Il faut bien que je parle du phénomène qui agite Paris depuis une semaine, qui déclenche
l'hystérie de la presse et des fans de toute l'Europe, le master de la littérature d'horreur et du fantastique vient faire son Tour dans la capitale française, et ce pour la première fois depuis 40 ans d'existence littéraire ! J'ai nommé Stephen King, bien sûr.Pour tout vous dire, j'ai eu la formidable opportunité d'être invitée au Grand Rex pour la conférence qui lui a été consacrée, en ma qualité de libraire bien entendu. J'ai donc eu droit après le boulot - moi et 40 autres personnes - à un petit cocktail privé avec l'auteur, arrosé de vin et de petits fours frais, pendant lequel j'ai eu l'occasion de faire ma groupie. Sauf que je ne suis pas une groupie. Déjà je ne suis plus groupie de rien depuis que j'ai dépassé l'adolescence (quand je vois un auteur/acteur/chanteur connu dans la rue j'ai tendance à faire comme si j'avais une crotte de chien collé aux basques lorsqu'il passe à côté de moi, histoire d'éviter tout eye contact, et je déteste faire me faire dédicacer un livre, je préfère l'offrir), mais surtout je ne suis pas la plus grande fan de Stephen King. je n'en ai lu que trois. Le quatrième est à peine en cours de lecture, il s'agit du fameux Docteur Sleep paru au début du mois et qui prolonge l'histoire du fameux et génial Shining.
Je garde un souvenir très net de mon frère lisant Stephen King pendant son adolescence. C'est un fait qui m'a marqué, et je ne sais pas pourquoi j'ai attendu si longtemps avant de lire mon premier Stephen King, La ligne verte, quand j'étais en DUT, à 19 ans.Peut-être si, comme certains de mes confrères libraires, j'avais lu Carrie à l'âge de 9 ans, ou Ça à l'âge de 14 ans, peut-être aurais-je pu lui dire comme certains l'ont fait samedi soir dernier, "vous m'avez foutu la trouille de ma vie pendant mon adolescence" ou bien "à cause de vous j'ai peur des clowns".Mais je n'ai pas pu. Déjà parce que La ligne verte ne m'a pas foutu une trouille bleue, il fait partie de ses romans non-horrifiques, bien que certaines situations soient assez horribles - on ne peut pas dire que le couloir de la mort ne fasse pas peur du tout, mais c'est plutôt un roman qui m'a troublé et fait chialer comme une madeleine (...Mister Jingle!), et que j'ai adoré pour son mélange de réalisme (les prisons américaines dans les années 30) et de fantastique (le pouvoir de John Caffey).Puis en début d'année j'ai finit par lire le 22/11/63, l'ouvrage de Stephen King qui parle de l'assassinat de Kennedy. Dedans, son héros se sert d'une brèche dans le temps pour retourner en 1958 et prévoit d'empêcher l'assassinat du président pour changer à jamais la face des Etats-Unis. Seul le côté voyage dans le temps impose le roman dans la veine fantastique, mais c'est aussi un prétexte pour nous raconter la vie quotidienne aux Etats-Unis à la fin des années 50 et décrypter toute une époque.Puis, j'ai entendu parler de Docteur Sleep, et je me suis dit qu'il était temps de rattraper le temps perdu, alors pendant mes vacances dernières je me suis plongée dans Shining, dans la folie de Jack Torrence et la magie du petit Danny.Autant vous dire que j'ai adoré ma lecture, mais que je n'ai ressenti la peur. j'ai eu peur d'avoir peur, la nuance est là, mais finalement, moi qui suis terrorisée par les films d'horreur et qui garde un souvenir angoissant du film de Kucbrick vu épisodiquement quand j'étais petite, je n'ai pas été effrayée plus que ça par le roman. J'ai ressenti un brin d'angoisse à certains moments (lorsque les buissons taillés l'attaque ou lorsque Jack, enragé, poursuit sa femme) mais je n'ai pas eu cette peur qui semble avoir marqué plusieurs générations de lecteurs. Ce qui m'a le plus marqué c'est ce scénario de dingue imaginé par Stephen King, cette folie qui s'empare du personnage au fur et à mesure du roman, et cette famille qui sombre dans l'horreur en quelques semaines à peine.Bien-sûr, Shining a été évoqué durant la conférence au Rex. Pendant cette conférence, j'ai été sous le charme de cet auteur, simple, souriant, plein d'esprit et d'humour, d'une grande modestie, et je me suis dit que j'avais raté quelque chose en attendant autant, même si je ne regrette pas