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Exclusif : réponse d'un membre du Parti Socialiste sur la fin du cinéma indépendant

Publié le 30 mars 2013 par Copeau @Contrepoints

Cette semaine, Contrepoints a publié un article affirmant la fin du cinéma indépendant. Celui-ci a connu un important retentissement dans le monde du cinéma français. Un membre de la Commission Nationale aux médias du Parti Socialiste a tenu à réagir. Nous vous livrons ici sa réponse.

Par Benoît Ameil, Membre de la commission médias du PS.
À suivre également dans Contrepoints en début de semaine prochaine, des révélations exclusives (et explosives !) d'un des leaders de la contestation.

Parce que j'ai lu l'article de Pascal Avot ; parce ce que j'ai trouvé son analyse parcellaire ; parce qu'il se place du côté de ceux qui pense qu'une convention collective peut tuer la création ; parce qu'il prend un parti pris supra-romantique : « faisons du cinéma par amour sans considération financière » ; parce les techniciens ne choisissent pas forcément les films sur lesquelles ils travaillent et que par conséquent baisser son salaire n'est pas nécessairement un choix ; parce les jeunes techniciens entrant sur le marché du travail ne sont pas les seuls concernés par la remise en cause de leur salaire ; parce qu'il ignore dans son article les disjonctions internes de l'industrie du cinéma ; parce qu'il n'aborde cette convention collective que de manière isolée ; parce qu'il ignore le contexte ; et parce qu'il me semblait nécessaire d'apporter un contrepoint, une analyse complémentaire et plus globale, je reprends ici l'analyse que j'ai partagée, il y a un peu plus d'un mois sur Rue89.

Les récompenses, la forte fréquentation des salles ces dernières années, le succès en salles à l’étranger en 2012... : ces bons indicateurs pour le cinéma français sont pourtant fragiles. Il en est ainsi pour les résultats hors des frontières en 2012, 65% des entrées se sont faites sur trois films seulement ! Surtout, en période de crise, il ne faut pas s’étonner du succès du cinéma en France ces dernières années : c’est l’un des loisirs les moins chers.

Symptômes du problème, les cachets

Vincent Maraval abordait la question du salaire des acteurs dans une tribune à la fin de l'année. Le problème a pourtant été évacué trop facilement lors des assises du cinéma organisées par le président du CNC, ancien conseiller culture de Nicolas Sarkozy. Pourtant les cachets des acteurs de premier plan engendrent régulièrement des disjonctions entre les différents postes dans les budgets des films.

Cela a des conséquences, d’abord, sur les budgets dédiés aux scénarios. Même si la situation a évolué, ils sont sous-financés alors que l’écriture est le secteur recherche et développement de l’industrie cinématographique. Curieuse industrie que celle qui néglige les investissements dans ce qui peut faire son originalité, sa force et, à terme, sa richesse...

Mais ces problèmes de sous-financement touchent aussi les embauches, celles des ouvriers et des techniciens. Il est courant de leur demander une ristourne sur salaire « car il n’y a pas d’argent », alors que les premiers rôles ont des cachets bien fournis.

Les entreprises techniques du secteur sont fragilisées. C’est ce qu’a essayé d’aborder Thierry de Segonzac, président de TSF, l’un des plus important loueurs de matériel caméra et lumières en France, lors des Assises du cinéma :
 « Quand on vient nous voir, on nous dit qu’il n’y a plus de budget à cause des acteurs. »
 Las, le problème a été balayé.

La chute du français Technovision en pleine transition numérique

En 2005, j’étais stagiaire chez Technovision, l’un des loueurs de caméras les plus réputés de France. L’équipe caméra du film Incontrôlable opérait les essais préparatoires en amont du tournage. La production était assurée par Pathé – cent ans d’expérience de cinéma – pour un budget de 13,5 millions d’euros, dont 50% étaient destinés à la distribution.

Mais le film est tourné en studio – donc plus cher – et, de fait, pour accorder à l’équipe technique le matériel nécessaire, le loueur a dû consentir une réduction commerciale. Le délégué syndical m’expliquait alors que ces situations étaient courantes.
 Ironie du sort, à l’époque, le loueur devait opérer le passage aux caméras numériques et avait besoin de fonds pour effectuer la transition. Les banques se refusant à tout prêt et les fonds propres de l’entreprise ne permettant pas de soutenir la migration, l’entreprise a été vendue au concurrent direct, la filiale française de l’américain Panavision.

Technovision était pourtant une entreprise de référence de cette industrie. À l’heure où l’on parle de réindustrialisation et de combler le déficit commercial français, le sort de cette entreprise a de quoi faire réfléchir.

La question des fonds publics

Autre sujet à aborder de front, la question des fonds publics et celle de l’efficacité du système du soutien opéré par le CNC. On le présente généralement comme vertueux, car redistributif. C’est vrai. Mais il ne devrait pas échapper à l’évaluation des politiques publiques : est-il si efficace ?

