Aujourd’hui, débute officiellement la 6e édition d’Agora. Entretien avec Michèle Laruë-Charlus, à la tête de la Direction générale de l’Aménagement chargée de piloter la manifestation.
Quelle est, pour vous, la principale caractéristique d’Agora ?
La biennale de Bordeaux est un événement unique en Europe. Par rapport à d’autres biennales du même type – Venise, Rotterdam ou Orléans – c’est le seul à ne pas être un “salon” mais un événement tourné vers les habitants. Une vraie agora, un lieu de discussions bilatérales, où l’on explique ce que l’on fait et où les gens sont appelés à dire ce qu’ils pensent. Nous avons toujours voulu que les débats d’Agora soient irréprochables dans leurs contenus, abordables dans la façon de les présenter, et on se débrouille toujours pour que tout le monde arrive à comprendre.
Dans les précédentes éditions, Bordeaux n’apparaissait qu’en filigrane dans les programmes. Était-ce un choix ?
C’est la première fois que nous sommes directement amenés à parler de Bordeaux. Le thème choisi l’a toujours été avant tout en fonction d’un intérêt national et international, pas uniquement bordelais. Au contraire, je crois qu’à chaque fois, ce sont les réflexions engagées pendant Agora qui ont fait bouger les choses : la thématique 2010 des métropoles millionnaires a poussé Bordeaux et son agglomération à franchir le cap ; celle de l’environnement choisie par Nicolas Michelin en 2008 nous a conduit à adopter une charte de la construction durable à Bordeaux. Agora nous est devenue indispensable, à la Ville et à la direction de l’Aménagement, en ce qu’elle nous alimente intellectuellement.
L’approche de Marc Barani («Patrimoines : Héritage/Hérésie» – notre édition du 10 septembre) ne risque-t-elle pas de bousculer les Bordelais ?
Les Bordelais vont forcément se sentir interpellés puisque Marc Barani a choisi, je le disais, d’inclure Bordeaux dans son exposition, en nous rappelant que nous avions une ville exemplaire sur ce plan à plus d’un titre. C’est vrai, le commissaire n’aborde pas le patrimoine d’une manière à laquelle on s’attend, et cela devrait s’en ressentir au cours des débats. Mais j’ai tendance à me dire que, si ça bouscule un peu, c’est qu’on ne s’est pas trompés de thème.
La petite biennale des débuts a bien grandi…
En effet, en 2004, il n’y avait quasiment rien par rapport à aujourd’hui. Mais ce qui est impressionnant, c’est que tout le monde a toujours répondu présent. Et d’abord les professionnels, heureux de quitter l’entre-soi pour pouvoir se frotter au grand public, ce qui ne se fait nulle part ailleurs en France. Ainsi, Agora est devenu une grande biennale à rayonnement national et international, a fortiori cette année, où nous accueillons trois Prix Pritzker [équivalent du Nobel en architecture, ndlr] avec Christian de Portzamparc [France, 1994], Rem Koolhaas [Pays-Bas, 2000] et Eduardo Souto de Moura [Portugal, 2011].
C’est aussi un grand succès auprès du public.
Tout à fait. Et c’est même le principal enseignement que je retire de l’évolution de ces biennales : tout le monde s’intéresse à l’urbanisme, car il s’agit de nos conditions de vie. Et plus on élève le niveau, et plus ça intéresse les gens. Je suis convaincue qu’il ne faut pas tirer les gens vers le bas, et qu’il faut maintenir cette exigence de qualité et de rotation des intervenants. Des architectes, des urbanistes, mais pas seulement. Je pense, par exemple, aux cinéastes qui nous font l’honneur de leur regard et de leur présence, comme le grand Alexandre Sokourov, qui vient surtout nous parler de son combat pour défendre le patrimoine de Saint-Pétersbourg. Je crois qu’il est bon que les réflexions des professionnels se confrontent à l’intelligence des gens, quels qu’ils soient. Car l’urbanisme, ce n’est pas l’affaire des seuls spécialistes : l’urbanisme, c’est un humanisme. • Recueilli par Sébastien Le Jeune
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