjà pratiqué d’autres disciplines martiales. Il y eu des judoka, des kendoka et aussi un lutteur de sumo, Tenryu, que le fondateur affectionnait particulièrement...

Lorsque Tenryu¹ rencontra Osensei en 1938 en Mandchourie, il avait une trantaine d'années et déjà un palmarès élogieux dans la hiérarchie du sumo, puisqu'il avait le titre de sekiwake².

Plus que ses performances dans le sumo, c'est son esprit et son action réformatrice qui le rendirent célèbre. Il fut l'initiateur d'une tentative de réforme dans le monde du sumo, (qui était très conservateur à l'époque) dont les règles de fonctionnement étaient très largement inspirées de la féodalité japonaise.

(1- Saburo WAKUTA dit « TENRYU » est né le 1er novembre 1903 à Hamamatsu dans la préfecture de Shiozuka.Saburo Wakuta) (2 - Sekiwake est le troisième plus haut rang de la lutte sumo)

Saburo Wakuta dit Tenryu

Ils se coupèrent les cheveux !

Les sumotori ne vivaient à l'époque que grâce aux dons des sponsors, ainsi que de leur admirateurs. Ces dons transitaient par l'association à laquelle ils appartenaient. Celle-ci reversait sous forme de compensations de quoi vivre aux sumotori. Souvent elle conservait l'intégralité et ne donnait qu'une infime partie.

Tenryu estima cette situation inaceptable. Lorsqu'il parvint au rang de sekiwake, il décida de proposer avec trente deux autres sumotori, à son patron, une réforme pour changer ce contexte.
Bien entendu, il était impensable que son association puisse accepter une telle révolte. Tenryu et ses camarades tentèrent "un coup d'état" en occupant le siège. Leur professeur et directeur de l'association fit appel à un groupe d'élève d'éxtrême droite pour les déloger !

Après un long face à face, Tenryu et ses camarades furent obligés de quitter le siège de son association. Ils coupèrent leurs cheveux pour indiquer leur départ et formèrent une autre association, "l'association de sumo du grand Japon". En 1937, le sumo fut à nouveau réunifier. Tenryu estima que ses années de rebellion ne lui permettaient pas de rentrer dans les rangs, il dissout son organisation et quitta définitivement le sumo.

L'année suivante, il accepta un poste de prof d'éducation physique en Mandchourie. En 1939, il décida avec ses collègues d'organiser une démonstration d'arts martiaux. Ils invitèrent alors des experts japonais de kendo, judo, kyudo et d'aikido.

Sa rencontre avec Osensei

La manifestation se déroula dans le dojo de la banque Chuo. Le maître Ueshiba y participa. Il était assisté de sensei Inone. La prestation du maître fut d'une grande finesse. Son art était encore peu connu Japon. Face à des experts d'arts martiaux, il pressentit que la grande facilité qui se dégageait de ses techniques, pouvait laisser imaginer une certaine connivence entre lui et son élève. Il proposa alors à l'assistance de tester sa technique avec l'un d'entre eux.

Tout en parlant, il lui tendit son bras gauche. "Mon bras gauche est plus faible que mon bras droit. Je vais me laisser faire. Faite ce que vous voulez". Tenryu, dés le premier contact avec le bras de maitre Ueshiba fut frappé par la puissance qui s'en dégageait.  Il décida néanmoins de jouer le jeu. Il saisit d'abord avec une main, puis deux, l'avant bras du maitre, essayant de le tordre, de le soulever, mais rien n'y fit.
A un moment, il se retrouva au sol. des années plus tard, il s'en souvenait encore :" c'était un kokyu nage extraordinaire. Je n'en revenais pas !"

Le soir même, Tenryu alla à l'hotel où le maitre était hébergé et le pria de le prendre comme disciple. Le fondateur accepta la requête et lui dit simplement de venir travailler dans son dojo à ushigome (Tokyo). Il précisa que trois mois de pratique seraient suffisants, à un homme expérimenté comme lui, pour assimiler les principes de l'aikido.

Osensei en Mandchourie

Entrainement à l'aikido...