Les aides au cinéma ne sont pas prélevées sur le budget de l’État. Elles sont le fruit d’une taxe affectée : 10,72% des recettes issues des salles de cinéma de tous les films français et étrangers sont reversés au CNC, via un compte à la Banque de France, séparé de celui de l’État.
 Les montants correspondant aux films étrangers sont utilisés par le CNC pour les différents fonds de soutien sélectif.
 Quand il s’agit de films français, le CNC redistribue le produit de la taxe issue de chaque film aux producteurs, via ce qu’on appelle le compte de soutien automatique, qui est mis à leur disposition pour de prochains films, selon différents critères.
 Ce système permet de prélever 10,72% des recettes de la culture dominante et de les mettre à disposition de la création française ; il permet aussi une redistribution au sein du cinéma français.

Mais le cinéma français n’assume pas le fait qu’il s’agit de fonds publics. Du coup, il n’y a ni évaluation ni transparence du système, ce qui entraîne des dérives régulières.

 Le film Le code a changé (2009), par exemple, a été produit avec 13 millions d’euros de budget, dont 7 millions étaient consacrés aux cachets des acteurs, soit 55% du budget. L’apport du compte de soutien est ici nécessairement inférieur aux coûts d’interprétation.

De fait, ce film, comme d’autres, aurait pu être produit sans le soutien du CNC, à condition de réduire le cachet des acteurs et de leur allouer un pourcentage des recettes brutes, comme c’est le cas pour les droits musicaux.
 Par conséquent, sur ces films-là, ce système de soutien comme les aides régionales qui s’y ajoutent, ne servent qu’à payer plus cher les acteurs.

Éric Garandeau, président du CNC, explique que dans le financement des films, le soutien automatique représente 5% environ des budgets, et que les cachets des comédiens s’établissent à 7,6%. Pour lui, cet apport est donc négligeable, et il n’est pas nécessaire de s’alarmer.

Est-ce pour autant le rôle d’une politique culturelle publique de permettre l’augmentation du montant des cachets des comédiens ? 
C’est une évaluation des politiques publiques qu’il serait nécessaire de mener. Il faudrait ainsi comparer sur plusieurs années, et film par film :
 le montant des aides accordées au titre du soutien du CNC ; le montant des principaux coûts d’interprétation.
 Il est difficile d’avoir un accès public à toutes les données : les cachets des acteurs, bien que connus du CNC, sont pour la majorité confidentiels ; les données des montants versés aux producteurs au titre du compte de soutien ne sont pas non plus rendus publics.

Une refonte du système de soutien au cinéma

Ce n’est pas normal. Seule la transparence peut permettre d’évaluer les politiques publiques et donc de pérenniser le système, en s’assurant de son efficacité.
 Nous devons établir un système d’aide qui ne puisse pas être happé par les hauts salaires. Il ne faut plus qu’un film puisse recevoir de soutien du CNC (sélectif ou automatique) si la somme totale des hauts salaires est supérieure à celui-ci.
 Cela permettrait de réallouer ces subventions à d’autres films en ayant plus besoin. 
À moins que les producteurs choisissent de baisser les salaires des célébrités auquel cas les budgets des films diminueraient et ce sont les fonds privés qui seraient réaffectés. Dans les deux cas, cela permettrait de mieux financer les techniciens, les industries techniques et les investissements dans les travaux d’écriture. Soutenir uniquement les producteurs qui ont la charge des coûts d’écriture, en échange d’une obligation d’investissement dans ce domaine, est le seul moyen de développer l’originalité et la créativité du cinéma français.
 Malgré l’exception culturelle et les perles qu’elle a permis de révéler, il souffre des mêmes maux que les autres industries françaises : il doit monter en gamme.

Paupérisation et perte de savoir-faire

C’est par de meilleurs scénarios que nous améliorerons la qualité des films. Mais c’est aussi par ce biais que l’on pourra, naturellement, diminuer les cachets des acteurs. Car ils accepteront plus facilement des salaires réduits pour des films de meilleure qualité.

 Enfin, avec un scénario plus abouti, plus créatif et apportant une réelle valeur ajoutée par rapport aux autres productions, il sera plus facile de trouver des financements, tout en en respectant une convention collective. On pourrait à ce titre réformer les obligations des chaînes de télévision sur leur investissement dans le cinéma. Actuellement un faible nombre de films ont des budgets particulièrement élevés – notamment à cause des cachets – alors que la moitié des films ont des budgets inférieurs à 3 millions d’euros, ce qui pousse à la paupérisation des équipes techniques. C’est la perte d’un savoir-faire qui se joue là.

Pour une telle redéfinition de notre écosystème, il n’est pas besoin d’augmenter les dépenses publiques : il faut procéder à une évaluation des politiques publiques, définir une priorité et cibler les investissements stratégiques.

Une politique publique, c'est un but, des moyens – ceux du CNC sont assurés par une surtaxe, et une évaluation. Cela passe par une volonté politique forte, par un « Moi, ministre de la Culture, j'assume mon rôle... ». L’enjeu est de taille : dans une économie mondialisée, le cinéma fait partie des domaines industriels stratégiques.

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