A la suite de nouvelles décisions du Conseil constitutionnel par lesquelles ce dernier a déclaré contraires à la Constitution et à l'article 7 de la Charte de l'environnement relatif au principe de participation du public des dispositions législatives du code de l'environnement afférentes à la protection des espèces protégées et des points de captage d'eau potable, la Ministre de l'écologie a annoncé la discussion d'un projet de loi dés le mois de septembre. Analyse. (photo AFP)
De nouvelles dispositions législatives du code de l'environnement sont déclarées contraires à l'article 7 de la Charte de l'environnement
Ce 27 juillet 2012, le Conseil constutionnel a rendu deux décisions, faisant suite à des questions prioritaires de constitutionnalité. Elles intéressent toutes deux l'article 7 de la Charte de l'environnement et le principe de participation du public.
Le Conseil constitutionnel était saisi, par plusieurs associations de défense de l'environnement, d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité, à l'article 7 de la Charte de l'environnement, des dispositions du 4° de l'article L.411-2 du code de l'environnement. En résumé ce texte a trait aux conditions dans lesquelles il peut être dérogé au principe d'interdiction de destruction des espèces protégées.
La décision du Conseil constitutionnel précise :
"6. Considérant que les dispositions contestées du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement renvoient à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées des dérogations aux interdictions précédemment mentionnées ; que, s'il est loisible au législateur de définir des modalités de mise en oeuvre du principe de participation qui diffèrent selon qu'elles s'appliquent aux actes réglementaires ou aux autres décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, dès lors, les dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement sont contraires à la Constitution"
Il convient de de bien souligner que le problème n'est pas celui d'une participation plus ou moins suffisante du public mais bien d'une participation inexistante du public : aucune disposition n'assure la mise en oeuvre du principe de participation du public.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel prend soin de préciser que le principe de participation a trait aux décisions ayant une incidence sur l'environnement, qu'elles soient réglementaires ou individuelles.
Aux termes de la décision n°2012-269 QPC du 27 juillet 2012, il apparaît :
- d'une part, que le 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement est contraire à la Constitution.
- d'autre part, que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er septembre 2013 (dans les conditions fixées au considérant 8 de la décision).
Le Conseil constitutionnel était saisi d'une QPC tendant à ce que soient déclarées contraires à l'article 7 de la Charte de l'environnement, les dispositions du 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement, relatives aux conditions de définition des périmètres de protection des captables d'eau potable. De manière tout à fait remarquable, le Conseil constiutionnel n'était pas saisi par une associaiton de défense de l'environnement mais par une organisation professionnelle agricole.
La décision 2012-270 QPC du Conseil constitutionnel précise notamment :
"7. Considérant, d'autre part, que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement doit être déclaré contraire à la Constitution"
Aux termes de cette décision :
- d'une part, le 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement est contraire à la Constitution.
- d'autre part, la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er janvier 2013 (dans les conditions fixées au considérant 9 de la décision).
La portée exacte des décisions du Conseil constitutionnel
A noter : une erreur est parfois commise s'agissant de la portée précise des décisions QPC du Conseil constitutionnel. Le terme de "censure" est parfois employé pour caractériser ces décisions. Or, il est impropre : le Conseil constitutionnel ne censure rien du tout et n'en a d'ailleurs pas la compétence.
Trés exactement, le Conseil constitutionnel peut "déclarer" une disposition législative contraire ou non au bloc de constitutionnalité. C'est donc l'expression "déclaration d'inconstitutionnalité" qui convient. Ainsi, aux termes des décisions QPC par lesquels le Conseil constitutionnel a déclaré plusieurs dispositions législatives du droit de l'environnement, contraires à l'article 7 de la Charte de l'environnement qui est "adossée" à la Constititutionnel. Cet article 7 est bien entendu relatif au droit à l'information et à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement.