de me plonger aujourd'hui dans ses romans. (Je préfère ne parler que de lui et pas franchement des questions posées par Augustin Trapenard - ou plutôt Traquenard - totalement à côté de la plaquependant toute la soirée, ni de l'intervention en règle générale nullissime des gens du public - dédicace au thésard puant de Stephen King qui s'est fait son auto-promo pendant la soirée avec un culot effroyable)Je me sentais néanmoins moins légitime sur notre balcon VIP que ces centaines de personnes qui avaient acheté leurs billets dès le premier jour et qui suaient de peur et d'excitation sur les micros que leur passaient les hôtesses du Rex pour qu'ils puissent poser leurs questions de fan incontestés. Moins légitime aussi que mes confrères libraires qui me disaient "je le lis depuis mes douze ans". Mais j'étais très heureuse de pouvoir participer à cet événement, et surtout très heureuse de pouvoir l'entendre parler, cet homme très charismatique, ce showman, ce conteur né.De plus, même si je dois dire que j'ai adoré ses romans, je dois bien admettre que c'est un fabuleux conteur d'histoire mais que son style n'est pas le plus inoubliable du monde. Mais qu'importe, ce qu'on lui demande c'est des histoires, du frisson, de l'horreur, du fantastique, de l'émotion, et même si toute son oeuvre ne semble pas être égale, on ne peut pas lui nier un talent indéniable, et il est enfin heureux que la France lui ait accordé une place aussi grande au Rex samedi soir, après ces 40 années d'enchantement littéraire.Mais tout le monde ne semble pas penser de la même façon, car même si la France semble avoir anoblit celui qu'elle considérait comme un auteur de romans de gare depuis la sortie de 22/11/63, même si elle lui a accordé une importante place dans l'actualité de la semaine dernière et a fait les choux gras de sa venue en France, il reste un auteur sous-estimé et méprisé par certains.Dimanche matin, je travaillais dans ma librairie actuelle, et il se trouve qu'une cliente régulière du magasin s'est permis d'aller voir mes collègues en caisse pour se plaindre de notre vitrine consacrée à l'auteur. Il semble que ma librairie actuelle (qui possède de nombreuses vitrines, il n'y avait donc pas que Stephen King d'exposé) a habitué les clients à une autre envergure littéraire, et que cette vitrine écorne l'image de la boutique et horripile la clientèle qui en a par-dessus la tête du battage qu'on fait autour de ce "Stephen King". Il ne mérite pas, donc, qu'on lui consacre une vitrine, et il serait de meilleur ton d'améliorer notre sélection.Je n'étais pas là lors de cette plainte, et c'était peut-être mieux ainsi, parce que c'est le genre de discours élitiste et coincé du derrière qui me tape sur les nerfs et me fait exploser. C'est un discours honteux, méprisable et déplacé. Qui sont ces gens pour estimer ce qui est légitime comme littérature, qui sont ces gens pour juger ? Je vous ai déjà fait part de mon ouverture pour la littérature grand public, et un auteur grand public ne veut pas forcément dire un mauvais auteur. Un auteur qui fait rêver autant de monde en 40 ans, comme l'a fait Stephen King, qui a déclenché des vocations d'écrivains comme Maxime Chattam, et qui fait lire des millions de lecteurs ne devrait pas être décrié ainsi. Je sais que nous-même parfois, en tant que professionnels, sommes assez sévères avec certains auteurs, je pense à Marc Levy ou Guillaume Musso qui s'en prennent plein la poire chaque année. Il n'empêche que nous offrons la possibilité à nos lecteurs de venir les chercher chez nous, nous les mettons en avant sur notre table car nous savons qu'ils possèdent un lectorat fidèle, qu'ils font lire des gens, et qu'un romancier qui insuffle l'envie de lecture à quelqu'un n'est jamais bon à jeter. Bien-sûr il faut s'adapter à la clientèle de son quartier, mais je suis contre cet élitisme environnant qui gangrène les intellectuels parisiens, et au vu des ventes actuelles de nos livres de Stephen King, je pense qu'une majorité de mes clients approuve mes propos.Rendons-donc hommage à Stephen King, un conteur, un amuseur, à qui l'on doit tout de même une oeuvre conséquente qui laissera toujours une empreinte indélébile dans le monde de la littérature.