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La redécouverte de la nature humaine par la biologie évolutionniste (1)

Publié le 25 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

La redécouverte de la nature humaine par la biologie évolutionniste (1)

Publié Par Damien Theillier, le 25 décembre 2013 dans Sciences et technologies

La psychologie évolutionniste est l’application des principes de la biologie aux comportements émotionnels et cognitifs des humains.

Par Damien Theillier.

Evolution and origins concept

Certains scientifiques aujourd’hui avancent que des comportements culturels complexes comme la famille, le langage ou les normes morales ne seraient pas des constructions sociales arbitraires mais des réponses biologiques adaptatives qui ont émergé lentement au cours du temps au point de constituer des invariants naturels et universels. Une accumulation de preuves empiriques tous azimuts vient désormais à l’appui de cette idée que tout n’est pas acquis et que la part de l’inné serait bien plus grande qu’on ne pensait.

Pour de nombreux philosophes et chercheurs, pourtant, tout comportement humain est compris comme « socialement construit », c’est-à-dire déterminé par des normes culturelles modelant le comportement après la naissance. Selon eux, l’esprit au départ serait semblable à une feuille blanche ou à une « table rase » et ne se construirait ensuite qu’à travers l’expérience, l’histoire, le vécu. Qui considère encore aujourd’hui le comportement comme fondé sur la nature plutôt que sur la culture ?

Pourtant, s’il n’existe pas quelque chose comme une nature humaine stable pour sous-tendre le comportement social, alors peut-il exister un quelconque critère permettant de juger une politique donnée ? Certaines institutions sont adaptées à la nature humaine et d’autres non. Pour en juger il faut disposer d’un concept de nature humaine. Pour fonder un ordre social juste et durable, il faut être capable de déterminer un certain nombre de traits universels et intrinsèques propres à l’homme.

Mais que vient faire la biologie dans cette affaire ? Peut-elle nous dire quelque chose d’important sur la nature humaine ? Cette idée a toujours fait scandale, à droite comme à gauche. Les uns craignent un réductionnisme de l’esprit à la matière. Les autres évoquent la résurgence du darwinisme social et la justification des inégalités par la science.

Le modèle standard des sciences sociales

Les sciences sociales sont dominées par l’affirmation que les normes sont socialement construites et que tout comportement humain est modelé par ces normes, après la naissance. Si l’on veut expliquer un fait social en particulier, on doit donc se référer — selon les mots de Durkheim, le père de la sociologie moderne — aux « faits sociaux antérieurs » plutôt qu’à la biologie ou à l’héritage génétique. Selon lui, la nature humaine « n’est qu’une matière mal définie, modelée et transformée par le facteur social ». L’histoire, ajoutait-il, montre que même ces émotions si vives que sont la jalousie sexuelle, l’amour filial ou paternel, sont « loin d’être inhérentes à la nature humaine ».

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Le chercheur Steven Pinker1 a proposé d’appeler mythe de la « table rase » cette doctrine que l’esprit n’a pas de structure innée et que toute son organisation viendrait de l’environnement à travers la socialisation et l’apprentissage. Selon le modèle standard des sciences sociales, il n’y aurait pas de différences cognitives ou psychologiques importantes, ni entre les individus, ni entre les groupes humains. Les différences seraient entièrement le produit de l’éducation et de la culture, y compris entre l’homme et la femme : différences de sensibilité, de goûts, différences intellectuelles, préférences sexuelles, morales ou politiques. Dans cette perspective, toutes les inégalités seraient dues à la discrimination, aux préjugés ou au conditionnement social. On appelle cela le culturalisme ou le sociologisme : tout est culturel, tout est social, il n’y a pas de nature humaine.

Ce modèle, explique Pinker, est issu en partie de la théorie du « bon sauvage », popularisée par Jean-Jacques Rousseau, selon laquelle l’être humain à l’état de nature serait bon et innocent : « Il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain », proclamait Rousseau. C’est la société qui perverti l’homme, selon lui. C’est elle qui produit l’inégalité et la servitude, notamment avec l’institution de la propriété.

On retrouve cette idée chez Karl Marx sous la forme du matérialisme historique. Ainsi selon Marx, « Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, mais c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » Pour Marx, la nature humaine est construite historiquement puisqu’elle est en interaction constante avec l’environnement social et en particulier avec le mode de production. Et comme chez Rousseau, l’avidité, l’égoïsme, l’ambition personnelle et l’envie ne sont que les conséquences d’une société où domine la propriété privée, notamment celle des moyens de production.

Pour Margaret Mead, sociologue à la mode dans les années soixante-dix, les identités masculines et féminines seraient des constructions sociales conventionnelles. Elle est suivie aujourd’hui par Judith Butler qui explique que le sexe ne serait pas une donnée de nature, mais de culture. Or, cette culture serait dominée par des représentations « hétérosexistes » (l’hétérosexualité comme norme sociale imposée) et « phallocentriques » (centrées sur le masculin), conformément à la grille de lecture marxiste de l’exploitation. On reconnaît ici la théorie dite du « Gender », qui n’est en rien une théorie scientifique mais une hypothèse sociologique.

Pour les chercheurs en sciences sociales, il est en effet très pratique de considérer l’homme comme une pâte à modeler susceptible de prendre la forme que l’on voudrait bien lui donner. Cela revient à affirmer la prédominance du groupe social sur l’individu, hypothèse collectiviste en phase avec leurs rêves de transformations radicales de la société.

