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La libre réponse de Bernard Sesboüé à Frédéric Lenoir

Par Contrelitterature

Christ, Seigneur et Fils de Dieu

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   Nous traversons une époque où la recherche du « religieux » s’amplifie vers un compromis « convenable », c’est-à-dire la recherche d’un Dieu fait à l’image de l’homme, en accord avec ses désirs en apparence « naturels », conformes à la morale sociale du moment. Donc, un Dieu différent du Dieu biblique. Cette recherche s’adapte très bien à ce qui est prévu pour le siècle qui vient, au syncrétisme des religions et spiritualités, évitant toujours le vrai problème, c'est-à-dire le vrai Dieu.

   La place de la divinité est limitée à l’idée abstraite d’une puissance supérieure dont la Nature (le Cosmos) serait l’unique émanation et manifestation. Dans ce cas, l’incarnation de Dieu n’est plus justifiée et risque de devenir une simple mythologie. Lorsqu’il se trouve réduit au même dénominateur commun que les doctrines panthéistes, le christianisme a toutes les chances de quitter le domaine qui lui est réservé et de perdre l’essentiel, son pouvoir « opératif » salvateur.

   Dans ce contexte, les dogmes et normes de la Tradition chrétienne sont, bien entendu, mis en question. Les forces antichrétiennes confondaient naguère christianisme et clergé, sous la forme d’un anticléricalisme archaïque. Elles confondent aujourd’hui « histoire de la foi » et « histoire », considérant toujours la foi chrétienne comme un obscurantisme en retard par rapport au progrès du monde. Que dire alors de la place du Dieu « biblique » dans tout cela, et surtout de celle du Christ ? Ce que l’on n’accepte pas, c’est la double ontologie propre aux religions bibliques, celle du Dieu créateur et de l’être créé. Et encore moins l’incarnation de ce Dieu créateur.

   Recréant des visions déformantes, même sans les emprunter aux anciens gnosticismes, divers auteurs ayant des titres de « spécialistes des religions » s’appliquent à semer le doute sur le mystère et la véritable identité du Christ. Pour ne pas trop heurter les esprits, ils lui accordent néanmoins une place de choix, le considérant un homme exceptionnel, capable même d’accéder à une certaine divinisation, un des prototypes de l’homme nouveau, de l’homme du futur.

   Beaucoup d’esprits de bonne foi, mais insuffisamment instruits, déstabilisés dans leur connaissance du « phénomène » chrétien, peuvent voir dans l’idée d’une religiosité syncrétiste aussi bien l’union entre civilisations et races différentes (sujet bien à la mode aujourd’hui), mais aussi une disparition des obstacles posés entre l’homme et Dieu. Un genre de retour vers un hypothétique christianisme primitif. Cependant, pour peu que l’on examine la situation en ce début du siècle, les contraintes chrétiennes dogmatiques et rituelles lui font obstacle. Les innovations pour les contourner s’installent dans l’ignorance du sens précis des dites contraintes. Le résultat ne se laisse pas attendre, le christianisme occidental est déjà en train de devenir un spiritualisme panthéiste. C’est une chose très grave, car il en va de la perte des vérités de base de la foi et de la doctrine.

   Depuis la fin du siècle qui vient de finir, on s’applique déjà à la révision des textes fondamentaux de la religion chrétienne. Les écrits du Nouveau Testament sont soumis aux jugements issus uniquement des données historiques, et extérieures à la « foi ». Le critère de la vérité est la prétendue objectivité rationnelle qui évite toute vision dépendante d’une confession de foi. « L’historicité » remplace l’histoire de la foi, qui est la seule à tenir compte de la Révélation. Chercher des réponses aux grandes interrogations spirituelles et existentielles ailleurs que dans la « science chrétienne », celle qui demeure unie à la sainteté et reçoit ainsi la part objective de la révélation divine, c’est faire fausse route. L’homme ne possède pas dans sa nature le nécessaire pour comprendre sa relation avec Dieu. Elle ne peut être que révélée. Qualifiées comme des réalités de la foi, l’incarnation, la passion, la résurrection – qui entraîne à son tour celle des hommes — sont cependant les uniques réalités « nouvelles » dans lesquelles l’homme peut se trouver véritablement engagé.