D'avril 1939 à Juin, il travailla au dojo de maitre Ueshiba, en compagnie des jeunes disciples. il se lia d'amitié avec un aikidoka talentueux, Shioda (à l'époque encore élèves). A la fin de son séjour, le maitre l'invita à venir à sa maison de Kurama, pour une pratique spéciale. Le fondateur aimait aller au sommet d'un mont pour pratiquer. Tenryu quitta donc la maison avec le maitre à trois heures du matin pour grimper les marche qui devaient les conduire au somment de la montagne. Le maitre le précédait, afin que Tenryu puisse l'aider à monter, en le poussant dans le dos. En réalité, Osensei se reposait totalement sur les bras tendu de son élèves.

Tenryu, qui était d'un tempérament taquin, imaginais dans sa tête une petite farce, et s'il lâchait le maitre... A ce moment, il entendit le maitre lui dire: " la raison pour laquelle tu transpires tant, c'est que ta pensée est préoccupée par le tour que tu veux jouer au vieil homme que je suis.  C'est pourquoi tu es si essouflé. Il te suffit de grimper les marches, en oubliant que je prends appui sur tes bras. Tu verras ".

Effectivement, en suivant le conseil, il parvint à monter naturellement les dernières marches. Il appris à respirer correctement et ne fut plus tout essoublé. Il réalisa combien un petit détail pouvait changer tant de chose !

L'entrainement dans la montagne se déroulait de nuit. Le maitre ueshiba aimait ce type de pratique. Ils se levaient à trois heures du matin, dans une obscurité totale pour travailler le boken. Tenryu n'y voyais rien alors que le maitre voyait clairement comme en plein jour. Il suivait pas à pas l'enseignement de Osensei et, au bout de la troisième nuit, il fut surpris, lui aussi de voir clairement dans l'obscurité.

Finit l'entrainement !

Au bout de cinq jour de pratique spéciale, le maitre lui dit:"ton entrainement avec moi est terminé. Je n'ai plus rien à t'apprendre. Tu es à présent capable de tenir face à n'importe qui."

Avant de retourner en Mandchourie, Tenryu accompagna le maitre pour prier à l'autel de l'aiki à Iwama.

De retour en Mandchourie, il créa, en 1941, un dojo, le shinbuden.

Peu après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la Kyokai lui demande de venir travailler pour elle en tant que conseiller spécial. Il se voit décerner un diplôme particulier, pour son travail effectué en Mandchourie, par la fameuse Maison de Yoshida TSUKASA, qui attribue traditionnellement les diplômes de Yokozuna (rang de sumo le plus élevé). Après son retour au Japon, il dirige un magasin de sports et ouvre un restaurant chinois à Tokyo en 1950.  Osensei allait souvent chez lui pour manger.

Un jour, il lui dit "Tenryu, s'il devait m'arrier quelque chose, occupe toi de mon fils. Kisshomaru est encore si jeune". C'était en 1950. Kisshomaru était à l'école et n'avais pas encore pratiqué l'aikido.

Plus tard, il travail comme commentateur spécialiste du Sumo sur la chaîne Japonaise TBS TV et rédige en parallèle des articles au profit de journaux sportifs. A cette époque tous les arts martiaux sont interdits par les américains, et Tenryu est inquiet pour l’avenir de l’Aïkido. Il décide d’aider son ami Gozo SHIODA à reprendre le flambeau et participe notamment à la fondation du Yoshinkan Aïkido en 1955.

En 1957, une commission parlementaire japonaise organise une série de sessions pour réformer le monde du Sumo, ses modes de fonctionnement et les conditions de vie des lutteurs. Ces sessions représentent un bouleversement majeur et marque un pas décisif vers la modernisation de l'Ozumo. Tenryu voit ses efforts reconnus par des parlementaires de premier plan, et il est même invité à venir s'exprimer en tant que témoin expert au cours des débats.

Il devient  un commentateur  très populaire à la radio comme à la télévision, Tenryu s’éteint le 20 août 1989 à l’âge de 85 ans.