A la suite des déclarations d'inconstitutionnalité prononcées par le Conseil constitutionnel, il appartient au législateur d'exercer pleinement sa compétence en adoptant les dispositions qui se substitueront à celles qui ont été déclarées contraires à la Constitution. Le mérite premier des décisions QPC du Conseil constitutionnel est d'appeler le législateur a exercer pleinement sa compétence en ne se bornant pas à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin d'adopter des dispositions qui relèvent en réalité de son propre exercice.
En définitive, la Charte de l'environnement, au moyen, tant des arrêts du Conseil d'Etat que des décisions du Conseil constitutionnel a pour effet premier de protéger la compétence du législateur. Le temps où le Conseil constitutionnel était qualifié de "chien de garde" de l'exécutif est donc définitivement loin.
La réaction du Ministère de l'écologie
Dés la publication des décisions QPC 2012-269 et 2012-270 du Conseil constitutionnel, la Ministre de l'écologie a publié le communiqué de presse suivant :
"Saisi de plusieurs Questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions du code de l’environnement (livres II et IV) qu’il a jugées non conformes à l’obligation de participation du public, telle qu’elle est prévue à l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Ces décisions ne sont pas une surprise puisqu’elles prolongent deux précédentes décisions allant dans le même sens et censurant des dispositions du livre V.
Le Conseil constitutionnel conforte ainsi le droit à l’information et surtout à la participation du public dans le processus d’élaboration de toutes les décisions, réglementaires et individuelles, ayant un impact sur l’environnement.
Dès l’annonce de la précédente décision, le 13 juillet dernier, Delphine BATHO avait demandé que soient élaborées sans délai des dispositions législatives assurant la mise en conformité de l’ensemble du code de l’environnement avec l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ce travail aboutira à un projet de loi prêt à être soumis au Conseil d’Etat à la fin du mois de septembre. Il permettra d'assurer la conformité du code de l’environnement à la Constitution dans les délais attendus par le Conseil Constitutionnel. Il permettra également de renforcer l'information et la participation des citoyens et d'assurer la sécurité juridique de toutes les décisions".
Une réaction bienvenue et précise. Il est en effet exact que "Le Conseil constitutionnel conforte ainsi le droit à l’information et surtout à la participation du public dans le processus d’élaboration de toutes les décisions, réglementaires et individuelles, ayant un impact sur l’environnement".
Par voie de conséquence, la ministre de l'écologie annonce le dépôt, dés le mois de septembre, d'un projet de loi tendant à mettre le code de l'environnement en conformité avec les exigences de l'article 7 de la Charte de l'environnement.
Le projet de loi : un nécessaire équilibre entre participation du public et sécurité juridique
Surtout on relèvera cette phrase au sein du communiqué de presse ministériel :
"Il [le projet de loi] permettra également de renforcer l'information et la participation des citoyens et d'assurer la sécurité juridique de toutes les décisions".
L'analyse est juste : le Conseil constitutionnel n'a nullement appelé le législateur à complexifier ou à alourdir les procédures qui sont destinées à assurer la participation du public. Le Conseil constitutionnel a trés exactement déclaré contraires à la Constitution des dispositions législatives qui n'assurent aucune participation du public.
Il conviendra donc de nettoyer le code de l'environnement de procédures déclarées contraires par des règles qui permettent la participation de tous. Et pas uniquement les "citoyens" comme le précise ici à tort le communiqué de presse du ministère de l'écologie. Le "terme" public a une vocation générale et permet également la participation des personnes morales, publiques ou privées. Ces dernières doivent avoir la possibilité de s'exprimer et de voir analysées leurs expressions et prises de position.
En d'autres termes, les entreprises ne doivent pas craindre l'émergence du principe de participation. Celle-ci correspond au sens de l'histoire et à la mise en oeuvre de textes aussi fondamentaux que la Charte de l'environnement. Les entreprises doivent au contraire comprendre et maîtriser cette évolution juridique et démocratique pour sécuriser leurs projets et défendre leurs analyses propres.