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Bernard Sesboüé

Libre réponse à Frédéric Lenoir

Éditions Lethielleux, 2010

   C’est dans ce contexte que s’inscrit la « libre réponse » de Bernard Sesboüé à l’auteur du livre Comment Jésus est devenu Dieu de Frédéric Lenoir. Il donne cette réponse d’abord en tant qu’historien, mais aussi et surtout en tant que croyant. Cela ne simplifie pas « le dialogue », car les axiomes et les vérités de la foi, l’histoire de la foi, ne trouvent pas de place dans l’esprit de Frédéric Lenoir. Sinon (et pour ne parler que du titre du livre), il n’aurait jamais pu dire : « comment Jésus est devenu Dieu », pour la simple raison que Jésus a une double « nature », il n’est pas devenu, mais est né Dieu, c’est-à-dire Dieu-homme.

   En tant qu’historien, l’auteur de Comment Jésus est devenu Dieu affirme que les évangiles laissent planer un doute sur l’identité de « cet homme hors du commun ». Mais ce qu’il ne sait pas ou ne veut pas admettre, n’admettant pas l’histoire da la foi, c’est que retirée du courant de la sainte Tradition, l’Écriture ne saurait être comprise correctement par aucune investigation. Ceux qui rejettent la Tradition de l’Église et qui, croyant aller aux sources de l’Église, vont directement à la sainte Écriture font fausse route. Ce n’est pas la sainte Écriture, mais la sainte Tradition qui est la source de l’Église. C’est un fait bien connu que tous les hérésiarques se sont toujours fondés sur la sainte Écriture…[1]

   Ce ne sont donc ni les convictions de l’auteur de Comment Jésus est devenu Dieu au sujet de l’identité de la personne du Christ, ni ses arguments alignés sur l’historicité des faits qui ont retenu mon attention ici, mais les argumentations de Bernard Sesboüé dans sa brillante « libre réponse ». Elles font de cet ouvrage un véritable bréviaire de christologie et en même temps, un magnifique morceau de catéchèse. C’est moins en historien que Bernard Sesboüé s’impose qu’en homme de foi.

   Comme il le note lui-même, le projet de Frédéric Lenoir est d’éviter autant que possible la confession de foi, croyant (car ceci est aussi un acte de croyance) qu’ainsi la neutralité devient le gage de l’objectivité. Or, le phénomène chrétien, de même que celui de la croyance juive, ne se soumet pas entièrement aux considérations rationnelles et à l’historicité, puisque leur composante essentielle est la révélation divine. Je laisse à Bernard Sesboüé l’acte d’accusation, en le citant : « Pour le chrétien, il ne s’agit pas là d’une présentation plus simple de la foi chrétienne, il s’agit de la négation de son affirmation centrale et de tous les enjeux que celle-ci enveloppe : le mystère trinitaire s’évanouit, l’affirmation prodigieuse et déconcertante que Dieu aime l’homme jusqu’à lui donner son fils disparait, la communion vivante et vitale de l’homme avec Dieu par le don de l’Esprit Saint est sans fondement. »

   Cet acte d’accusation ne tient compte ni exclusivement de l’histoire, ni de la foi, mais d’un autre élément, l’histoire de la foi, que les propos de Frédéric Lenoir évitent consciemment et par définition. L’extraction forcée de l’hyperphénomène christique de cette histoire de la foi et son placement dans l’histoire tout court le dénature. La prétendue objectivité devient dans ce cas une vulgaire déformation.

   Selon Bernard Sesboöé, le titre de son livre (Christ, Seigneut et Fils de Dieu), bien différent de « celui de son partenaire » (Comment Jésus est devenu Dieu), résume ce qui les sépare. Or, ce qui fait la valeur de l’ouvrage de Sesboüé, et qui nous concerne, nous chrétiens au plus haut point, c’est exactement « ce qui les sépare ».

Mircea Milcovitch

[1] Cf. Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, Éditions Présence, 1982, pp. 84-85.


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