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La vie sexuelle des super-héros - Marco Mancassola

Par Anaïs
La vie sexuelle des super-héros - Marco MancassolaAuteur :Marco Mancassola.
Langue originale : Italien. Traduction : Vincent Raynaud.Éditeur : Folio.Date de parution : 2012.Pages : 594.Prix : 8,60 €.La vie sexuelle des super-héros - Marco Mancassola
Ce qu'en dit l'éditeur 
À New York, au début du vingt et unième siècle, les super-héros sont fatigués : Superman, Batman et les autres ont raccroché les gants. Ils sont devenus des hommes et des femmes d'affaires à succès, des vedettes des médias et du spectacle. Dès lors, qui peut bien vouloir les éliminer ? Car après Robin, l'ancien amant de Batman, Mister Fantastic et Mystique reçoivent des lettres de menace et semblent visés dans leur vie sexuelle. Le détective Dennis De Villa mène l'enquête, tandis que son frère Bruce, journaliste, couvre les événements...

Roman jubilatoire mettant en scène nos fantasmes les plus fous, La vie sexuelle des super-héros est aussi le récit de la fin d'une civilisation, incarnée pendant des décennies par les Etats-Unis. Un monde qui est aussi le nôtre.


"Don't judge a book by its cover". 

Vous connaissez tous cet adage. 

Pour d'obscures raisons, il semble toutefois que Folio et Marco Mancassola aient choisi d'opérer une piqûre de rappel avec La vie sexuelle des super-héros. Derrière ce titre polisson et cette couverture espiègle, point en effet de lecture frivole et allègre mais, bien au contraire, un douloureux reflet. Celui de notre société.Le New York contemporain que nous présente l'auteur cristallise en fait le désenchantement du monde théorisé par Max Weber. Les super-héros, qui ont renoncé à leur mission bienfaitrice et se sont recyclés dans diverses branches, sont désormais les cibles de troublantes menaces. L'inconscient collectif, privé de modèles – symboles ? – perd quant à lui peu à peu ses repères. À travers le renoncement de ces figures démythifiées s'ébauche donc une société livrée à elle-même, une jeunesse désillusionnée et un monde dystopique en pleine mutation.La vie sexuelle des super-héros se découpe plus précisément en cinq parties, chacune centrée sur un justicier (Mister Fantastic, Batman, Mystique et Superman) à l'exception de la troisième qui concerne, elle, le journaliste Bruce De Villa et sa famille. L'auteur regroupe ainsi les héros les plus célèbres de Marvel et de DC – aka les deux univers les plus notoires en matière de comics – choix on ne peut plus ingénieux à mon sens puisqu'il lui permet d'attirer la curiosité des lecteurs tant néophytes qu'aguerris. Ces derniers pourront toutefois être désappointés tant Mancassola prend de libertés et se réapproprie le caractère de ces personnages. J'ai pour ma part été profondément touchée par le Mister Fantastic dépeint ici, à savoir profondément seul, assujetti à l'amour et vieillissant ainsi que par Mystique qui exploite désormais ses pouvoirs au sein d'une émission qui rappelle à maints égards celle que supervise Tina Fey dans 30 Rock. Si les chapitres consacrés à Batman et Superman ne m'ont, eux, pas bouleversée, j'ai en revanche grandement apprécié les partis pris de l'auteur qui font du premier un maniaco-narcissique et du second un sage ancestral, patriarche d'une école de super-héros.Pétri de bonnes idées donc, La vie sexuelle des super-héros évoque également, comme son titre le suggère, les sentiments et la sexualité de chacun des super-héros, tous deux étant intimement liés à leur compétence respective. Ainsi, Mister Fantastic que l'on surnomme plus communément l'homme caoutchouc, se plie littéralement en quatre pour l'objet de son désir et se laisse plus largement modeler par l'Amour. Mystique, elle, opère des dédoublements masturbatoires. Au gré des pages, l'auteur questionne donc le corps, qu'il soit élastique, métamorphe ou encore surpuissant mais aussi les fantasmes et les frustrations des ex-justiciers.Pour ce faire, il use d'une plume sensorielle et imagée – je salue au passage le travail formidable de Vincent Raynaud, le traducteur – qui rend compte de l'intimité des super-héros jadis adulés avec une extrême suavité. L'écriture est par ailleurs éminemment soignée : j'ai par exemple été transportée par les passages qui lient réalité et rêve et dont les transitions sont à chaque fois imperceptibles. Enfin, je me suis délectée du clin d'œil narratif de l'auteur qui a – du moins j'imagine  étiré la partie consacrée à Mister Fantastic afin que le récit soit à son image : élastique.