Comprenons nous bien : l'enjeu du projet de loi ne devra pas être de "plus ou moins de participation'. Le problème n'est nullement celui du nombre de règles. L'enjeu n'est pas quantitatif, il est qualitatif. L'enjeu est de permettre aux Maîtres d'ouvrage de tenir compte des avis exprimés, dans des délais raisonnables qui ne dérapent pas et sans risque juridique s'ils modifient ou complètent leurs dossiers de demandes d'autorisations.
Charte de l'environnement, activisme du Juge et démocratie participative
En conclusion, force est de constater que la Charte de l'environnement n'est nullement un texte "vaporeux" ou purement "déclaratif". Grâce à l'"activisme" du Juge - au sens le plus nobre du terme - la Charte de l'environnement, non seulement produit des effets de droit remarquables, mais, bien au-delà , contribue à faire évoluer notre modèle démocratique.
Ce modèle démocratique avait été fortement interrogé lors du Grenelle de l'environnement. La reconnaissance par l'Etat d'une "gouvernance à cinq" et l'émergence de partenaires environnementaux capables de propositions constructives a représenté un grand pas en avant. Toutefois au moyen de la Charte de l'environnement, le Juge appelle le législateur a aller plus loin que les quelques dispositions de l'article 24 de la loi du 12 juillet 2010 qui se bornaient à une mise en oeuvre a minima du droit à l'information et de la participation du public.
Soyons clairs : je n'ignore pas que nombre d'enquêtes publiques n'attirent que peu de monde ou que des opposants. Dans ce cas, le dialogue environnemental s'apparente à un dialogue de sourds. Au terme de la concertation ou du débat public - lequel a un coût - chacun restera parfois campé sur ses positions. En définitive, la concertation peut aussi augmenter le risque juridique lié à la multiplication des vices de procédure éventuels. Mais cette situation est la résultante, non de l'application du principe de participation mais de son absence d'application. Le principe de participation n'appelle pas le défouloir.
Mais disons le tout aussi clairement : le principe de participation doit être équilibré avec le principe de sécurité juridique. Mieux, il peut et doit y contribuer. Déjà , le Conseil d'Etat a considérablement relativisé le moyen tiré du vice de procédure. Plus loin, la réforme de l'enquête publique par le décret du 29 décembre 2011 permet au maître d'ouvrage de modifier son dossier sans encourir le risque d'annulation lié à la théorie des "modifications substantielles".
Le projet de loi annoncé par Delphine Batho doit enfin permettre de mettre le code de l'environnement avec l'article 7 de la Charte et, pourquoi pas, dans le sens que lui donne la convention d'Aarhus de 1998. Et dans le sens d'une meilleure sécurité juridique : que les maîtres d'ouvrage ne l'oublient pas. Ils leur appartient non de regretter mais de s'approprier le principe de participation du public, public dont il font partie.
Dans l'idéal, ce projet de loi aurait pu être couplé avec celui, annoncé pour la fin de l'année, relative à la réforme du code minier. Car le communiqué de presse de la Ministre de l'écologie comporte sur ce point une limite : les principes et exigences de la Charte de l'environnement n'intéressent pas que le droit de l'environnement et son code. Adossée à la Constitution, la Charte de l'environnement intéresse l'ensemble des branches du droit et, notamment, le code minier comme mon rapport remis le 12 octobre 2011 à Nathalie Kosciusko-Morizet le souligne.
La rentrée environnementale s'annonce donc riche.
Arnaud Gossement
Avocat associé
www.gossement-avocats.com
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Pour mémoire, voici quelques uns des derniers billets écrits sur le présent blog et consacrés à la "révolution" du principe de participation
7 juin 2010 : "Les zones de développement de l'éolien et le principe de participation du public"
7 juillet 2010 : "Le principe de participation : une des clés de l'avenir de l'éolien"
18 avril 2012 : "Charte de l'environnement : nouvelle QPC sur le principe de participation"
17 juin 2012 : "La révolution du principe de participation du public"
18 juillet 2012 : "principe de participation du public : l'urgence d'une intervention du législateur". Voilà qui est fait