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Salopard

Publié le 28 mars 2013 par Rolandlabregere

« Je parle cru et dru. Je ne tourne pas deux heures autour du pot… j'appelle un chat un chat et parce qu'un de mes camarades appelle un salopard un salopard», a lancé Jean-Luc Mélenchon, au cours du meeting qui a clos le congrès du Parti de Gauche à Bordeaux dimanche 24 mars. Il revendique de parler « cru et dru » et reprend en fait au cours de ce meeting les termes d’une charge lancée par François Delapierre, son lieutenant, qui avait stigmatisé la veille « les 17 salopards » qui préconisent la taxation des épargnants chypriotes. Ces « 17 salopards » font référence aux 17 ministres de la zone euro. Le mot salopard, inattendu et perçu avec une charge violente, a déconcerté les milieux politiques et médiatiques. Une polémique s’en est suivie.

Les deux orateurs ressuscitent là une forme verbale que l’on ne rencontre plus guère. La plupart des termes qui portent le suffixe « ard » désignent des personnes dont les attributs ou les qualités sont présentées soient avec une connotation familière soit avec une connotation péjorative. Les noms ainsi formés expriment davantage des défauts, des comportements négatifs que des qualités. Dans le domaine politique, hormis dreyfusard, les termes en « ard » portent majoritairement des connotations non valorisantes (combinard, politicard, cumulard, patriotard…). De tels mots comme modalité de désignation d’un tiers sont chargés en puissance de dénigrement car leur emploi demeure rare ce qui en rend les usages d’autant plus percutants. On se souvient que la presse, au moment de l’affaire du Sofitel de New-York, avait mis en avant le partouzard Strauss-Kahn. Ces mots sonnent à charge et visent la disqualification.

L’origine germanique du suffixe « ard » explique la vogue des mots dérivés dans l’entre-deux-guerres. L’affaire Stavisky, scandale politico-économique des années 1930, ébranla la République. Pour l’extrême-droite activiste, les politiques au pouvoir devenaient des combinards pour beaucoup accusés de corruption à l’instar des chéquards du temps de l’affaire Panama. Les polémiques nombreuses au cours de cette période mettaient en œuvre une langue outrancière, virulente et souvent imagée. Il n’est pas étonnant qu’un terme en « ard » revienne par un effet boomerang dans un environnement différent, la crise de Chypre, lue au prisme de  la finance internationale. La puissance économique de l’Allemagne est dans la ligne de mire du leader de la gauche non socialiste. Les salopards d’aujourd’hui sont-ils les descendants de ceux des années 1930 ? L’usage du mot salopard est à considérer à l’aune des pratiques de communication plus feutrées et plus académiques que celles en vigueur il y a presque un siècle. L’offense, l’insulte ou l’injure sont de l’ordre de l’exception et sont en tout cas fortement commentées quand elles se rencontrent. Sortir de cette règle tacite et partagée expose à des réactions virulentes. En réalité, Jean-Luc Mélenchon et François Delapierre ne font que renouer avec la tradition portée par le PCF dès les années d’après-guerre. Les sentiments anti allemands s’expriment au moment de l’émergence du projet de la CED (Communauté européenne de défense) qui prévoyait la mise en place d’une armée européenne intégrant des soldats allemands. La crainte d’un réarmement outre-Rhin met en avant la montée des revanchards, thématique présente dans l’iconographie et la rhétorique communistes des années 1950. La République fédérale est dite revancharde à l’opposé de la République démocratique qui combat l’impérialisme.

Comme tous les mots à forte puissance évocatrice, salopard est à entendre dans le contexte de son émergence, celui de l’actualité liée au sort de Chypre, en débat pendant le congrès du Parti de Gauche. Il est immédiatement associé aux basses œuvres auxquelles peuvent se laisser aller des personnages louches. Le mot a acquis une visibilité culturelle par le succès du film, Les douze salopards, réalisé par Robert Aldrich (1967) qui montre la préparation d’une opération commando pour accomplir une mission en territoire ennemi à la veille du débarquement allié de 1944. L’œuvre, cataloguée comme film d’auteur, insiste sur la solidarité des hommes désignés pour cette mission.

Dans les situations de tension, de chaos annoncé les mots deviennent cris. La détresse produite par l’évolution du capitalisme financier soumet les peuples à des processus de violence. Les mots sont ce qui reste quand le naufrage est en vue. Le Parti de Gauche entend s’appuyer sur une tradition qui veut porter une culture militante faite de rites et de discours qui visent l’efficacité. Il y a du rouge dans ce parler « cru et dru » qui rejette les bobards et laisse aux salonnards les poncifs sorbonnards.


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