À cette qualité stylistique répond une finesse réflexive tout bonnement époustouflante. Ce roman-essai revisite en effet ces mythes vivants afin de mieux retranscrire les désillusions d'un monde et surtout d'une nouvelle génération en crise, incarnée ici par la famille de Bruce De Villa qui peine à joindre les deux bouts. La désacralisation des super-héros intervient également pour traduire la profonde agonie d'une société post 11 septembre dénuée de bienfaiteur et d'espoir. L'imprécation qui clôture le récit est d'ailleurs, à cet égard, significative  "Ne tombe pas" s'écrit un personnage en fixant la Terre du haut de son vaisseau spatial – et reflète notre avenir incertain.
Seul petit-mini-squizzy bémol : l'enquête qui parcourt La vie sexuelle des super-héros. L'action se situe en effet à New York où, d'avril 2005 à juin 2006, nos quatre super-héros reçoivent des lettres anonymes similaires à celles envoyées à Robin avant que celui-ci ne soit retrouvé mort. Or l'intrigue – plus psychologique qu'haletante au passage s'avère quelque peu prévisible ce qui, en soi, ne m'a pas dérangée puisque le "pourquoi" m'intéressait plus que le "qui" mais malheureusement, ici elle ne répond en outre pas à toutes les questions – j'ai quelques idées qui auraient ainsi mérité confirmation. Dernier hic, purement subjectif cette fois, le formidable personnage de Nathan Quirst qui est, à mon grand dam, relégué au second plan et que j'aurais voulu davantage appréhender.

En résumé,une chronique satirique et uchronique d'une génération désenchantée, emprunte de mélancolie, sublimée par une plume virtuose qui consacre, à travers les figures policées de Mister Fantastic, Batman, Mystique et Superman – désormais à la retraite la fin d'une paisible insouciance. 


Le petit plus La vie sexuelle des super-héros apporte un regard inédit sur New York, loin des frivolités habituelles et des lieux communs. Au gré des pages, Marco Mancassola transmet l'envie de s'y rendre même aux plus réfractaires – dont je fais partie puisque cette ville m'a toujours profondément rebutée – sans doute car contrairement à la majorité des auteurs, ses descriptions sont synesthétiques (couleur, odeur, atmosphère) avant d'être rationnelles (nom de rue, bâtiments etc).N'hésitez pas si :
  • vous désirez partager l'intimité des super-héros (le moins que l'on puisse dire c'est que l'immersion est totale !) ;
  • le portrait d'un monde désabusé/en crise vous intrigue ; 
  • vous appréciez les plumes sensorielles (le style de Marco Mancassola est remarquable) ;
Fuyez si :
  • vous recherchez une lecture légère (l'auteur brosse une critique sévère – et donc pas très golri  de  la superficialité, du culte de la jeunesse et de la peopolisation) ;
  • vous aimez les polars haletants et imprévisibles ; 
  • les scènes érotiques vous dérangent ;
***Le conseil (in)utile De prime abord, vous pourriez être tenté d'offrir ce livre à un amoureux des comics. Assurez-vous toutefois, avant toute chose, que vous n'avez pas affaire à un puriste. En effet, Marco Mancassola s'approprient totalement les super-héros et n'est, en conséquence, pas toujours fidèle à leur caractère originel, encore moins à l'esprit des BDs ce qui peut, je pense, agacer certains fans. Personnellement, je ne le recommande qu'à ceux dont le degré de tolérance est suffisamment élevé pour supporter l'idée que leurs personnages fétiches soient revisités ou du moins quelque peu écornés.En savoir plus sur l'auteurS'il dépeint en détails le quotidien des super-héros dans son dernier roman, Marco Mancassola est en revanche très discret quand il s'agit de parler de lui. Sur son blog, il fait uniquement part de ses origines sociales (fils d'ouvrier) et de son parcours il est vrai plutôt atypique : dès l'âge de 16 ans, il travaille en effet dans des usines et des boutiques avant de se consacrer aux voyages (en Europe principalement) et à l'écriture. Son premier roman, Il mondo senza di me est publié en 2001. En 2007, il décide de se diversifier et écrit le scénario du film All'more assente d'Andrea Adriatico. La trilogie Les limbes et Il ventisettesimo ano comptent parmi ses ouvrages les plus notables (sources : wikipedia.org et marcomancassola.com).Ce livre s'inscrit dans deux de mes challenges : les 170 idées et le tour du monde.

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