L’approche évolutionniste de l’esprit humain et de la culture 

Mais aujourd’hui, ces idées sont de plus en plus remises en question par les sciences de l’esprit, du cerveau et par la génétique. Depuis les années 80, on voit émerger aux États-Unis un nouveau champ de recherches qui se présente comme une synthèse de différentes disciplines. La biologie moléculaire et la biochimie ont permis la découverte de la structure de l’ADN, ouvrant la voie à une nouvelle compréhension du corps humain. En neurophysiologie, des recherches ont été faites sur les causes chimiques et physiologiques des phénomènes psychologiques. Ainsi l’autisme, la dyslexie, les troubles de langage, les dépressions ainsi que bien d’autres désordres psychologiques – dont la psychanalyse prétendait connaître les causes inconscientes – sont aujourd’hui mieux cernés. On sait, par exemple, que de tels troubles sont davantage partagés par les vrais jumeaux que par les faux. Ces derniers ont pourtant un environnement historique et culturel commun, mais seuls les premiers ont exactement le même patrimoine génétique.

La psychologie évolutionniste est l’application des principes de la biologie aux comportements émotionnels et cognitifs des humains. Elle consiste à tenter de comprendre l’influence de la génétique sur certaines parties de l’esprit humain, sans faire de « réductionnisme ». Le cerveau est un système physique avec des circuits neuronaux intégrés conçus pour générer des comportements appropriés à la survie. Ces circuits neuronaux sont spécialisés pour le traitement des différents problèmes d’adaptation. Le cerveau n’apparaît plus seulement comme une machine à calculer mais comme un organe doté de capacités spécifiques innées. Les êtres humains naissent avec des structures cognitives préexistantes et des capacités spécifiques d’apprentissage qui leur permettent de s’adapter naturellement à la vie sociale.

Le point commun entre toutes ces recherches, c’est l’évolutionnisme darwinien, c’est-à-dire l’idée que l’esprit humain, comme le corps, a été construit par la sélection naturelle à travers un processus d’évolution biologique.

Contrairement aux sciences sociales qui ne voient que diversité et relativité, l’approche évolutionniste met l’accent, moins sur les dissemblances que sur les ressemblances profondes qui existent entre les cultures. Par-delà la diversité des rites et des coutumes, elle met au jour des schémas structurels universels dans les comportements les plus quotidiens : morale, politique, famille, amitié, amour etc. Ainsi les êtres humains se rejoignent-ils dans la certitude de l’existence de normes morales. Ils ressentent de façon évidente, quelle que soit leur culture, qu’il vaut mieux dire la vérité, secourir la veuve et l’orphelin ou rendre ce qu’on nous a prêté. Bref, la théorie de la sélection naturelle appliquée à l’être humain enseigne que notre instinct moral n’est pas une pure construction relative.

Bien entendu, l’interaction entre hérédité et environnement est un facteur explicatif plus complet que la simple génétique. Mais la nouvelle biologie ne suggère pas le tout-biologique ou le tout-génétique. Aucun chercheur sérieux ne défend le stéréotype réductionniste d’un déterminisme génétique à 100%. Personne ne dit que tel gène particulier cause invariablement et inéluctablement tel trait phénotypique particulier. En effet, la génétique a découvert que l’expression d’un gène est modulée par son interaction avec l’environnement.

Il est seulement question de « prédispositions génétiques » et donc de probabilités, de statistiques. « Nombre de maladies mentales dépendent d’une prédisposition génétique – mais une fois encore, elle est d’ordre probable et statistique. Par exemple, l’autisme est certainement héréditaire à 90%, la schizophrénie à 50% – et d’autres comme la dépression majeure, les troubles de l’anxiété, le trouble obsessif-convulsif », écrit Steven Pinker dans un entretien à Philosophie Magazine2. Et il ajoute : « Les gènes ne programment pas nos conduites. Elles proviennent de l’activité du cerveau, lui-même formé par les gènes. Seules les tendances émotionnelles, cognitives peuvent être influencées par les gènes, pas notre conduite ».

La nouvelle biologie suggère donc simplement une vision plus équilibrée de l’interaction entre l’inné et l’acquis dans la structuration du comportement humain. Et il apparaît de plus en plus certain que la variabilité de la culture humaine n’est pas aussi grande que le disent les déconstructionnistes post-modernes et les prophètes du relativisme culturel.

À suivre.


Publié initialement sur 24hGold.

Vidéos de Steven Pinker sur TED : http://www.ted.com/speakers/steven_pinker.html (voir surtout Human Natre and The Blank Slate, vostfr)

« Enseigner, ce n’est ni inscrire sur une table rase ni laisser s’épanouir la bonne nature de l’enfant. C’est plutôt essayer par une technologie particulière de compenser les faiblesses innées de l’esprit humain. L’enfant n’a pas besoin d’aller à l’école pour apprendre à marcher, à parler, à reconnaître les objets ou à se souvenir de la personnalité de ses amis, alors que ces apprentissages sont beaucoup plus difficiles que ceux qui permettent de lire, d’additionner des nombres ou de retenir des dates d’histoire. Il a besoin d’aller à l’école pour apprendre le langage écrit, l’arithmétique et les sciences car ces ensembles de savoirs et de savoir-faire ont été inventés trop récemment pour que l’évolution ait installé au niveau de toute l’espèce la moindre compétence innée dans ces domaines. » (Steven Pinker, Comprendre la nature humaine, Odile Jacob, pp.266-267)

  1. The Blank Slate : The Modern Denial Of Human Nature, 2002. Traduit en français sous le titre Comprendre la Nature humaine, Odile Jacob, 2005.
  2. Philosophie Magazine, n°8, avril 2007.
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